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Des Tunisiens dans l'enfer de la Première guerre mondiale

Selon des chiffres officiels français, quelque 60.000 Tunisiens ont été engagés sur des fronts de la Première guerre mondiale. 16.000 de ces soldats sont morts sur les champs de bataille. Soit plus d'un quart de l’effectif initial pour une population totale estimée, à l'époque, à 1,8 million d'habitants (11 millions aujourd'hui).
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Carte postale montrant des tirailleurs maghrébins marchant dans les rues d'Amiens en 1914 (AFP - STR - Historial de Péronne)

D'autres données plus anciennes (1984) font état d'une participation humaine plus élevée (plus de 80.000 hommes) dans le conflit et de pertes beaucoup plus importantes (près de 36.000 tués). Mais une chose est sûre: dès 1914, la Tunisie est totalement engagée dans la guerre contre l'Allemagne. Elle «fournit des hommes et les matières premières indispensables à l’effort de guerre de la France», rapporte le site de la Mission française du centenaire de la Première guerre mondiale. Plusieurs régiments de tirailleurs tunisiens (RTT) ont ainsi été levés. Selon la Mission, le plus connu est le 4e RTT qui a participé «aux batailles de Verdun et du Chemin des Dames».

Concernant les combattants proprement dits, l’historien Gilles Manceron, sur son blog de Médiapart, cite un rapport décrivant des hommes «qui se sont mutinés avant le départ». «Incorporés dans les tranchées dès leur arrivée et épuisés de fatigue», ils sont «incapables de tout effort offensif».

«La fatigue, le froid et l’humidité aidant, ils sont démoralisés» et ils «souffrent plus de l’humidité que les troupes métropolitaines», affirme un autre document mentionné par la même source. Dans le journal de marche d’une unité, on lit que «le régiment a eu 300 évacués pour pieds gelés en un mois», toujours selon le même blog.

Des soldats tués pour l'exemple
Dans le cadre proprement dit des combats, plusieurs sources historiques font référence à une affaire de militaires tunisiens qui auraient été tués pour l’exemple en décembre 1914 sur le front de l’Yser. Une affaire apparemment très peu étudiée. L’historien Antoine Prost y fait référence dans un rapport intitulé Quelle mémoire pour les fusillés de 1914-1918? et remis en octobre 2013 au ministre des Anciens combattants.

Une autre historien, Jean-Yves Le Naour, se fait plus précis dans son livre Fusillés : enquête sur les crimes de la justice militaire (p. 128-129), cité par le forum du site pages 1418 : «Complètement épuisé, le 8° tirailleurs avait refusé de sortir des tranchées (…). Il s'en était suivi la colère du général Foch, commandant le groupe des armées du nord, qui réclama la décimation d'une compagnie pour servir d'exemple. Le 15 décembre 1914, on désigna donc un homme sur dix au hasard, sans décision de justice, puis on promena ces infortunés devant leurs camarades avec une pancarte où était inscrit le mot ‘‘lâche’’ en français et en arabe avant de les passer par les armes».

«L’exécution a lieu le 15 décembre: on a fait fusiller 10% des hommes de la 15e compagnie du 8e tirailleur», précise le site de la section de Toulon de la Ligue des droits de l’homme. Cette source ne fournit pas le nombre de fusillés.

Au cours de la même période, six Tunisiens, «accusés de mutilations volontaires», furent, rapporte Gilles Manceron, «condamnés pour ‘‘abandon de poste sur un territoire en état de guerre’’, non pas à être fusillés car on doute de la valeur d’exemple, mais à des peines de prison aussitôt suspendues pour les renvoyer au front, probablement pour être utilisés dans des missions mortelles».

Ouvriers tunisiens quasi-«esclaves de guerre»
Outre ces hommes, directement engagés dans les combats, il faut également mentionner les milliers d’autres (plus de 20.000, selon certaines sources) employés dans les champs et les usines pour remplacer les Français partis au front.

Les travailleurs coloniaux, auxquels appartenaient les Tunisiens, «ont travaillé et vécu isolément de leurs homologues français, en des conditions qui ressemblent plus à celles de prisonniers ou même d’esclaves de guerre qu’à celles d’ouvriers indépendants», rappelle l’historien américain Tyler Sovall, cité dans un article de son collègue français Jean-François Jagielski.

La Tunisie dans les collections de l'ECPAD

A lire aussi
«Pour l’exemple, Un sur Dix ! Les décimations en 1914», Gilbert Meynier, Politique aujourd’hui, janvier-février 1976, pp. 55-70 (cité par le rapport d'Antoine Prost). Inaccessible sur internet.

Les tirailleurs tunisiens à la gare d’Austerlitz (Paris)
Les Tunisiens dans la guerre de 1914-1918: une mémoire centenaire oubliée

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