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Rwanda : de héros salvateur à terroriste, les démêlés de l'opposant Paul Rusesabagina

L'homme avait protégé plus d'un millier de personnes en 1994, en les accueillant dans son hôtel de Kigali au plus fort du génocide. Une action popularisée par le film "Hôtel Rwanda".

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4min
Paul Rusesabagina encadré par deux policiers arrive au tribunal de Kigali, le 2 octobre 2020. Sa demande de libération pour raison de santé a été une nouvelle fois rejetée. (SIMON WOHLFAHRT / AFP)

Aux yeux du monde, l'homme est un héros. Dans son palace de Kigali, l'Hôtel des Mille collines, Paul Rusesabagina avait accueilli et sauvé du génocide plus d'un millier de personnes. Il est désormais au centre d'une étrange affaire politico-judiciaire. Se sentant menacé par le pouvoir, Rusesabagina vivait depuis 1996 en exil en Belgique, puis aux Etats-Unis, bien loin de Kigali. Il y soutenait ostensiblement le Mouvement rwandais pour le changement démocratique (MRCD), parti politique qui appelle à renverser Paul Kagame, le président du Rwanda.

Brusquement, le 31 août dernier, Paul Rusesabagina réapparaît au Rwanda, encadré par deux policiers. Il vient d'être arrêté à sa descente d'avion à Kigali. Rusesabagina dit avoir été piégé. De Dubaï où il séjournait, il pensait avoir pris un jet privé à destination du Burundi. Les autorités rwandaises affirment avoir bénéficié d’une "coopération internationale" pour son arrestation.

Quelles accusations ?

Avec 18 compatriotes rwandais inculpés dans le même dossier, il est accusé de terrorisme et d'être le chef de file du Front de libération nationale (FLN), la branche armée du Mouvement rwandais pour le changement démocratique. Devant le tribunal le 2 octobre 2020, Rusesabagina a reconnu soutenir des groupes d'opposition, y compris un groupe armé comme le MRCD/FLN, fondé il y a environ trois ans, mais nie toute participation à des actions violentes.

A charge, on attribue à Paul Rusesabagina un clip vidéo qui appelle à l'insurrection."Je supplie notre jeunesse de se lancer contre l'armée de Kagame pour libérer le peuple rwandais", y déclare-t-il. Un clip largement diffusé par les partisans du président rwandais afin de démontrer la dangerosité du personnage, jusqu'alors considéré comme un héros national.

Le héros est-il devenu un ennemi public ?

En 1994, lors du génocide au Rwanda, Paul Rusesabagina est le gérant du palace Hôtel des Mille Collines à Kigali. C'est le lieu de prédilection de la haute société, qui aime se prélasser autour de la piscine. "C'était l’hôtel le plus luxueux de la ville. Celui des diplomates, des intellectuels, des étrangers qui travaillaient dans l'humanitaire", rappelle le journal Jeune Afrique.

Rusesabagina connaît donc beaucoup de monde. Au cœur du génocide, il va profiter de ses relations pour mettre à l'abri dans son hôtel plus de 1 200 tutsis pourchassés. "Au total, 1 268 personnes, Tutsis, mais aussi Hutus opposés au régime, trouveront refuge dans l’hôtel", précise Jeune Afrique.

Un film sorti en 2004 raconte cet épisode, où le directeur de l'établissement détient le beau rôle. La vérité est selon certains plus grise. Rusesabagina réclamant notamment que les chambres soient payées.

Sa famille est inquiète

La famille de Paul Rusesabagina affirme qu'il a été kidnappé et illégalement livré au Rwanda. Le fameux clip vidéo a été, selon elle, fabriqué de toute pièce par les partisans de Kagame. Elle dénonce aussi le fait que l'accusé n'a pas choisi ses défenseurs, semble-t-il commis d'office.

Par deux fois – la dernière le 2 octobre dernier , sa demande de mise en liberté pour raison de santé a été rejetée par la justice, estimant qu'il recevait d'excellents soins au Rwanda. "Mon père est entouré de personnes qui veulent le faire tomber", a accusé Trésor, le fils de Rusesabagina.

Il faut dire que les disparitions suspectes d'opposants au régime de Paul Kagame se multiplient. Dernière en date, la mort en prison de Kizito Mihigo, le chanteur qui avait osé contester le récit officiel du génocide rwandais. Une nouvelle fois arrêté le 13 février 2020, il se serait suicidé dans sa cellule quelque jours plus tard.

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