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La conquête de l’Antarctique se poursuit à vitesse grand V

Le traité sur l’Antarctique signé en 1959 est censé protéger cette région polaire de toute exploitation. Mais ses signataires entendent faire pression pour s’en débarrasser. La course pour les ressources du continent s’accélère.
Article rédigé par Florencia Valdés Andino
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'industrie du tourisme se rue aussi sur les eaux glacées pour développer des circuits de croisières. (FRUMM JOHN / HEMIS.FR)

Au départ, il y avait les explorateurs. Ces aventuriers bourrus emmitouflés dans leurs peaux d’ours. Au XIXe siècle, il suffisait de mettre un pied sur la banquise pour revendiquer le territoire au nom de son pays. Les choses se compliquent par la suite, notamment à l’époque de la Guerre froide. Les deux blocs se tournent alors vers l’Antarctique pour renforcer leur puissance. Et au sein de ces blocs, de nombreux pays souhaitent se partager ce gâteau de 14 millions de kilomètres carrés. 

Des années de guéguerres territoriales
Pour mettre un peu d’ordre sur la glace, douze pays signent, en 1959, le traité sur l’Antarctique. Celui-ci régule les relations entre ces Etats. Le nombre de signataires se multiplie entre-temps. On en compte aujord'hui 49.

Buts du traité : protéger les ressources du continent de toute exploitation et empêcher qu’il ne devienne une base militaire.  Le texte exige un échange d'informations, de personnel scientifique, d'observations et de données concernant les activités réalisées par les signataires sur le continent.

Sauf que ce texte ne fait pas taire les revendications territoriales des parties en présence. D’autant que les rivalités de certains sont attisées par le vent polaire. Comme celles de l’Argentine et le Royaume-Uni. Ceux-ci se disputent trois archipels de l’Antarctique du Sud, un prolongement des Malouines, les îles de la discorde. D’après le traité, un pays peut revendiquer un morceau du territoire antarctique si ses plaques tectoniques touchent d’une façon ou d’une autre le continent.

La conquête de l'Antarctique, INA 1959.

Du pétrole sous la glace
Ces tensions risquent de monter d’un cran alors que le changement climatique laisse miroiter l’extraction des hydrocarbures qui somnolent sous la glace : 20% de la réserve mondiale de pétrole et de gaz naturel. C’est-à-dire 200 milliards de barils évalués à environ 120 $ le baril.

La technologie permettant de réaliser des forages à très basses températures, dans des conditions extrêmes, existe depuis au moins cinq ans. Et elle ne fait que se perfectionner.  Son efficacité est testée sur les plateformes off-shore norvégiennes où se conjuguent les savoir-faire norvégien, russe, et américain.

Cela attire de nouveaux acteurs -comme la Corée du Sud- dans le continent censé ne servir que de réserve naturelle pour phoques. Pour s’assurer que c’est le cas, le Protocole de Madrid complètant le traité sur l’Antarctique a été signé le 4 octobre 1991. Celui-ci établit une protection globale de l’environnement dans la région polaire. L’interdiction des activités relatives aux ressources minérales autres que celles menées à des fins scientifiques, a été confirmée.

Les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF), septembre 2011.

«Les besoins pétroliers menacent le traité »
Dans un contexte d’épuisement des ressources pétrolières et de hausse du prix du brut, se profile une renégociation du traité sur l’Antarctique. En mai 2013, les signataires devraient se réunir, comme ils le font régulièrement, pour discuter de l’avenir du texte. Michel Rocard, chargé des affaires de l’Arctique et de l’Antarctique avait prévenu : « les besoins pétroliers menacent le traité ».

Ce n’est peut-être pas en 2013 que le texte sera définitivement caduc, sa renégociation est fixée en 2048. Mais tout risque d’aller beaucoup plus vite que prévu. D’autant que cet accord n’est pas rattaché à une institution supranationale comme l’ONU. Il relève plus d’une profession de foi. Autrement dit, personne n’est contraint d'en suivre les règles. Alors, qui sera le premier à dégainer ?

C’est la question que se pose Mikå Mered, PDG de Polariis, société de conseil en risques politiques internationaux et stratégies internationales dans les régions polaires et étudiant chercheur à l’Université américaine de Columbia : « Personne ne prendra le risque d'entamer unilatéralement des exploitations unilatérales sans avoir renforcé sa position économique, diplomatique et militaire pour faire face aux conséquences. Le premier pays qui osera investir les ressources du continent devra le faire avec se alliés. Il risque ainsi de bouleverser les relations entre les différents acteurs en présence. C’est celui qui ira le premier qui ouvrira la porte aux autres pays.»

La Russie et la Chine se préparent
« Dès 2011, explique-t-il, certains pays avaient déjà envisagé de rompre avec le traité. La Chine, la Russie, la Corée du Sud, la Nouvelle Zélande visent l’indépendance énergétique. Et personne ne pourra les empêcher de commencer à faire du forage. Mais c’est Moscou qui a été la plus claire quant à ses intentions. Selon ce qu’on appelle la «Doctrine Poutine» il faut être pragmatique et s'appuyer sur les hydrocarbures pour faire pièce à la puissance américaine. En juin 2011, pour la première fois depuis la fin de l’URSS, la Russie affirmait qu’elle voulait sortir de sa zone habituelle d’influence. Contre toute attente, la réponse de Washington a été très faible.»

La Russie de Poutine consacre 1,5 milliards de dollars à un programme de recherche dans l’Antarctique. C’est le budget le plus important jamais accordé à un programme de la sorte. Officiellement, cet argent est consacré à la recherche réalisée par l’Agence russe de l’énergie et de l’environnement. Officieusement, ces milliards de dollars sont destinés à investir dans de tanks brise-glace, des avions, et développer le système de GPS russe, entre autres…

Des membres de la 28e expédition chinoise trinquent avant de s'aventurer dans le continent. (HUANG XIAOXI/XINHUA)

La Chine ne reste pas à la traîne. La station Kunlun est implantée depuis 2009 à 4.000 mètres d’altitude en Antarctique de l’Est. A l’entrée du laboratoire, un panneau nargue les pingouins : «Bienvenue en Chine». Les objectifs réellement scientifiques de cette base restent à prouver.

La communauté internationale s’accorde à dire que les forages sont risqués pour l’environnement et pour l’équilibre géopolitique mondial. Mais au fur et à mesure que la glace fond, le pétrole jadis inaccessible et cher à exploiter devient rentable dans ce continent resté presque vierge jusqu’à présent.

 

 

 

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