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Droits des femmes : le chimérique leadership des Africaines

Le continent africain a battu un nouveau record en termes de femmes élues au Parlement en 2020. Mais quand il s'agit de leur confier des postes de décision, le constat est moins brillant.

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Vue générale du parlement égyptien, le 16 février 2017. La participation des femmes y a atteint un record en 2020. (REUTERS/ATEF HUSSEIN)

Une présidente, l’Ethiopienne Sahle-Work Zewde, la seule dirigeante du continent, et trois Premiers ministres – la Gabonaise Rose Christiane Ossouka Raponda, la Namibienne Saara Kuugongelwa-Amadhila et la Togolaise Victoire Tomegah-Dogbé – suffisent à démontrer la quasi absence des Africaines dans les plus hautes sphères de décision.

Plus de parlementaires

Les chiffres encourageants publiés par l'Union interparlementaire (IPU) le 7 mars 2021, à la veille de la Journée internationale des droits des femmes, ne suffisent pas à être optimistes. En 2020, les femmes représentaient 25% des parlementaires en Afrique subsaharienne. Une performance proche du record de 25,5% établi dans le monde. Le meilleur élève sur le continent, et au-delà, étant le Rwanda, où la proportion des femmes parlementaires est de plus de 50%. Cuba et les Emirats arabes unis enregistrent des proportions comparables.

En termes de record, le Mali s'est particulièrement distingué en 2020, en dépit d'un contexte politique et sécuritaire tendu. Les Maliennes ont remporté aux législatives "41 des 147 sièges (27,9%) du Parlement monocaméral, triplant presque leur représentation précédente (9,5%)", note le rapport de l'IPU pour qui il s'agit du "plus fort gain" à l’échelle  de la planète. Le Niger est également à l'origine d'une belle performance : "La représentation des femmes au Parlement unicaméral, qui affichait un taux d’à peine 1,2% en 1996, avait été portée à 14,6% aux élections précédentes. En 2020, elle a encore grimpé de 11 points pour atteindre 25,9%." 

En Afrique du Nord, l’Egypte fait figure de bon élève à la faveur d'une politique de quotas, qui existe depuis 1956, dûment renouvelée et appliquée. "En juin (2020), rapporte l'IPU, le Parlement égyptien a approuvé l’amendement d’un article de la Constitution prévoyant d’allouer 25% des sièges de la Chambre des représentants à des femmes. En octobre 2020, 20 femmes ont été nommées au Sénat (chambre haute) par décret présidentiel, ce qui a doublé la représentation des femmes dans cette chambre haute nouvellement créée (...). Finalement, un record historique a été atteint au Parlement égyptien en 2020, avec une proportion de femmes de 26,2% à la chambre basse, malgré un petit 13,3% à la chambre haute."

Faible représentation dans les sphères de décision

Dans d'autres sphères de pouvoir, les statistiques sont moins reluisantes en Afrique. Ainsi, le document qui présente la nouvelle stratégie de l’Union africaine pour l’égalité entre les hommes et les femmes montre que "22% de femmes siègent aux conseils des ministres, 14% sont des directrices de conseils d’administration, avec des variations régionales considérables. Plus généralement, "l'Afrique de l’Est occupe la première position en matière de représentation des femmes au Parlement et de leur nomination comme membres (de cabinets ministériels), mais elle se voit devancée par l’Afrique australe en matière de leadership féminin dans le secteur privé. Environ 5% seulement de femmes sont président-directeur général (PDG) dans le secteur privé en Afrique. Les données disponibles indiquent que seuls le Botswana et l’Afrique du Sud ont dépassé les 30% de femmes dans le secteur public."

"Pour que les femmes aient une voix, elles ont besoin d’être représentées de manière équitable dans tous les domaines de prises de décision", poursuit le document. A l’origine de cet engagement, entre autres, le Protocole de Maputo ratifié en 2017 par "plus de 80% des Etats membres" de l’organisation panafricaine. Il entend garantir "aux femmes des droits exhaustifs, notamment le droit à la participation aux processus politiques".

Cette revendication de leadership féminin est mise en avant par les Nations pour l’édition 2021 de la célébration de la Journée internationale des droits des femmes. Autrement, "vu la tendance actuelle, il faudra attendre 2150 avant de parvenir à la parité entre les sexes au plus haut poste de l’Etat", regrette la directrice exécutive d'ONU Femmes, Phumzile Mlambo-Ngcuka. Dans un entretien accordé à la chaîne américaine ABC, celle qui fut pionnière dans son pays en occupant le poste de vice-présidente de 2005 à 2008 en Afrique du Sud, met en avant la nécessité d'avoir des Etats champions qui donnent l'exemple car il n'y a, selon elle, rien de tel que "la pression des pairs".

Le parcours sans faute de plusieurs dirigeantes dans la gestion de la crise sanitaire dans les premiers mois de la pandémie liée au Covid-19, l’élection de Kamala Harris à la vice-présidence des Etats-Unis – la première femme à occuper ce poste dans l’histoire de son pays –, ou la récente nomination de la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala à la direction générale de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) rend cette vieille revendication féministe encore plus pertinente. La pandémie ayant de nouveau démontré que les femmes étaient essentielles. Mais si elles "représentent 70% des personnels de santé et de soins à la personne", a l'échelle mondiale, elles ne constituent que "30% des dirigeants".

D'indispensables piliers de la société dont il est primordial de préserver les droits, notamment quand les femmes sont engagées dans la vie publique et ont des postes à responsabilité. Ces dernières sont plus exposées alors que les violences et le harcèlement en ligne se sont accrus partout dans le monde. La Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala a fait récemment l'objet d'un article discriminant dans la presse suisse. Les auteurs ont rapidement présenté leurs excuses d'autant que la nouvelle directrice générale de l'OMC a reçu de nombreux soutiens, en particulier d'éminentes personnalités féminines.

En attendant, l'UA tente aussi de donner l'exemple depuis quelques années. Même si la première femme à présider la Commission de l'UA (élue en 2012 pour quatre ans), la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, n’a pas laissé un souvenir impérissable, la Commission de l'UA a aujourd'hui pour la première fois une vice-présidente, en la personne de la Rwandaise Monique Nsanzabaganwa. En outre, quatre des nouveaux commissaires de l'organisation panafricaine (qui en compte au total six), sont des femmes. Et ces dernières ne sont pas reléguées aux postes habituels de la famille ou de la santé, note l'universitaire Ashwanee Budoo-Scholtz dans un article de The Conversation. 

Elargir le champ d'action des femmes, c’est leur proposer par exemple un portefeuille comme celui de la Défense. Plusieurs Etats africains se sont déjà lancés : "Marie-Noëlle Koyara pour la Centrafrique (2017); Monica Juma, Secrétaire du Cabinet de la Défense du Kenya (2020); Oppah Muchinguri, ministre de la Défense du Zimbabwe (2018), la sud-Africaine Nosiviwe Mapisa-Nqakula (2012); Angelina Teny, devenue le 12 mars 2020 la première ministre de la Défense du Soudan du Sud; et la dernière en date, la Togolaise Essozimna Marguérite Gnakadé, nommée par la Première ministre le 1er octobre 2020", rapporte Voice of Africa. 

Du côté des Nations unies, sur les vingt femmes nommées à de hauts postes de direction par le secrétaire général António Guterres, en 2020, neuf sont Africaines

Un (nécessaire) soupçon de volonté politique

Malheureusement encore, la promotion du leadership féminin se décide notamment en prenant "des mesures spéciales temporaires (...) dans les instances de prises de décision", précise le document de l’UA présentant sa stratégie en faveur de l’égalité des genres. Au Burkina Faso, par exemple, explique l'IPU dans son dernier rapport, le "repli" des femmes parlementaires est dû à "l'insuffisante application des quotas (qui) a reflété l’absence de volonté politique (caractérisant) depuis des décennies l’approche de l’autonomisation politique des femmes (dans le pays). Cette situation n’a pas changé après le soulèvement populaire de 2014 qui a mené à la chute de Blaise Compaoré". En dépit de leur participation active, le "mouvement des femmes est resté relativement faible et désorganisé et le processus de transition, précipité et entaché de violence, leur a laissé peu de temps pour se coordonner et conclure des alliances avec les acteurs politiques favorables à la réforme."

En l'absence de volonté politique, la société civile s'active. Ainsi, selon l'UA, "en janvier 2014, plusieurs associations, inspirées par le rôle des femmes durant les révolutions, ont lancé un projet pour encourager 100 femmes à participer aux élections qui allaient se tenir plus tard durant l’année". Résultat : 12 d’entre elles ont présenté leurs candidatures sur des listes électorales et trois ont été élues l’Assemblée. Une expérience similaire est menée en Ouganda par ONU Femmes.

De même, la Libérienne Ellen Johnson Sirleaf, première présidente élue du continent africain et prix Nobel de la paix, a récemment lancé par le biais de sa fondation The Amujae Initiative l'objectif de former de nouvelles générations de femmes leaders en Afrique.

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