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Tchad: quand austérité rime avec répression et corruption
«La population paie le prix fort des mesures d’austérité» imposées par les autorités tchadiennes, analyse Amnesty International (AI) dans un rapport publié le 16 juillet 2018. Le budget de la santé a ainsi été «réduit de plus de 50% en quatre ans», alors que le gouvernement réprime sans ménagement les manifestations de protestation.
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En 2015, la chute des prix du pétrole, dont dépend largement l’économie du Tchad, a entraîné une grave crise économique, «exacerbée par un manque de diversification économique», selon le rapport d’Amnesty. D’autant que le régime du président Idriss Déby avait contracté un prêt auprès de la société suisse Glencore, qui commercialise ses hydrocarbures. Prêt de plus d’un milliard de dollars, «qui représentait plus de la moitié de la dette du pays d’Afrique australe», rappelle Les Echos. Un accord a finalement été trouvé entre les deux parties. Autre facteur d’aggravation de la situation financière: la lutte contre les attaques des djihadistes de Boko Haram. Sans parler de l'accueil des réfugiés venus d'Etats voisins (Nigeria, Niger, Cameroun, Centrafrique, Soudan), et des Tchadiens déplacés dans le sud et près du lac Tchad.
Les conséquences sociales de la situation économique sont lourdes dans un pays où «la moitié de la population vivait déjà sous le seuil de pauvreté» (Libération). Motif, selon Amnesty, «les institutions financières internationales (notamment le FMI, NDLR) qui ont prêté de l’argent au Tchad pendant cette crise ont conditionné leur aide à une réduction des dépenses générales».
De l’austérité avant toute chose
Pour satisfaire ces conditions, le gouvernement tchadien a mis en place de sévères mesures d’austérité dans les secteurs sanitaire, social et éducatif. A commencer par la réduction de plus de moitié du budget de la santé sur la période 2013-2017. Dans ce contexte, les financements aux hôpitaux ont diminué, aux dires d’Amnesty. Les dépenses consacrées au programme national de gratuité des soins d’urgence ont baissé de 70%. Un chauffeur de 40 ans a ainsi raconté à AI comment, lors de l’accouchement de sa femme, il a «tout payé». Alors qu’auparavant, tout était «gratuit».
Dans le même temps, les autorités ont réduit le recrutement des fonctionnaires, «rares salariés d’un pays ayant l’un des plus faibles taux d’emploi au monde», 8,2% (Libération). Leurs salaires et leurs indemnités ont été diminués de respectivement 20% et 50%. L’assiette fiscale a été élargie, notamment pour les serviteurs de l’Etat. Dans ce contexte, «il est devenu difficile pour les employés du secteur public de subvenir aux besoins de leur famille», observe l’organisation des droits de l’Homme.
Dans le secteur de l’éducation, le gouvernement a suspendu la bourse annuelle (l’équivalent d’environ 550 euros) attribuée aux étudiants. Les frais d’inscription ont été multipliés par deux dans les universités publiques.
«Sursaut patriotique national» et corruption
Le pouvoir rétorque qu’il n’y a pas d’alternative. Le pays se trouve «dans une situation de précarité qui nécessite un sursaut patriotique national», a expliqué le ministre de la Fonction publique à l’agence Anadolu. En clair, l’austérité serait un mal nécessaire. D’autant que, selon les autorités, la masse salariale de la fonction publique a été multipliée par six en quinze ans. Celle-ci représenterait près de trois quarts du budget de l’Etat.
Mais les mesures d’austérité sont d’autant plus insupportables que la corruption semble toucher jusqu’au clan présidentiel. Celui-ci «est insatiable sur le plan de l’argent. C’est une mentalité. Pour eux, voler, s’approprier le bien d’autrui, c’est s’affirmer en tant qu’homme», dénonce dans Libération Dobian Assingar, ancien président de la ligue tchadienne des droits de l’Homme.
Manifestations
Au cours de l’hiver 2018, la population a tenté de s’opposer à ces mesures lors de manifestations dans les principales villes du pays. Elles ont été durement réprimées. Au moins 150 personnes auraient été arrêtées, plusieurs auraient été torturées, selon Amnesty. «Le pouvoir semble parfaitement insensible à la pression sociale», rapporte Libération. «La seule chose qui pourrait lui faire peur, ce sont des manifestations. On a tenté malgré tout de sortir, mais à chaque fois, la police empêche le rassemblement», a raconté un syndicaliste à l’envoyé spécial du quotidien français.
La liberté d’expression a été restreinte. AI rappelle ainsi que «depuis la mi-mars 2018, l'accès à certains réseaux sociaux est limité». Une employée de la société privée de télécommunications Airtel a indiqué «que les restrictions d'accès à WhatsApp et à Facebook (ont) été ordonnées par les autorités tchadiennes. Et ce contrairement aux affirmations du gouvernement selon lesquelles il s'agissait très probablement d'un "problème technique"», observe le rapport.
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