Simone et Laurent Gbagbo : les futurs Ex resteront-ils unis sur le front politique ?
Le divorce annoncé de l'ancien couple présidentiel ivoirien marque la fin d'une union singulière.
Simone Ehivet Gbagbo, l'ancienne première dame de Côte d'Ivoire qui vient de fêter en grande pompe ses 72 ans, a une rivale depuis 2001 : sa compatriote Nadiana "Nady" Bamba, 47 ans. C'est au bras de son épouse coutumière que Laurent Gbagbo, 76 ans, est rentré en Côte d'Ivoire, le 17 juin 2021, après son acquittement par la Cour pénale internationale (CPI) en 2019. Quelques jours plus tard, celui que l'on surnomme le Woody de Mama (qui signifie le garçon de Mama, son village natal dans l'ouest ivoirien) semble avoir tranché en faveur de celle qui l'a accompagné durant cette dernière décennie, la mère de son plus jeune fils. Dans un communiqué daté du 21 juin, Laurent Gbagbo par la voix de son avocat Me Claude Mentenon a annoncé qu'il a demandé le divorce d'avec Simone Gbagbo, sa compagne officielle depuis janvier 1989. Redevenu catholique la veille, alors que le couple était chrétien évangélique depuis le milieu des années 90, l'ancien chef d'Etat semble vouloir remettre de l'ordre dans une vie dont son épouse depuis trois décennies sera exclue.
Secret de polichinelle
La nouvelle a suscité de nombreuses réactions chez les anonymes et les éditorialistes en Côte d'Ivoire et en dehors qui soulignent la dimension politique de cette affaire très privée. D'aucuns pointent l'inélégance de sa manière de communiquer sur cette séparation avec la mère de ses jumelles et son alliée politique de toujours. D'autres s'interrogent sur le timing : est-ce la priorité d'annoncer son divorce quand militants et sympathisants, mobilisés depuis une décennie, attendent de lui un investissement politique ? "Laurent Gbagbo est-il vraiment revenu au pays pour faire de la politique, c’est-à-dire réunifier son parti dans la perspective des nécessaires batailles pour la démocratisation du pays ? Rien n’est moins sûr. Les signaux qu’il a choisi d’envoyer à l’opinion publique sont en effet terriblement ambigus. L’ancien numéro un ivoirien n’en finit pas d’afficher son 'extimité' de manière franchement problématique", résume ainsi dans un billet le journaliste Théophile Kouamouo, fin connaisseur des intrigues qui animent le clan Gbagbo.
L'officialisation de ce désir de séparation a suscité la surprise. Pourtant, des articles en font écho depuis plusieurs mois. En février 2021, par exemple, Le Monde Afrique rapportait les propos d'un proche du fondateur du Front populaire ivoirien (FPI) : "Laurent a tourné la page Simone, il veut passer à autre chose (...). Quand Simone est sortie de prison, Laurent a mandaté un avocat et lui a proposé un divorce à l’amiable. Depuis, la relation n’a cessé de se compliquer." "Si la proposition, vécue comme une 'répudiation', vexe Simone Gbagbo, de bonne source, elle finit par proposer un deal : le divorce contre la présidence du parti", précise l'article. Simone Gbagbo est aujourd'hui la deuxième vice-présidente de l'aile du FPI restée fidèle à son fondateur. En 2018, à la disparition du premier vice-président Aboudramane Sangaré fait "gardien du temple" par Gbagbo, il n'avait pas laissé son épouse monter en grade. Laurent Gbagbo avait confié les rênes de son parti à l'actuel secrétaire général, Assoa Adou. "L'impasse a commencé, il y a maintenant trois tendances au FPI (la troisième branche du FPI, celle officiellement reconnue par les autorités ivoiriennes, est celle dirigée par l'ancien Premier ministre Pascal Affi N'Guessan, NDLR)", confiait alors en 2018 le politologue Jean Alabro à RFI.
De "la place" de Simone Gbagbo au FPI
Si Laurent Gbagbo est "le père" du premier parti d'opposition ivoirien, le titre de "mère" peut être naturellement attribué à l'ancienne première dame ivoirienne que ses partisans appelaient déjà "Maman". En lui rendant hommage le 7 août 2018 à sa sortie de prison après avoir été amnistiée de la peine de vingt ans de prison qu'elle avait écopé en 2015 pour "atteinte à la sûreté de l'Etat", Aboudramane Sangaré avait salué son courage originel. "C'est Simone qui est venue avec Gbagbo Laurent (...) nous trouver pour dire 'On va créer un parti'. Nous-mêmes, on avait peur." Et d'ajouter : "Au FPI, chacun connaît sa place et Simone sait quelle est sa place." Une place qu'elle s'évertue à préserver et qui est le fruit de son rôle clé dans l'appareil poltique du parti jusqu'à la crise post-électorale de 2010 qui a cristallisé son image de femme à poigne.
Simone Gbagbo a souvent, depuis le coup d'Etat du 19 septembre 2002 qui a acté la partition de la Côte d'Ivoire, incarné l'aile dure du FPI au pouvoir. Ainsi, en 2010, c'est à sa coépouse Nady Bamba, devenue la communicante de Laurent Gbagbo durant la présidentielle, que certains font appel pour convainvre le dirigeant de quitter le pouvoir. Mais elle n'a, semble-t-il, plus l'oreille de Laurent Gbagbo. C'est seule, avec son fills, qu'elle quittera le pays. Le clan Gbagbo, y compris sa femme officielle Simone, se réfugiera dans le palais présidentiel. En exil, Nady Bamba sera quelques temps frappée par les sanctions européennes qui touchent les proches du chef du FPI.
Simone Gbagbo, elle, a été arrêtée aux côtés de son mari le 11 avril 2011. Réunis à l'Hôtel du Golfe durant quelques heures, ils seront ensuite séparés pendant leur incarcération dans le nord de la Côte d'Ivoire : la première est envoyée à Odienné, le second est détenu à Korhogo avant d'être transféré à La Haye. Simone Gbagbo est jugée en 2015 et purgera sa peine en Côte d'Ivoire. Le gouvernement ivoirien a toujours refusé de la livrer à la CPI malgré un mandat d'arrêt émis contre elle en 2012. Depuis sa libération après sept de détention, la 2e vice-présidente du FPI pro-Gbagbo, fervente chrétienne, prône "le pardon" et la réconciliation nationale. A l'instar de son futur ex-compagnon.
Quelques heures avant d'aller accueillir son "époux" à l'aéroport où elle n'aurait pas été la bienvenue – la brève accolade entre les deux personnalités le confirmerait –, Simone Gbagbo a donné sa version de la symbolique du retour de L'ancien président. "Nous sommes arrivés au terme d'un combat politique et juridique qui a concerné la nation ivoirienne toute entière (...) Ce combat-là, nous l'avons gagné. Le retour au pays de mon époux, le président Laurent Gbagbo, est la conclusion positive et victorieuse de cette lutte. Je me rends à l'aéroport pour saluer cette victoire parce qu'elle ouvre de nouvelles perspectives heureuses pour notre nation." Les Gbagbo peuvent-ils alors envisager de se faire la guerre au sein du FPI et prétendre réconcilier les Ivoiriens ? Les pronostics sont ouverts.
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