Procès de l'assassinat de Thomas Sankara : les témoins se succèdent et reconstituent petit à petit le fil des événements
Le procès des assassins présumés du dirigeant burkinabè Thomas Sankara a démarré le 25 octobre octobre dernier.
Le procès des meurtriers présumés de l'ancien président burkinabè Thomas Sankara a démarré le 11 octobre dernier, 34 ans après son assassinat le 15 octobre 1987. Mais il a été reporté dans la foulée au 25 octobre suite à la demande d'avocats de la défense commis d'office qui souhaitaient plus de temps pour pouvoir étudier "les 20 000 pièces du dossier". Les accusés se succèdent ainsi à la barre depuis près de deux mois. Qu'a-t-on appris des circonstances de la mort d'une icône africaine depuis l'ouverture du procès, notamment du rôle de ceux qui sont considérés comme les acteurs clé du coup de force ? A savoir l'ancien président Blaise Compaoré, le général Gilbert Diendéré ou encore l'ancien membre de la garde présidentielle de Compaoré, Hyacinthe Kafando.
Un procès pour l'Histoire
Arrivé au pouvoir par un coup d'Etat en 1983, le capitaine Thomas Sankara a été tué avec douze de ses compagnons par un commando lors d'une réunion au siège du Conseil national de la révolution (CNR) à Ouagadougou. Il avait 37 ans. Douze des 14 accusés assistent au procès qui se tient après vingt-sept ans de silence imposé par le régime de Blaise Compaoré, l'ancien président burkinabè. Successeur de Thomas Sankara après son assassinat, il a été chassé du pouvoir en 2014 par la rue. L'affaire Sankara a été relancée en 2015 par le régime de transition démocratique et un mandat d'arrêt a été émis contre Blaise Compaoré par la justice burkinabè en mars 2016.
Accusé de "complicité d'assassinats", "recel de cadavres" et "attentat à la sûreté de l'Etat", l'ex-chef d'Etat vit en Côte d'Ivoire, un pays dont il a acquis la nationalité. Bras droit de Sankara, Blaise Compaoré a toujours nié avoir commandité l'assassinat de son frère d'armes et ami intime. Le principal accusé ne s'est pas présenté devant le tribunal militaire de Ouagadougou, qui a pris ses quartiers dans une salle de banquet pouvant contenir environ 300 personnes. Tout comme l'ancien adjudant-chef Hyacinthe Kafando, en fuite, ancien membre de la garde présidentielle de Blaise Compaoré soupçonné d'avoir été le chef du commando ayant assassiné Thomas Sankara. Avec le général Gilbert Diendéré, un des principaux chefs de l'armée lors du putsch de 1987, Blaise Compaoré et Hyacinthe Kafando sont considérés comme les principaux protagonistes de cette affaire. Des trois, seul le général Diendéré qui devenu chef d'état-major particulier du président Blaise Compaoré, est présent au procès. Ecroués deux jours avant l'ouverture du procès, les accusés présents bénéficient d'une liberté provisoire prononcée le 26 octobre 2021. A l'exception du général Diendéré. Ce dernier purge une peine de 20 ans de prison pour une tentative de coup d'Etat en 2015. Dans le procès Sankara, les mêmes chefs d'accusation pèsent sur lui et l'ancien chef d'Etat.
"C'est un jour de vérité pour moi, ma famille et tous les Burkinabè", avait déclaré à l'ouverture du procès, Mariam, la veuve de Thomas Sankara. Signataire d'une pétition dans ce sens, elle espérait que le procès soit filmé "pour l'Histoire". Une requête rejetée par le président du tribunal.
Yamba Elysée Ilboudo corrobore les faits
Dès le 26 octobre 2021, le premier des accusés à s'exprimer devant le tribunal militaire de Ouagadougou, le soldat Yamba Elysée Ilboudo, a raconté les détails de l'assassinat de Sankara. Le 15 octobre 1987, le témoin se trouvait "au domicile de Blaise Compaoré". C'est chez ce dernier que "Hyacinthe Kafando, qui nous commandait en tant que chef de sécurité, m'a demandé de démarrer un véhicule pour nous rendre au conseil de l'Entente", le siège du Conseil national de la Révolution où s'est produite la tuerie, a affirmé à la barre le soldat de première classe aujourd'hui âgé de 62 ans. Sur place, Kafando et "Maïga, qui conduisait lui le véhicule de Blaise Compaoré, sont descendus et ont tiré en désordre", sans indiquer le prénom de ce dernier.
Yamba Elysée Ilboudo, qui affirme être resté dans son véhicule sans tirer, raconte qu'après les premiers tirs, il a vu Thomas Sankara "sortir de la salle de réunion, les mains en l'air, demander ce qui se passe". "C'est Hyacinthe Kafando et Maïga qui l'ont croisé. Je ne sais pas qui a tiré en premier sur le président Sankara. Il est tombé sur les genoux avant de basculer sur le côté gauche", a-t-il développé. "Ils ont abattu froidement le président Sankara qui est sorti les mains en l'air et sans armes". Me Ferdinand Nzapa, l'avocat de la famille Sankara, a estimé alors qu'il s'agissait du "seul accusé à être très coopératif". Yamba Elysée Ilboudo, qui avait plaidé coupable le premier jour de son audition, finira par plaider non-coupable par la voix de son avocate, Me Eliane Kaboré, le 27 octobre au dernier jour de son audition.
Hyacinthe Kafando "préparait le coup"
Le nom de Hyacinthe Kafando a été de nouveau cité le 21 décembre 2021, rapporte le journal burkinabè Sidwaya. Il a été accusé de préparer le putsch du 15 octobre 1987 par un témoin. Alexis Ouédraogo, aujourd'hui âgé de 68 ans, était chef de division à la Direction de la surveillance du territoire en 1987. Selon lui, "un certain nombre de renseignements rassemblés dans une note faisait ressortir cinq à six jours avant qu’un coup d’Etat était en préparation". "Le sergent-chef Hyacinthe Kafando était celui qui préparait le coup. Il contactait des militaires et cherchait à avoir des explosifs et des munitions", a-t-il répondu à la question du président du tribunal, Urbain Méda, l'interrogeant sur "qui préparait le coup d’Etat ?"
Gilbert Diendéré, homme clé
L'adjudant-chef Abdrahamane Zetiyenga, ancien collaborateur du général Gilbert Diendéré, a assuré le 9 décembre à la barre que l'officier avait planifié l'action du commando responsable de l'assassinat. Le témoin l'a accusé d'avoir joué un rôle clé dans l'assassinat du 15 octobre 1987. Selon le militaire, Gilbert Diendéré avait reçu une note des renseignements selon laquelle Thomas Sankara avait décidé d'arrêter Blaise Compaoré. Il aurait alors décidé d'interpeller Thomas Sankara en premier.
L'avocat de Gilbert Diendéré, Me Olivier Yelcouni, a mis en cause un "témoignage douteux" de l'adjudant-chef Zetiyenga. En réponse, Me Prosper Farama, avocat de la partie civile, s'est dit "conforté sur le fait que le général (Diendéré) a bien coordonné l'action du commando le 15 octobre 1987". D'autres témoins ont chargé au cours de ce procès le général Diendéré, l'accusant d'avoir été le superviseur direct de l'assassinat. Appelé à la barre, celui qui a déjà plaidé non coupable a nié en bloc, expliquant notamment n'avoir jamais reçu de note des renseignements comme l'a déclaré l'adjudant-chef Zetiyenga.
Situation délétère entre Sankara et Compaoré avant son assassinat
Avant le début des interrogatoires, le 26 octobre 2021, le tribunal a écouté des fichiers audio et vidéo datant de 1987 dans lesquels Blaise Compaoré justifie les événements de ce 15 octobre, résultant selon lui de "divergences fondamentales nées depuis un an sur des questions opérationnelles du processus révolutionnaire". Dans l'un des fichiers, Compaoré qui avait participé en 1983 au coup d'Etat ayant porté au pouvoir Thomas Sankara, le présente comme un "traître à la révolution qui menait un pouvoir autocratique" et "personnel".
A l'instar de l'adjudant-chef Abdrahamane Zetiyenga qui a mis en lumière la responsabilité du général Diendéré dans l'assassinat, différents témoins qui se sont succédés ces dernières semaines à la barre font le récit de la détérioriation des relations entre Sankara et Compaoré, deux amis devenus artisans de la révolution au Pays de hommes intègres (la signification de Burkina Faso en moré). Plusieurs témoins ont également reconnu l'existence d'une crise entre les hommes de Thomas Sankara et de Blaise Compaoré, certains n'y voyant pas d'autre issue qu'un affrontement.
A la reprise du procès le 25 octobre, une liste d'une soixantaine de témoins que le tribunal souhaite entendre, par visioconférence pour ceux qui vivent à l'étranger, a été établie. Parmi eux figurent l'ancien ministre français des Affaires étrangères Roland Dumas, ainsi que Jack Lang, ancien ministre de la Culture. Tout comme Jean-Christophe Mitterrand, fils du président François Mitterrand, qui était conseiller pour les affaires africaines de son père au moment des faits. "Il y a des anciens ministres de la France, d'anciens diplomates", a précisé Me Mamadou Coulibaly, un avocat de la défense. "On a mis leur nom, mais leur adresse est toujours en cours de recherche. C'est dire que probablement certains ne savent pas qu'ils doivent témoigner", a ajouté Me Coulibaly.
A l'ouverture du procès, le réseau international "Justice pour Thomas Sankara, justice pour l'Afrique" avait souligné le risque qu'il n'aborde pas le rôle joué par la France, les Etats-Unis et des pays ouest-africains comme la Côte d'Ivoire de Félix Houphouët-Boigny et le Togo de Gnassingbé Eyadema, alors ulcérés par les prises de position anti-impérialistes de ce jeune révolutionnaire adulé par la jeunesse africaine. Côté français, lors d'un voyage à Ouagadougou en novembre 2017, le président français Emmanuel Macron avait annoncé la levée du secret-défense sur des documents relatifs à son assassinat.
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