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Rwanda : l'image de Paul Kagame se brouille de plus en plus

Il a été le sauveur du Rwanda en renversant le pouvoir génocidaire. Paul Kagame a aussi relevé son pays. Mais son pouvoir est de plus en plus autocratique.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
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Temps de lecture : 4 min
Paul Kagame prononce un discours, le 7 avril 2021 à Kigali, lors de la commémoration du 27e anniversaire du génocide au Rwanda. (HABIMANA THIERRY / ANADOLU AGENCY)

Qui est Paul Kagame ? Redresseur du pays pour les uns, despote pour les autres. L'image que renvoie le président du Rwanda est au final très brouillée. Il est l'un des hommes politiques africains les plus en vue, même s'il est à la tête d'un tout petit pays.

Un chef de guerre à bonne école

Paul Kagame est né le 23 octobre 1957 à Gitarama, dans le centre du Rwanda. Mais c'est en Ouganda, où sa famille a émigré en 1961 pour fuir déjà les premières violences contre les Tutsis, qu'il va se construire. On sait peu de choses de ses jeunes années, ni pourquoi à 22 ans il rejoint la National Resistance Army (NRA) qui lutte contre le régime d'Idi Amin Dada.

Bonne pioche en tout cas pour le jeune Kagame. Il accompagne ainsi jusqu'au pouvoir le leader de la NRA, un certain Yoweri Museveni, toujours président de l'Ouganda à ce jour.

Museveni pour mentor

Quand en 1986, à 29 ans, Paul Kagame aux côtés de Museveni entre en libérateur dans Kigali, il a déjà largement embrassé la carrière militaire. Récompense de la victoire, il se retrouve propulsé chef des services secrets.

Un poste qui va lui permettre de tisser des liens avec la diaspora rwandaise installée en Ouganda pour fuir le régime dictatorial et pro-Hutu de Juvénal Habyarimana. Il rejoint alors le commandement du Front Patriotique Rwandais (FPR), groupe armé qui a aidé Museveni dans ses combats. Le FPR sera pour Kagame la pièce essentielle pour prendre le pouvoir au Rwanda.

Le tournant du génocide

Lorsque le génocide éclate au Rwanda en 1994, Kagame et le FPR luttent déjà contre l'armée rwandaise depuis 1990. Cette dernière, pourtant mieux équipée et plus forte en hommes, s'effondre alors que les atrocités se multiplient dans le pays. Le FPR renverse le régime génocidaire et devient alors aux yeux des Rwandais, mais aussi de la communauté internationale, le sauveur du pays.

Paul Kagame, alors chef de guerre à la tête du Front Patriotique Rwandais, lors d'une conférence de presse à Kigali le 5 juillet 1994. (PIERRE BOUSSEL / AFP)

Une aura dont Paul Kagame bénéficie toujours. Dans un portrait très critique, Gérard Prunier écrit : "Protégé par le blindage génocidaire, il sait pouvoir faire pratiquement ce qu’il veut."

Le renouveau du Rwanda

S'il ne devient président qu'en 2000, Paul Kagame est en fait le vrai patron depuis la prise du pouvoir par le FPR. Il va œuvrer à la reconstruction du pays et les résultats sont pour beaucoup probants. "Dans les pays occidentaux, le Rwanda est principalement associé à trois projets politiques : l'égalité des femmes, la promotion des nouvelles technologies et les mesures de protection de l'environnement", énumère la Deutsche Welle.

Si la Banque mondiale salue le boom économique du pays, "la croissance s’est établie en moyenne à 7,2% au cours de la dernière décennie, tandis que le PIB par habitant progressait de 5% par an", elle en pointe aussi les limites. "La question du partage de la croissance reste un défi fondamental. La dynamique de réduction de la pauvreté s'est essoufflée ces dernières années."

L'image se craquèle

Mais au fil du temps, l'image de sauveur dont bénéficie Paul Kagame va se craqueler. Cela commence par le rôle qu'il a pu tenir dans la mort du président rwandais Juvénal Habyarimana. Longtemps, la justice française a enquêté sur l'implication de Paul Kagame dans le tir du missile qui a détruit l'avion présidentiel et provoqué le génocide. L'enquête s'est finalement conclue par un non-lieu en 2018.

A Bruxelles, des opposants en exil protestent contre la venue en Belgique du président rwandais Paul kagame, le 6 décembre 2010. (NICOLAS MAETERLINCK / BELGA)

Plus lourdes encore sont les accusations portées contre le Rwanda dans son rôle en RDC entre 1993 et 2003. Le rapport sur les exactions commises durant les deux guerres reste lettre morte, en raison notamment du Rwanda qui mène une obstruction systématique. Paul Kagame ne reconnaît aucune responsabilité de son armée dans ces crimes de guerre.

"Un habile politique, froid et intraitable"

Il reste enfin les critiques sur le pouvoir de plus en plus autocratique du président Kagame. "Paul Kagame est un dictateur qui gouverne le Rwanda avec un fer à repasser", a déclaré le dissident David Himbara à la Deutsche Welle. Tout doit être lisse donc, et Kagame n'aime guère la contradiction.

Les ONG de défense des droits humains ne sont pas en reste pour pointer du doigt un régime très vertical. "Plusieurs membres de l'opposition ont été arrêtés ou menacés, et les autorités omettent régulièrement de conduire des enquêtes crédibles sur les cas de disparitions forcées et de morts suspectes d'opposants au gouvernement", écrit Human Rights Watch.

Rayonnement international

En 2018, Paul Kagame assure pour un an la présidence de l'Union africaine. Le choix des Etats membres en dit long sur son influence et sa renommée en terres africaines. Le réchauffement avec la France est le dernier succès en date du président rwandais. Longtemps il a ferraillé contre Paris afin que la France reconnaisse sa part de responsabilité dans le génocide. C'est désormais chose faite et Paul Kagame semble n'avoir rien cédé dans ce bras de fer. Son rayonnement en Afrique va sûrement encore grandir.

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