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Polémique à propos d'une "blackface" dans un sketch télévisé en Egypte

Une comédienne égyptienne, grimée en Noire pour imiter une Soudanaise dans un sketch télévisé, a provoqué une polémique sur les réseaux sociaux. Pour certains experts, cette affaire est révélatrice de problèmes plus profonds et plus anciens dans le monde arabe : le racisme vis-à-vis des Noirs et l'histoire de l'esclavage dans cette partie du monde.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
La comédienne égyptienne Shaimaa Seif, grimée en "blackface", dans une émission en caméra cachée de la chaîne égyptienne du groupe saoudien MBC. (MBC Misr TV (capture d'écran))

Pour se faire passer pour une Soudanaise, l'actrice égyptienne Shaimaa Seif a adopté un accent soudanais prononcé, des manières extravagantes et, surtout, arboré une "blackface". Objectif : interpeller, en caméra cachée, des passagers égyptiens dans un minibus.

Le sketch a été diffusé dans l'émission Shaklabaz (Soubresaut), retransmise sur la chaîne égyptienne du groupe saoudien MBC (MBC Misr).

Sur les réseaux sociaux, des internautes, notamment égyptiens et soudanais, ont vivement critiqué l'usage de la "blackface", une pratique jugée raciste et représentant de manière caricaturale les personnes noires. L'actrice n'a pas réagi à ces critiques.

Traduction: "C'est dégoûtant. Nous étons censés être des Arabes se soutenant et s'entraidant. Shaimaa Seif et quiconque a écrit ce 'sketch' devraient assumer les conséquences de cet acte horrible. La 'blackface' et le racisme dans notre pays sont bien réels et sont filmés comme 'comédie'. Ayez donc un minimum de respect !"

"Est-ce que le but était de nous faire rire ?"
, s'est interrogée sur Facebook Marwa Babiker, une internaute soudanaise. "Pendant que vous tourniez (le sketch), nous manifestions avec le peuple", a-t-elle répliqué dans une vidéo "likée" plus de 9000 fois. Le Soudan est secoué depuis décembre 2018, par un soulèvement populaire contre le régime du président Omar el-Béchir, destitué par l'armée le 11 avril 2019. Des milliers de manifestants continuent de protester contre les militaires qui dirigent le pays et réclament le transfert du pouvoir aux civils.

L'histoire de l'esclavage

La "blackface" est largement utilisée, depuis plus d'un siècle, dans le divertissement égyptien, observe Eve Troutt-Powell, professeure d'histoire à l'Université de Pennsylvanie et auteure de plusieurs ouvrages sur le colonialisme en Egypte et au Soudan. "Il existe une histoire plus vaste derrière les caricatures racistes des Noirs en Egypte et ailleurs au Moyen-Orient, c'est celle de l'esclavage", a expliqué l'universitaire à l'AFP.

Aux premiers temps de l'islam, des marchands arabes ont vendu au Moyen-Orient et en Afrique du Nord des milliers d'esclaves venus notamment du Soudan. Le terme "Soudan" désigne d'ailleurs en arabe le "pays des Noirs". Et le mot "abid" (esclave) est devenu un synonyme de "Noir".

A la tête de l'Union africaine pour l'année 2019 et pays hôte de la Coupe d'Afrique des nations l'été prochain, l'Egypte s'est récemment illustrée par sa diplomatie très active sur le continent africain. Le président Abdel Fattah al-Sissi a multiplié les rencontres et les initiatives avec ses homologues africains. Mais sur le continent, les Egyptiens sont réputés pour leur mépris supposé des Noirs. En 2016, une diplomate kényane, Yvonne Khamati, avait accusé un responsable égyptien d'avoir qualifié les Africains subsahariens "de chiens et d'esclaves" lors d'une conférence de l'ONU. Le Caire avait finalement nié ces allégations après avoir mené une "enquête".

Pas de réaction dans les médias égyptiens

Dans les pays occidentaux, où la "blackface" était une pratique courante aux XIXe et XXe siècles, son utilisation provoque désormais régulièrement des polémiques et débats publics.

Dans le monde arabe, la polémique dépasse difficilement la sphère des réseaux sociaux, rare espace de liberté d'expression. En Egypte, les critiques sur la toile à l'encontre du sketch de MBC Misr n'ont pas suscité de réactions publiques majeures. Dans ce pays, les médias, étroitement contrôlés par l'Etat, n'accordent aucune place aux débats d'idées.

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