Egypte : des "crimes de guerre" commis par l’armée et Daech dans le Sinaï, selon HRW
Les forces de sécurité égyptiennes et la branche locale du groupe Etat islamique continuent de s'affronter dans le nord de la péninsule du Sinaï.
Dans un rapport de 134 pages publié le 28 mai 2019, Human Rights Watch (HWR) a dénoncé de "sérieux abus" et "crimes de guerre" commis tant par l'armée égyptienne, que les islamistes radicaux de l'organisation Etat islamique (EI). Le document a été réalisé sur la base de plus de 50 témoignages de résidents, d'anciens responsables locaux et internationaux.
L'insurrection jihadiste dans la partie nord du Sinaï s'est intensifiée après la destitution par l'armée, en 2013, du président islamiste Mohamed Morsi à la faveur d'un mouvement populaire. En 2014, Ansar Beit al-Maqdis, le principal mouvement jihadiste de cette péninsule à l'est de l'Egypte, a fait allégeance à l'EI sous le nom de Wilayat Sinai (Province du Sinaï).
Violences tous azimuts
"La branche Nord-Sinaï de l'EI mérite la condamnation mondiale qu'elle a reçue pour ses abus haineux, mais la campagne de l'armée, marquée par des violations tout aussi sérieuses, dont des crimes de guerre, devrait aussi être vivement condamnée", estime HRW. L’organisation non gouvernementale cite notamment des arrestations de masse, des disparitions forcées, des assassinats extra-judiciaires, des mauvais traitements et des cas de torture, ainsi que des bombardements par les forces de sécurité égyptiennes. Elle condamne également le rôle des milices pro-gouvernementales qui fonctionnent, selon HRW, "complètement en dehors de la loi".
Parallèlement, l’ONG dénonce des exactions commises par les membres de Wilayat Sinaï. "Des attaques aveugles, telles que celles utilisant des engins explosifs improvisés dans des zones peuplées, ont tué des centaines de civils et mené à des déplacements de population forcés", indique le rapport. Lequel cite l’attaque contre la mosquée al-Rawda qui avait fait plus de 300 morts en novembre 2017.
L’étude dénonce également les ventes d'armes ainsi que la coopération militaire avec l'Egypte. Elle cite principalement les Etats-Unis, la France, l'Allemagne et, "dans une moindre mesure", la Russie.
Une région délaissée
Située entre le canal de Suez et la frontière avec Israël, la péninsule du Sinaï est une région historiquement délaissée. Notamment depuis 1906 quand "la Couronne britannique (la) récupère au détriment de l’Empire ottoman", rapporte dans Le Monde le doctorant Ivan Sand. Ce qui a entériné "la vision actuelle de la péninsule comme d’une zone tampon". Une situation renforcée par les conflits du Proche-Orient.
Conséquence : économiquement et socialement, la région est marginalisée par Le Caire. "Les plans de développement promis dans la région restent figés à l’état de projet, tandis que les emplois créés grâce au secteur du tourisme sont réservés à des migrants venus des grandes villes du delta du Nil", poursuit l’universitaire.
Dans ce contexte, "les habitants du Nord-Sinaï se sentent traités comment des citoyens de seconde zone", observe Mediapart (accès payant). Pour plusieurs spécialistes, la marginalisation et la pauvreté expliquent en partie l’impact du jihadisme dans une région que le pouvoir égyptien contrôle mal.
Trafics en tout genre
Parallèlement, la population bédouine locale (quelque 550 000 personnes) "ne s'est jamais remise de l'instauration des frontières israéliennes, jordaniennes et saoudiennes convergeant vers le Golfe d'Aqaba, puis de leur fermeture", observe L’Express. Une population coincée entre les opérations militaires et les attaques jihadistes, qui a toujours plus ou moins survécu "grâce aux trafics en tous genres". Les Bédouins rançonneraient ainsi des migrants clandestins qui sont parfois torturés. Dans le même temps, certaines tribus seraient impliquées dans des réseaux mafieux avec la bande de Gaza.
Apparemment, des éléments islamistes auraient infiltré le trafic de cigarettes, entrant ainsi en concurrence avec les Bédouins, rapporte Mediapart. Ce qui aurait entraîné des conflits ouverts. Daech chercherait à "soumettre les populations locales". Pour Mediapart, les auteurs de l’attaque contre la mosquée d’al-Rawda ont pu chercher "à effrayer la population (…) tentée de collaborer avec l’armée". Et de citer un "observateur spécialiste du terrorisme" qui évoque "l’impact psychologique de ce genre d’attaques". "C'est un levier très fort que l'EI a su exploiter en Irak pour prendre rapidement du terrain", ajoute cet analyste.
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