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En Afrique, quand la République devient quasiment héréditaire

Déby, Kabila, Bongo, Gnassingbé. Ils ont en commun d'avoir succédé à leur père à la tête de leur pays, en faisant de sérieuses entorses au système démocratique.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
En treillis, Mahamat Idriss Déby assiste aux funérailles de son père, le 23 avril 2021 à N'Djamena la capitale du Tchad. (CHRISTOPHE PETIT TESSON / POOL)

A peine le décès de son père Idriss Déby Itno annoncé, Mahamat Idriss Déby a pris le pouvoir au Tchad. Le jeune général vient ainsi d'ajouter son nom à la liste des "fils de" qui, en Afrique, ont repris le flambeau de leurs pères, immédiatement après leur mort. Ici nous avons affaire à des Républiques et non à des royaumes. Or, tous ont en commun d'avoir été placés par leurs géniteurs au sein de l'appareil politique ou militaire. Une position d'attente idéale pour se forger un réseau et ainsi garantir au mieux la future prise de pouvoir.

Mahamat Idriss Déby, jeune général au pouvoir 

Mahamat Idriss Déby a pris les commandes du Tchad à la tête d'une junte militaire le 21 avril 2021, à la mort de son père. "Président de la République" sans avoir été élu, le fils cadet de l'ancien chef d'Etat n'a pas laissé traîner les choses. Général quatre étoiles à seulement 37 ans, chef de la Garde présidentielle, qui est la clé de voûte du régime depuis trente ans, le pouvoir ne pouvait pas lui échapper.


Mahamat Idriss Déby, général de l'armée tchadienne, a pris les commandes du Tchad le 21 avril 2021, à la mort de son père. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

A l'issue de la transition annoncée de 18 mois, il est fort probable qu'une élection de principe viendra conforter son installation. "Il occupe les fonctions de président de la République, de chef de l'Etat et de chef suprême des Armées", selon la charte de transition publiée mercredi 21 avril. "Il nomme et révoque les membres du gouvernement de transition" et désigne "les membres du Conseil national de transition", en charge de la fonction législative.

Bongo, au cœur des "biens mal acquis"

L'actuel président du Gabon, Ali Bongo, a ainsi succédé à son père Omar Bongo, mort en juin 2009. Ce dernier lui avait construit une voie royale pour lui succéder. Ali Bongo entre au cabinet de son père à 28 ans, puis il deviendra ministre de la Défense et vice-président du parti présidentiel. Profitant pleinement du réseau mis en place par son père – le clan Bongo verrouille tout l'appareil politique , il accède à la fonction suprême à l'issue d'une élection particulièrement contestée. Sa réélection en 2016 est tout aussi dénoncée par l'opposition.

Ali Bongo le 16 août 2019 lors d'une cérémonie à Libreville, la capitale du Gabon. (STEEVE JORDAN / AFP)

La famille Bongo est au cœur avec les Obiang de Guinée et les Sassou-Nguesso congolais de ce qu'on appelle l'affaire des "biens mal acquis". En fait, des acquisitions immobilières immenses en France grâce, selon les magistrats, au détournement de ressources nationales. Le patrimoine de la famille Bongo en France est estimé à 68 millions d'euros.

Le clan Gnassingbé au pouvoir depuis 1967

Faure Gnassingbé est à la tête du Togo depuis 2005. "Bébé Gnass", comme le surnomment ses détracteurs, est accusé de considérer la présidence de la République comme un héritage paternel. Il a de qui tenir. Son père, Gnassingbé Eyadéma a dirigé le pays d'une main de fer pendant 38 ans. Cet ancien sergent de l'armée française durant la période coloniale avait pris le pouvoir par un coup d'Etat en 1967.

Le président du Togo, Faure Gnassingbé, lors de la campagne pour l'élection présidentielle, le 17 février 2020. (PIUS UTOMI EKPEI / AFP)

Ce n'est que cinq ans plus tard qu'il légitimise, par référendum, sa fonction de président de la République, après avoir pris soin d'effacer toute opposition légale. Par la suite, il sera réélu cinq fois, à l'issue de scrutins toujours contestés.

Lorsqu'il décède brusquement d'une crise cardiaque en 2005, le cercle de ses affidés s'organise à la hâte. Tandis que l'armée prend le pouvoir, l'Assemblée nationale place Faure Gnassingbé à sa tête, modifie la Constitution afin de lui permettre d'achever le mandat de son père. Sous la pression internationale, Faure Gnassingbé doit cependant se résoudre à organiser un scrutin pour accéder à la présidence.

Les élections vont provoquer des émeutes qui, selon un rapport de l'ONU, ont fait entre 400 et 500 morts. Depuis, le pays semble s'être résigné à vivre dans cette République héréditaire. La dernière élection présidentielle en 2020 s'est déroulée dans un calme inhabituel et a vu la large victoire du président sortant avec 72% des suffrages.

Kabila, le faux départ ?

Joseph Kabila a quitté le pouvoir en 2019, marquant ainsi la première transition démocratique de la République démocratique du Congo depuis son indépendance. Mais il est loin d'avoir quitté la scène politique et ses détracteurs l'accusent de continuer à tirer les ficelles. L'accord de cogestion qu'il avait passé avec son successeur Félix Tshisekedi, l'un prenant la présidence et l'autre contrôlant l'Assemblée, serait la preuve, selon l'opposition de ce pouvoir de l'ombre.

Joseph Kabila a succédé à son père, assassiné en janvier 2001. Il a exercé deux mandats de président et s'est retiré en 2019. (LUIS TATO / AFP)

Joseph Kabila a dirigé le pays durant 18 ans. Lui aussi a accédé au pouvoir brusquement, lorsque son père, Laurent Désiré Kabila, l'homme qui a renversé le dictateur Mobutu, est assassiné en janvier 2001. Un comité de crise composé de trois ministres désigne Joseph Kabila pour lui succéder. Il s'est formé au métier des armes aux cotés de son père, alors dans la clandestinité.

Il prend la tête d’un pays déchiré depuis août 1998 par une guerre régionale, impliquant de multiples groupes armés et plusieurs pays africains. Profitant indirectement de l'instabilité qui ravage le pays, il est maintenu à sa tête par différents accords de paix. Et ce n'est qu'en 2006 qu'il sera élu président pour la première fois.

Les Obiang, milliardaires et (vice-)présidents de père en fils

Même s'il n'est pas encore au pouvoir, on peut également ajouter à la liste Théodorin Obiang en Guinée équatoriale. Le déjà vice-président du pays est dans les starting-blocks pour succéder à son père, Théodoro Obiang. Ce dernier, autoproclamé président à vie de son pays, est à la tête de la Guinée équatoriale depuis 1979.

Théodorin Obiang est actuellement vice-président de la Guinée équatoriale, aux côtés de son père. La succession semble déjà assurée, alors que son père s'est autoproclamé président à vie. (MICHELE SPATARI / AFP)

Le clan Obiang a depuis amassé une fortune colossale. Pas encore à la tête de son pays, Théodorin Obiang est déjà condamné en France en 2020 dans l'affaire des biens mal acquis. Il aurait blanchi 150 millions d'euros rien qu'en France. La cour d’appel de Paris l’a condamné à trois ans de prison avec sursis, trente millions d’euros d’amende et des confiscations pour s’être bâti frauduleusement un patrimoine considérable en France.

Tous ces hommes affichent des fortunes considérables, constituées durant les années passées au pouvoir. Car à la tête de leur pays, ils sont aussi les premiers bénéficiaires de ses richesses. Ainsi Kabila et sa famille sont propriétaires ou gérants de plus de soixante-dix entreprises congolaises. Ces dynasties bénéficient des soutiens de pays étrangers, peu regardant sur leur exercice de la démocratie. En échange, ces clans doivent garantir la stabilité du pays et ménager les intérêts de leurs soutiens.

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