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Référendum en Tunisie : "La Constitution de Kaïs Saïed est le reflet de son pouvoir autoritaire" note un spécialiste

Selon Vincent Geisser, "on assiste à un phénomène de concentration des pouvoirs exécutif, législatif et parlementaire dans les mains d'un seul homme", et donc à "la renonciation au principe de séparation des pouvoirs", capitale dans une démocratie parlementaire.

Article rédigé par franceinfo
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Le président tunisien Kaïs Saïed qui vote pour le référendum sur le projet de nouvelle Constitution qu'il porte, le 25 juillet 2022. (TUNISIAN PRESIDENCY / AFP)

Les Tunisiens sont appelés lundi 25 juillet aux urnes pour voter le projet de nouvelle Constitution porté par le Président Kaïs Saïed, arrivé au pouvoir après un coup de force il y a tout juste un an. Selon Vincent Geisser, chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (IREMAM), ce glissement vers l'autoritarisme met un terme à la parenthèse plutôt parlementaire en place dans le pays depuis 2014.

>>REPORTAGE. Tunisie : "Je vais voter pour le changement, pas pour le président", le dilemme des électeurs face au référendum sur la Constitution

franceinfo : La Tunisie est-elle en train de revenir au régime pré-révolution de 2011 de Ben Ali ?

Vincent Geisser : "Ce n'est pas un retour en arrière, c'est plutôt un nouvel autoritarisme avec une grosse particularité : Ben Ali avait une constitution libérale et démocratique pour une pratique du pouvoir autoritaire ; Kaïs Saïed a là une pratique autoritaire avec une Constitution autoritaire. La Constitution est le reflet de son pouvoir autoritaire. Ce ne sont pas les pleins pouvoirs, mais on assiste à un phénomène de concentration des pouvoirs exécutif, législatif et parlementaire dans les mains d'un seul homme : c'est la renonciation au principe de séparation des pouvoirs qui est capital dans toute démocratie parlementaire.

Y a-t-il une opposition crédible aujourd'hui en Tunisie ?

Une des forces de ce président, c'est qu'il joue sur l'impopularité de ses opposants. Beaucoup de gens sont très sceptiques sur cette Constitution, mais ça ne profite pas à l'opposition qui ne parvient pas à mobiliser massivement contre ce président et contre son projet. La force du président, c'est finalement aussi la faiblesse des oppositions tunisiennes.

Il a aussi beaucoup joué sur ce thème de la corruption des élites : "Les partis, c'est la corruption. Le Parlement, c'est la corruption. Je suis votre recours. Je suis votre sauveur." Mais en même temps, il crée une très forte attente dans les couches populaires et inférieures de la société tunisienne qui attendent beaucoup sur le plan économique et social et qui risquent d'être déçus, pas parce que ce président a peut-être un programme autoritaire, mais parce qu'il n'a pas forcément de programme économique et social pour réformer en profondeur la Tunisie.

A-t-il le soutien des forces de sécurité ?

On peut dire que les forces de sécurité ont soutenu son coup d'État, il y a un an le 25 juillet non par idéologie, mais parce qu'il apparaissait comme l'homme de l'ordre face au désordre des parlementaires. Aujourd'hui, elles le soutiennent dans une certaine mesure, on revient à un espace public tunisien extrêmement verrouillé par l'appareil sécuritaire. Mais on n'a pas vraiment de radiographie : quelle est la position de l'armée ? Quelle est celle de la police ? Des officiers supérieurs de l'armée ?

Pour cela, Kaïs Saïed joue la carte du terrorisme islamiste, mais il joue surtout une carte beaucoup plus forte : la réintégration dans le monde arabe. La grande force de ce président, ce sont ses soutiens dans le monde arabe : il est plutôt populaire chez les Arabes, non pas auprès des peuples, mais auprès des régimes.

Qu'en est-il des Occidentaux ?

Il est vrai qu'il y a des dossiers très importants comme le terrorisme et l'immigration sur lesquels on peut penser qu'un président qui maintiendrait une certaine stabilité, même s'il est peu regardant sur les droits de l'homme, satisfera une partie de la politique étrangère française. Mais il y a quand même, plutôt, un mécontentement occidental. L'Union Européenne, l'Allemagne, les États-Unis sont très fâchés de voir ce tournant autoritaire. C'est la vitrine démocratique du monde arabe qui tombe aujourd'hui en Tunisie. Mais même si dans le régime, la parenthèse des Printemps arabes est terminée, elle ne l'est pas dans les têtes.

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