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Boeing disparu : comment la communication de crise a été bâclée

De contradictions en approximations, les autorités malaisiennes ont créé la confusion au cours de l'enquête sur le vol MH370 de Malaysia Airlines, et perdu la confiance des familles de victimes.

Article rédigé par Simon Gourmellet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Une femme en pleurs à Pékin (Chine), après un point sur l'enquête concernant la disparition du Boeing de Malaysia Airlines par les autorités malaisiennes, le 9 mars 2014.  (JASON LEE / REUTERS)

Le SMS a été la goutte d'eau. Après 17 jours d'informations contradictoires et de théories en tous genres, les familles des 239 personnes présentes sur le vol MH370 de Malaysia Airlines ont obtenu par un texto de la compagnie aérienne, lundi 24 mars, la confirmation qu'il n'y avait plus d'espoir de retrouver leurs proches vivants. Une annonce qui a immédiatement provoqué des crises d'hystérie et de colère, notamment des familles chinoises.

Dans un communiqué, elles évoquent "l'impardonnable culpabilité" de la compagnie, du gouvernement et des militaires malaisiens, qu'elles qualifient de "bourreaux". C'est le dernier épisode en date d'une longue et catastrophique gestion de la crise.

Une cellule de communication de crise improvisée 

Il est 0h41 à Kuala Lumpur (Malaisie), le samedi 8 mars, lorsque le vol MH370 de la Malaysia Airlines décolle en direction de Pékin. A son bord, 239 personnes, dont douze membres d'équipage. Après 45 minutes de vol, à 1h30 du matin, le contrôle aérien perd subitement le contact avec l'appareil. Rapidement, les autorités malaisiennes sont débordées. La compagnie annonce avoir perdu le contact à 2h40 locales, avant de corriger l'horaire à 1h30. Puis, on apprend que des valises n'auraient pas été chargées à bord de l'avion en l'absence de certains passagers, laissant aux familles l'espoir que leurs proches aient pu échapper au drame. Un espoir déçu. Enfin, alors que l'on est toujours sans nouvelles de l'avion, les enquêteurs soupçonnent un passager chinois, puis deux passagers munis de passeports volés d'avoir détourné l'avion. Des pistes finalement abandonnées.

Ce flottement s'explique par l'absence d'une cellule de crise et d'un service de communication préparés pour ce type d'événement, comme il en existe par exemple en France, ainsi que le détaille ce guide destiné aux services de secours. Lors de la disparition du vol Air France Rio-Paris en juin 2009, le Bureau d'enquête et d'analyses pour la sécurité de l'aviation civile (BEA) a immédiatement été saisi et chargé de coordonner les recherches

Un officiel malaisien, cité par l'agence Reuters (en anglais) sous couvert d'anonymat, a admis la part de responsabilité des autorités : "Il y a eu beaucoup de confusion les deux premiers jours après l'incident. J'admets qu'il y a eu beaucoup de travail bureaucratique et que nous avons été lents." 

Et même une fois la structure mise en place, le message a été brouillé par les multiples voix chargées de rendre compte de l'enquête, comme le ministre des Transports, le directeur de l'aviation civile ou encore le président de Malaysia Airlines. Des responsables qui n'ont pas l'habitude de communiquer avec la presse nationale, et qui ont le culte du secret, rapportait le New York Times (en anglais)

Des familles mal informées et mal considérées

L'absence d'informations fiables et la succession d'espoirs déçus ont profondément bouleversé les familles, et provoqué leur colère. "Ce qui était très compliqué, c'est qu'on leur a dit que l'avion avait disparu, qu'il s'était peut-être crashé, qu'il avait peut-être été détourné, que les passagers étaient peut-être vivants quelque part... Cela a créé une surviolence pour les proches", analyse sur BFMTV la psychothérapeute Hélène Romano.

Cette situation a été vécue par Laurent Lamy. Il a perdu son frère Eric dans le crash du vol Rio-Paris en 2009 et regrette, dans une interview au Parisien, que cette souffrance ne soit pas davantage prise en compte. "Comme ce fut le cas pour nous, les proches se raccrochent au moindre espoir, aux rumeurs, aux experts qui n'en sont pas, et tout le monde veut savoir, obtenir une explication face à l'inexplicable. Mais à l'évidence, les leçons du Rio-Paris n'ont pas été retenues."

De plus, le moyen employé par la compagnie pour prévenir les familles qu'"aucune personne à bord n'avait survécu" constitue un choc supplémentaire : c'est en effet un SMS qui a douché tous leurs espoirs. "C'est un manque de respect", s'est indignée Danièle Lamy, la mère d'Eric et Laurent, mardi 25 mars sur France Info. Elle se souvient que la terrible nouvelle avait été annoncée par une seule et même personne du ministère des Affaires étrangères, qui s'était chargée d'appeler toutes les familles. 

Depuis la disparition du Boeing, les proches des 239 passagers du vol MH370 ne sont pas ménagés. A Pékin (Chine), des échanges houleux ont éclaté quand une femme souhaitant bénéficier d'une chambre d'hôtel s'est vu demander un certificat de mariage prouvant qu'elle était bien l'épouse d'un des disparus. Ou encore lorsque des proches des victimes ont été chassés de leurs hôtels à Kuala Lumpur (Malaisie) pour faire de la place avant le Grand prix de Formule 1, comme le rapportait NBC News (en anglais). Ce sentiment d'abandon a été également partagé par les familles des victimes du vol Rio-Paris. "On s'est sentis très seuls", rappelle pour francetv info Danièle Lamy. Elle se souvient d'avoir été renvoyée de l'aéroport chez elle, d'avoir attendu une rencontre avec Nicolas Sarkozy qui n'a finalement jamais eu lieu. "Globalement, l'Etat n'a rien fait pour nous", regrette-t-elle.

La Malaisie accusée de retenir des informations

C'est désormais la vérité sur ce crash que réclament les proches des victimes. Mais pour le moment, si les débris de l'appareil semblent en bonne voie d'être retrouvés, le scénario précis du drame reste encore un mystère. Et les successions de fausses pistes ont sérieusement entamé la crédibilité des enquêteurs. De nombreuses familles des 153 victimes chinoises sont toujours convaincues que Kuala Lumpur leur cache la vérité, et demandent des preuves que l'avion s'est bien abîmé en mer.

Robert Soulas a perdu sa fille et son gendre sur le vol Rio-Paris. Il explique à France 2 que dans ces cas-là, "on a vite l'impression qu'on nous cache quelque chose. Devant l'incompréhensible, on cherche le pire, on pense au tir de missiles ou à une erreur militaire".

Vol Rio-Paris : les familles des victimes attendent toujours la vérité sur le crash (LOUBNA ANAKI, FREDERIC CROTTA et STEPHANE GUILLEMOT - FRANCE 2)

Pour les proches des victimes du vol Rio-Paris, les réponses sont connues, et le procès qui se tiendra en 2015 pointera les responsabilités. Mais pour les familles des 239 passagers du MH370, l'attente risque d'être encore très longue, tant que les débris et les boîtes noires ne sont pas récupérés et analysés.

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