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Rwanda: un juge français va confronter un ministre de Kagamé à un nouveau témoin

Le juge français chargé de l’enquête sur l’assassinat du président rwandais Juvénal Habyarimana en 1994, envisage de confronter un nouveau témoin avec deux membres du clan du président Paul Kagamé. L’un d’entre eux est James Kabarebe, actuel ministre rwandais de la Défense. Un homme qui a réussi à occuper de hautes fonctions politiques et militaires dans trois Etats africains différents.
Article rédigé par Alain Chémali
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Le ministre rwandais de la Défense, James Kabarebe, en compagnie d'Hervé Ladsous, Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l'ONU, à Kigali, le 12 septembre 2012. (MONUSCO/Sylvain Liechti)

Avis de tempête sur les relations entre Paris et Kigali. Le juge français Clément Herbo, qui a repris l’enquête sur l’assassinat du président rwandais Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994, veut confronter le clan Kagamé à un nouveau témoin.

Des révélations accablantes pour Kigali 
Entendu deux fois en mars 2017, ce témoin, âgé de 41 ans et d’origine tutsie, apporterait des révélations accablantes. Il  affirme avoir fait partie de la section qui surveillait les deux missiles SA-16, qui ont servi à abattre l’avion d’Habyarimana, au quartier général du Front Patriotique Rwandais (FPR), à Mulindi. 
 
Début mars 1994, lui et ses camarades les auraient chargés sur un camion à destination de Kigali, en présence de James Kabarebe, jeune gradé du Front à l’époque et ministre rwandais de la Défense aujourd’hui.
 
C’est justement ce haut responsable et un des deux tireurs de missile, Frank Nziza (le deuxième Eric Hakizimana étant décédé), que le juge Herbo entend confronter au nouvel accusateur.
 
Celui-ci raconte qu’«en juillet 1994, les deux tireurs sont revenus dans leur unité. Ils nous ont alors raconté (…) qu’ils ont tiré depuis un endroit nommé Massaka, et plus précisément encore depuis un pont où ils avaient vue sur l’aéroport.»

Débris de l'avion de l'ancien président rwandais, Juvénal Habyarimana, abattu par un tir de missile le 6 avril 1994, à son arrivée sur Kigali. Sa mort a servi de déclencheur au génocide qui a fait 800.000 morts, selon l'ONU, essentiellement de la minorité tutsie. (GERARD GAUDIN/BELGA/AFP)

James Kabareke se félicite de la réussite de «la mission» 
Un témoignage qui corrobore la thèse de l’infiltration d’un commando rebelle derrière les lignes des Forces armées rwandaises (FAR) afin d’abattre l’avion présidentiel à son approche de la capitale rwandaise, depuis une colline dominant l’aéroport.
 
Plus encore, le témoin rapporte les propos de James Kabareke, dont il fut membre de la garde personnelle, se félicitant, le 6 avril au soir, de la réussite de «la mission».

Agé de 58 ans, James Kabareke fait partie des neuf personnes proches du président rwandais visées par des mandats d’arrêt lancés en 2006 par le juge Jean-Louis Bruguière. Une décision qui avait entraîné la rupture des relations diplomatiques avec Paris.
 
Nommé le 10 avril 2010 ministre de la Défense du Rwanda, il a déjà derrière lui une solide carrière militaire. Réfugié rwandais en Ouganda, il a grandi dans ce pays où il deviendra un proche de Salim Saleh, le frère du président Musseveni, «qui a repéré les talents du jeune exilé tutsi», écrit Jean-Philippe Rémy dans Le Monde.
 
Devenu officier des services de renseignements en Ouganda, James Kabareke sera présenté par Salim Saleh à Paul Kagamé, dont il s’efforce de gagner la confiance.
 
D'aide de camp de Paul Kagamé au ministère de la Défense
Au moment du génocide, déclenché en 1994 par l’assassinat d’Habyarimana, il devient l’aide de camp du chef  du FPR avec rang de lieutenant-colonel de l’Armée patriotique rwandaise et chef de l’unité du haut commandement à Mulundi, chargée de planifier les opérations et d’établir les stratégies de conquête du pouvoir à Kigali.
 
En 1996, il est envoyé en mission au Congo (ex-Zaïre) où il rejoint les forces de Laurent-Désiré Kabila avec lequel il travaille avec succès à la chute de Mobutu. Il devient même, en 1997, chef d’état-major de la nouvelle République Démocratique du Congo.
 
En 1998, lors de la deuxième guerre du Congo, «il fait figure de génie, raconte Jean Philippe Rémy. Il lance une opération inouïe pour tenter de reprendre Kinshasa par une opération aéroportée sur plus de 2000 kilomètres. Le coup échoue, mais James Kabarebe, désormais en charge des opérations, mène le combat sur tous les fronts.»
 
A la fin de la guerre, il rentre au Rwanda où, en jeune fidèle de Kagamé, il devient chef d’état-major général avant d’hériter du portefeuille de la défense.
 
Seule personnalité de la région à avoir occupé de hautes fonctions politico-militaires dans trois pays différents, sa confrontation avec ce nouveau témoin, ordonnée par le juge Herbo pour la mi-décembre, pourrait s’avérer aussi embarrassante pour lui que pour son président.

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