Que sont devenus les Algériens déportés en Nouvelle-Calédonie?
Ils s'appellent Salem, Aïfa, Larbi ou Ben Amar et vivent à quelque 20.000 km de l'Algérie, en Nouvelle-Calédonie. Leur présence sur cette terre du Pacifique, devenue française en 1853, raconte une histoire de déportation, d'exil forcé mais aussi une intégration dans un nouveau monde sans abandon d'une certaine mémoire.
Sur la stèle de l’île des Pins, qui commémore la déportation en Nouvelle-Calédonie des Communards de 1871, le visiteur peut voir deux noms arabes. Ceux des proscrits d’une autre insurrection, la même année, en Algérie. 212 d’entre eux furent condamnés aux Assises en 1873 pour avoir protesté contre la famine et la colonisation à être déportés en Nouvelle-Calédonie où ils croisèrent les Communards.
Saviez-vous que des Algériens ont été déportés en Nouvelle-Calédonie il y a 150 ans pendant la colonisation ? Aujourd'hui, leurs descendant·e·s rêvent de voir l'Algérie. pic.twitter.com/V9aQhFD33R
— AJ+ français (@ajplusfrancais) May 7, 2018
Communards et révoltés de Kabylie
La rencontre entre les deux groupes de révoltés est racontée par l’héroïne de la Commune: «Un matin, dans les premiers temps de la déportation, nous vîmes arriver dans leurs grands burnous blancs, des Arabes déportés pour s’être, eux aussi, soulevés contre l’oppression. Ces Orientaux, emprisonnés loin de leurs tentes et de leurs troupeaux, étaient simples et bons et d’une grande justice», raconta Louise Michel.
Les déportés algériens s'étaient aussi révoltés en 1871 contre la colonisation. En Kabylie notamment. «L’insurrection s’étend sur une grande partie du territoire algérien, la Kabylie, les environs d’Alger, les Aurès, ou le Hodna… dirigée, entre autres, par Mohamed El Mokrani Boumezrag, Améziane Ben Cheihh El Haddad, puis ses fils Aziz et Mohamed El Haddad ; elle dure un an, et s’achève en janvier 1872. La répression est impitoyable: massacres, déportations, condamnations à mort, amendes, séquestres collectifs et individuels, expulsion des tribus de leur territoire. Comme il est écrit, le 1er juin 1871, dans le journal des colons La Vérité algérienne, "l’insurrection fournissait une occasion providentielle pour asseoir une forte domination européenne…" et pour récupérer les terres pour les colons», raconte le site Commune1871.
A cette époque, la France a du mal à mobiliser des volontaires pour peupler cet archipel du bout du monde. Afin de remédier à ce problème, elle déporte là bas toute sorte de condamnés dès 1864 et jusqu'en 1898. Les condamnés politiques de la Commune mais aussi de nombreux droits communs (ou condidérés comme tel) et notamment des Algériens. C'est pourquoi, la grande majorité des Arabes déportés en Nouvelle-Calédonie, durant ces années, sont considérés comme des droits communs.
Une fois sur place, les «Arabes» ne connaissent pas tous le même sort. Si les déportés politiques peuvent éventuellement rentrer un jour dans leur pays, les autres n'ont aucune chance de pouvoir revenir. Lorsqu’en 1879 l’amnistie des Communards est proclamée, les déportés kabyles en sont exclus ; obligation leur est faite de résider sur le territoire calédonien. Les anciens Communards qui eux ont été libérés et rapatriés ne cessent de demander le retour des Arabes. L’amnistie tant attendue n’intervient que le 1er février 1895, mais il faut attendre 1904 pour que soit levée l’obligation de résidence.
Colonisés et colonisateurs
Les déportés sont confrontés aussi au problème de la colonisation. Les habitants originels de l’île voient la colonisation prendre leurs terres. En 1878 éclate une révolte canaque. «Pour la mater, le bagne tout proche est un réservoir d'hommes inespéré. Bou Mezrag Mokrani le frère du bachaga qui a soulevé la Kabylie, interné à l'île des Pins, offre ses services au gouverneur Olry. Il espère ainsi une remise de peine. Avec une quarantaine de ses hommes, il participe à la répression qui s'abat sur les Canaques», raconte Le Monde, tandis que d'autres déportés kabyles refusent de participer à la répression.
«Nous avons aidé à coloniser le pays en étant nous-mêmes des colonisés», résume un descendant de ces déportés arabes.
La plupart des déportés kabyles resteront en Nouvelle-Calédonie où ils font souche. On les retrouve aujourd’hui dans la vallée de Nessadiou, à Bourail, à Nouméa, fermiers, chauffeurs de taxi, éleveurs de chevaux ou de moutons, universitaires… et fiers de leurs ancêtres. Mais l'implantation a été difficile. Les conditions de vie étaient très dures. Une fois libérés, les ex-bagnards se sont vu confier des lopins de terre qu'il a fallu cultiver.
La «vallée des Arabes»
«Nous étions des déracinés»
Pour la création de familles, l’Etat français a trouvé la solution. En effet, selon des temoignages, les déportés venus d'Algérie n'ont pas le droit de faire venir leurs familles, contrairement à ceux qui viennent de métropole. Mais des femmes condamnées sont envoyées dans des couvents en Nouvelle Calédonie où les sœurs organisent des rencontres entre ces femmes et les hommes. «Le condamné libéré en quête d’épouse vient choisir l’élue, dans le kiosque, sous la houlette des sœurs», rappelle le site de la commune de Bourail, une des communes de la «vallée des Arabes» en Nouvelle-Calédonie.
«Les premières unions ont lieu à Bourail avec des Européennes, des relations se nouent aussi avec des femmes mélanésiennes. Dans les générations suivantes, les filles de ces premières unions se marient souvent dans le milieu arabe. La souche survit, les patronymes se transmettent même quand ils sont transformés par l'administration, mais la langue qui ne peut pas être apprise aux enfants par des mères qui ne la parlent pas, se perd», raconte M.Taïeb Aïfa, qui a connu un destin politique dans l'archipel.
Petit à petit, langue et religion se perdent. Surtout que la seule école qui est accueillante pour leurs enfants est l’école chrétienne qui exige changement du prénom et baptème. Ce qui explique que l’un des Calédoniens les plus célèbres dans la vie politique locale soit connu comme Jean-Pierre Aïfa et non Taïeb Aïfa, son nom originel. Mais aujourd'hui, la coupure avec les origines est acceptée. «J'ai eu un choc terrible, raconte Taieb Aïfa, lorsqu'à El Eulma, j'ai retrouvé la terre ou mon père était né mais, l'émotion passée, il a fallu nous rendre à l'évidence ; il nous serait culturellement difficile d'y vivre. Un siècle après, nous étions des déracinés.»
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