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Législatives au Sénégal: la candidature d’Abdoulaye Wade morcelle l'opposition
Dans un climat politique déjà désordonné à deux mois des élections législatives sénégalaises, l’annonce, mardi 30 mai 2017, de la candidature de l’ex-président Abdoulaye Wade à la tête d’une liste d’opposition, fractionne un peu plus les principales formations en lice.
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«Cher Président, on vous souhaite une longue vie, une santé de fer et encore merci pour tout.» Sur la page Facebook d’Abdoulaye Wade, lundi 29 mai, pour le 91e anniversaire de l’ancien chef d’Etat sénégalais, l’ambiance est aux remerciements. Compilés dans une vidéo de 4 minutes, les nombreux vœux qu’adressent les partisans de l’ex-président ne parlent guère de politique. Et pourtant, leur mentor, qui vit depuis 5 ans en France, leur a réservé la surprise du chef dès le lendemain en annonçant sa candidature à la tête d’une liste d’opposition aux élections législatives du 30 juillet prochain.
Gorgui 91 ansTrès sensible à cette marque d’affection, le Président Wade a pris connaissance de vos nombreux témoignages en images et messages écrits. Nous ne pouvons pas tous les publier et voici quelques extraits.
Publié par Abdoulaye Wade - Officiel sur mardi 30 mai 2017
La nouvelle a officialisé la scission de l’opposition, qui peinait à s’accorder pour faire face à la majorité présidentielle et part en ordre dispersé, comme en 2012. Les opposants au président Macky Sall sont désormais partagés entre la liste du maire socialiste de Dakar, Khalifa Sall – en prison depuis mars 2017 pour corruption – et celle d’Abdoulaye Wade.
«Pour moi, la candidature de M.Wade n’a rien d’une surprise: il est toujours le secrétaire général de notre parti (le Parti Démocratique Sénégalais, NDLR) et n’a jamais pris sa retraite», analyse, à l'autre bout du fil, Ibrahima Ndiaye, représentant des jeunes de la formation de l’ancien président.
Sur le web, la nouvelle a fait des émules. Sur Seneweb, l’un des principaux sites d’actualité du pays, la brève annonçant la candidature du «gorgui» («le vieux», en wolof) fait partie des articles les plus vus et les plus commentés, avec des réactions diamétralement opposées. Des internautes regrettent le retour du «vieux kleptomane» quand d’autres le voient redresser le Sénégal. Mais son âge canonique – il serait en réalité encore plus âgé, selon ses opposants – n’est pas un problème pour ses partisans: «Son âge n’est pas une entrave, reprend Ibrahima Ndiaye, il se porte bien et a toutes ses facultés. La Constitution ne précise aucun âge limite pour être candidat, donc chaque Sénégalais peut exercer ses droits.»
Ce retour, cependant, n’a rien de triomphal. «Depuis son départ en 2012, le Parti Démocratique Sénégalais (PDS) n’a pas réussi à trouver de nouveau leader pour faire la transition, c’est à l’image de nombreux partis au Sénégal, dirigés par un homme ou un clan», diagnostique Babacar Ndiaye, blogueur, analyste politique et spécialiste des questions de gouvernance.
Le bilan de Macky Sall en question
Du côté de l’opposant emprisonné Khalifa Sall, on ne digère pas le coup de poker d’Abdoulaye Wade, devenu concurrent direct. «A l’heure où Emmanuel Macron a 39 ans, on propose le doyen de la classe politique sénégalaise», proteste dans la presse sénégalaise le député socialiste Barthélémy Dias, partisan du maire de la capitale.
Mais la forte opposition qu’avait rencontrée Abdoulaye Wade lors de sa défaite à la présidentielle de 2012 a laissé place à un silence pesant, et pour cause: son successeur semble avoir déçu, facilitant ce come-back. Les mouvements étudiants, qui protestaient en 2011 contre la tentative de réforme constitutionnelle de l’ex-président, sont restés discrets depuis l’annonce de son retour. Pis, ils manifestaient en mars dernier contre le «manque de démocratie et de justice» de Macky Sall, qu’ils soutenaient cinq ans plus tôt. Les incarcérations à répétition d’opposants et le procès, plus récemment, de jeunes ayant partagé une caricature du président, témoignent des difficultés de la coalition au pouvoir.
«Ce retour en grâce d’Abdoulaye Wade marque un échec politique de Macky Sall, qui n’a pas su porter les revendications des jeunes et du mouvement Yen a marre», décrypte pour Géopolis Caroline Roussy, docteur en histoire de l’Afrique contemporaine à l’université Paris I. «C’est assez étonnant de voir qu’il n’arrive pas à effacer la figure paternelle et incontournable de M.Wade, qui n’en est pas à son premier retour en politique. Beaucoup de Sénégalais avec qui j’ai échangé ont l’impression qu’il est le seul à avoir fait quelque chose, comme par exemple la construction d’infrastructures, malgré les différents chantiers poursuivis par Macky Sall depuis 2012. La vie est de plus en plus chère alors qu’on voit de belles villas se construire et de grosses voitures circuler dans Dakar. Des fonds sont injectés sans réelles retombées dans la vie quotidienne des Sénégalais ce qui participe à accroître le mécontentement», poursuit-elle.
Abdoulaye Wade n’est pourtant pas exempt de tout soupçon sur ce plan. Son fils Karim aurait un patrimoine de plus d’un milliard d’euros et a été condamné à plus de 210 millions d’euros d’amende et six ans de prison pour enrichissement illicite. Les deux ans qu’il a passés derrière les barreaux entre 2014 et 2016 – avant d’être gracié par le président Macky Sall – ont permis de remobiliser les partisans du clan Wade, qui a déjà désigné Karim candidat à la présidentielle de 2019 pour le Parti Démocratique Sénégalais.
Le camp présidentiel ne jubile pas
Même s’il peut se frotter les mains de voir son opposition scindée par le retour d’Abdoulaye Wade, le camp présidentiel reste fragile. Certains dissidents ont rallié des listes rivales, comme la députée de la majorité Hélène Tine, passée du côté du maire de Dakar Khalifa Sall, ou encore Ibrahima Abou Nguette, leader d’un parti proche du pouvoir, limogé de son poste de directeur de la Construction pour avoir présenté sa propre liste.
«J'ai beaucoup d'estime pour M. Wade, pour son âge et son statut d'ancien président, mais ce retour marque l'échec de l'opposition assène Lassana Koïta, secrétaire administratif de la coalition présidentielle en France. Il n'a plus rien à démontrer mais garde en tête son projet de faire élire son fils président en 2019, dont l'égibilité est menacée. C'est pareil pour Khalifa Sall, qui est en prison : si sa liste gagne, il pourra plus facilement se présenter aux prochaines élections présidentielles. Ces personnes sont guidées par leurs ambitions personnelles, c'est une insulte pour la relève générationnelle.»
Preuve de la fébrilité, malgré tout, de la coalition majoritaire, le casting de la liste présidentielle, conduite par le Premier Ministre Mahammed Boun Abdallah Dione, s’est fait dans une certaine tension. Macky Sall, lui-même, a suspendu les assemblées générales d’investiture aux législatives, craignant des débordements. Avec 45 listes en lice, le scrutin s'annonce plus morcelé que jamais.
Malaise démocratique
Dans un paysage politique fragmenté, c’est donc encore l’incertitude qui prime, à un mois des élections. Bien que contestée, la coalition sortante (119 sièges sur 150) a de sérieuses chances de profiter des divisions pour conserver le pouvoir, mais le modèle démocratique sénégalais, régulièrement vanté dans la sous-région, s’en voit écorné.
«Il y a un malaise profond dans la démocratie sénégalaise», explique Caroline Roussy, qui rappelle au passage la persistance depuis 30 ans du conflit en Casamance, dans le Sud du pays. «Cette élection est symptomatique de l’échec de la classe politique sénégalaise, qui ne parvient pas à se renouveler: le pouvoir d’achat n’a pas progressé, Macky Sall fait mettre en prison des opposants… On a un sentiment du "tous pourris" qui se généralise», déplore la chercheuse, qui travaille régulièrement au Sénégal depuis douze ans.
Alors que les embastillements à répétition ont surtout servi à galvaniser les partisans des leaders visés, la contestation commence à prendre d’autres formes, parfois plus inquiétantes. «On observe depuis quelque temps une radicalisation de l’islam, avec un développement du salafisme, explique Caroline Roussy. Ces mouvements proposent une plus juste redistribution des richesses et prônent une certaine rigueur morale dans un contexte où les scandales à répétition se multiplient. Ce sont des discours qui peuvent être audibles.»
Malgré une situation peu encourageante, tout n'est pas figé. «Il faut noter un certain renouvellement des candidatures, observe Babacar Ndiaye, avec plusieurs personnes qui sont en politiques depuis peu, comme l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye ou Ousmane Sonko (ancien inspecteur général des impôts, NDLR). Mais ils auraient dû se fédérer, pour avoir leurs chances.»
Les élections législatives se tiendront le 30 juillet. 105 députés seront élus au scrutin majoritaire à un tour et 60 autres à la proportionnelle. Nouveauté apportée par la révision constitutionnelle de 2016, quinze sièges seront réservés à des représentants des trois millions de Sénégalais de la diaspora.
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