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La misère des migrants érythréens, exploités par leur propre gouvernement

Chaque mois, des milliers d’Erythréens fuient leur pays pour tenter de gagner l’Europe. S’ils ne sont pas arrêtés au Soudan voisin. Puis kidnappés et torturés dans le Sinaï pour contraindre leurs familles à payer une rançon. Un très lucratif trafic qui pourrait être organisé par le régime érythréen lui-même…
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Migrants africains dans un camp de réfugiés au Soudan, le 2 mai 2017. (AFP - ASHRAF SHAZLY )

Les centaines de milliers d’Erythréens (sur une population d’environ 6 millions d’habitants) qui ont déjà quitté leur pays espèrent échapper à une dictature sanguinaire. Et à «l’enfer du service militaire à durée indéterminée», assimilé à de l’esclavage.

L’espoir d’une vie meilleure, c’est ce qui a poussé Efrem Desta à entrer illégalement au Soudan voisin, dans l'espoir de rallier un jour l'Europe. Mais son voyage a tourné court quand après avoir traversé la frontière, il a été enlevé avec d’autres migrants par la tribu des Rashaidas dans l'est du pays, près du village d'al-Laffa. Après cinq jours de captivité, ils ont été secourus par les forces soudanaises qui ont renforcé les patrouilles le long des 600 km de frontière avec l'Erythrée, afin d'endiguer l'immigration clandestine. Des opérations qui interviennent dans le cadre des accords de Khartoum, conclus en 2014 avec l’Union européenne.         

Migrants érythréens dans le camp de Wadi Sherifay au Soudan, le 2 mai 2017, après leur arrestation par les autorités soudanaises. (AFP - ASHRAF SHAZLY)

En proie à une grave crise économique et à plusieurs conflits armés impliquant régime et rebelles, le Soudan est un carrefour clef sur la route de l'Europe. Selon les experts, un grand nombre d'Erythréens tentent de gagner les côtes européennes en traversant ce pays. «En 2016, quelque 100.000 migrants ont voyagé via le Soudan, en grande majorité des Erythréens», indique Asfand Waqar, analyste à l'Organisation internationale pour les migrations (OIM). A partir de là, les migrants rejoignent la Libye ou l'Egypte, d'où ils entrent en contact avec des passeurs qui les entassent sur des embarcations de fortune.

«Staline et Ubu roi»
Profitant de cette vaste vague migratoire, la dictature d’Issayas Afeworki, «mélange de Staline et d’Ubu roi», comme l'indiquait Géopolis, «alcoolique et paranoïaque», aurait organisé un véritable commerce autour des réfugiés. C’est ce qui ressort d’une étude (citée par Le Monde) coordonnée par l’universitaire néerlandaise Mirjam van Reisen. Le régime érythréen en «alimente le flux, organise et tire profit de cette activité», commente Le Monde.

Les malheureux migrants érythréens qui, via le Soudan, parviennent jusqu’en Egypte, courent le risque d’être enlevés. Selon l’étude, «quelque 25.000 à 30.000 personnes (…) ‘‘à 95% érythréennes’’» auraient été kidnappées dans le Sinaï, désert coincé entre l’Egypte et Israël.

Ces personnes seraient ensuite torturées par des bédouins. Elles le sont «toutes les heures quand (elles) sont en détention. Nuit et jour. Ce sont des gens qui deviennent une sorte de bouillie de chair humaine, ils sont complètement à vif à force d’être torturés», a raconté à RFI Cécile Allegra qui a enquêté sur cette affaire avec sa consœur Delphine Deloget. Les deux journalistes ont tiré de leur travail un film documentaire intitulé Voyage en Barbarie, qui a obtenu le prix Albert Londres en 2015.  


Jusqu’à 50.000 euros de rançon
Pendant une séance de torture, les tortionnaires appellent un proche au téléphone. Et quand le proche décroche, la séance commence... «Les Erythréens valent de l’or pour les bédouins du Sinaï parce qu’ils savent parfaitement que c’est la principale population en fuite dans la Corne de l’Afrique.» Ils savent aussi «qu’il y a une forte diaspora à l’étranger. Donc, ils savent qu’ils peuvent récupérer de l’argent», poursuit Cécile Allegra. «Les Erythréens de l’étranger sont très solidaires entre eux. Ils essaient de ramasser l’argent puisque les rançons sont exorbitantes. On parle de 30.000, 40.000, parfois 50.000 dollars (…) par prisonnier»...

Les rançons seraient ensuite payées «en utilisant le système de transfert d’argent par téléphone mobile à Asmara», capitale de l’Erythrée, affirme de son côté l’étude citée plus haut. Laquelle souligne que «la même route et les mêmes réseaux érythréens pour le trafic d’armes, contrôlés par le régime d’Asmara, sont utilisés pour le trafic humain vers le Sinaï». Elle conclut «aux liens directs de l’armée érythréenne» avec ces trafics.

«Maisons de torture en Libye, au Soudan, au Yémen»
Le régime irait encore plus loin. «Il y a eu des cas avérés où la police et l’armée sont allées chercher des Erythréens et les ont eux-mêmes déportés et remis entre les mains des trafiquants d’êtres humains», affirme Cecile Allegra.

Famille de migrants arrivant dans le port de Naples le 28 mai 2017. (REUTERS - Ciro De Luca)

Selon elle, ce trafic commencerait à se développer dans d’autres pays de la région. «Vous avez des dizaines de maisons de torture en Libye déjà, il y en a plusieurs dizaines également au Soudan, le Yémen commence à s’y mettre. Partout où vous avez des migrants de la Corne de l’Afrique qui affluent, les gens ont compris : vous les parquez, vous les séquestrez, vous les torturez terriblement, et ils finissent par cracher un peu d’argent. Donc forcément, ça fait des petits.» Cette accusation de torture, notamment en Libye, est confirmée par des ONG comme Amnesty International.

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