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Des couteaux dans les cartables, la violence s'est "banalisée" en milieu scolaire au Cameroun

De jeunes élèves qui s’affrontent au couteau et qui n’hésitent pas à s’en prendre à leurs professeurs, avec des morts à la clef. La cote d’alerte a été franchie au Cameroun. 

Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Des élèves du lycée Mbokomo dans la région centre du Cameroun.  (Photo/E.Deudjui)

Le blogueur camerounais Ecclésiaste Deudjui assiste depuis quelques années à ce qu’il qualifie de "descente aux enfers" . Il a été particulièrement choqué par la mort d’un jeune professeur de mathématiques de 26 ans, poignardé à mort par son élève de 15 ans, qui refusait la sanction infligée par la victime. Ce crime s’est déroulé en plein jour dans un établissement de Yaoundé, le 14 janvier 2020.

"L’élève indiscipliné était occupé à consulter son portable lorsque son professeur lui a demandé de sortir de la classe. Il est sorti, puis il est revenu avec l’intention d’entrer en classe par la force. Une altercation avec l’élève s’en est suivie et ce dernier a sorti un couteau qu’il avait dissimulé dans ses affaires. Les coups portés au jeune professeur ont été malheureusement mortels", raconte-t-il à franceinfo Afrique.

"La situation devient de plus en plus critique"

Ecclésiaste Deudjui rappelle que l’année dernière déjà, un élève de 17 ans avait été poignardé à mort dans un lycée de Douala. Le 15 janvier, dans un lycée du centre du pays, un autre élève s’est vu amputer les doigts de la main à coups de machette, par son condisciple pour une histoire de téléphone. Chaque jour, constate-t-il, on recense des élèves qui s’en prennent à leurs enseignants. Ils n’hésitent pas à les gifler, à leur donner des coups de poing. Le jeune professeur de mathématiques poignardé à mort par son élève de 15 ans à Yaoundé ne supportait plus le laisser-aller qui s’installe dans le milieu scolaire.

On assiste au Cameroun à une sorte de banalisation de la violence en milieu scolaire. Soit des élèves envers les enseignants, soit des parents d'élèves envers les enseignants. La situation devient de plus en plus critique.

Ecclésiaste Deudjui, blogueur camerounais

à franceinfo Afrique

Le blogueur camerounais décrit à franceinfo Afrique une jeunesse qui perd de plus en plus ses points de repère. Des élèves tombés progressivement dans la débauche, sous l’emprise de l’alcool et de la drogue notamment. C’est le cas de l’élève qui a assassiné ce professeur à l’arme blanche à Yaoundé.

"L’alcoolisme est devenu un véritable fléau en milieu scolaire. Les bars fleurissent aux alentours des écoles. Les élèves consomment de l’alcool sans aucune retenue. D’autres sont devenus addict à la drogue de synthèse. Ils consomment du chanvre indien et arrivent à l’école dans un état second", témoigne-t-il.

Le métier d’enseignant s'est paupérisé

Des jeunes qui passent des heures plantés devant la télévision. Ils ont facilement accès à des images macabres et à des scènes d’une violence inouïe qu’ils s’amusent à partager sur les réseaux sociaux. Pas donc étonnant, explique-t-il, de les voir s’en prendre à leurs enseignants dont le métier s'est "paupérisé et totalement marginalisé".

Les enseignants ne sont plus respectés, ni par les élèves, ni par leurs parents. Et pour cause. Ils vivent dans la précarité, avec des salaires de misère. Ils arrivent en classe en haillons. Les élèves ne leur reconnaissent plus aucune autorité morale

Ecclésiaste Deudjui, blogueur camerounais

à franceinfo Afrique

Et pour illustrer ses propos, Ecclésiaste Deudjui raconte la mésaventure de certains enseignants qui subissent des violences de la part des parents d’élèves dont les enfants ont été sanctionnés. "Avant, l’enseignant avait le droit de punir ses élèves pour les ramener à l’ordre. Aujourd’hui, tout cela a été interdit. Il y a une circulaire qui interdit aux enseignants de lever la main sur leurs élèves."

Et que dire de ces pères et mères de famille qui ont démissionné de leurs responsabilités d’éducateurs, interroge-t-il. Ces parents qui, croyant bien faire, répondent à tous les caprices de leur progéniture. "Ces enfants sont devenus des rois. Ils pensent qu’ils n’ont pas de comptes à rendre à qui que ce soit. Ils n’apprennent plus, ni le civisme, ni la morale, ni la probité", constate-t-il.

Apprendre aux enfants que tout n'est pas permis

Il est grand temps de tirer le signal d’alarme, lance Ecclésiaste Deudjui. Pour que chacun prenne ses responsabilités, à commencer par les parents. "Ils doivent apprendre à leurs enfants qu’ils vivent dans un monde qui a des règles, dans une société régie par des lois. Qu’il y a des choses qui leur sont autorisées et d’autres interdites", plaide-t-il.

Ecclésiaste Deudjui pointe aussi la responsabilité des pouvoirs publics. Pour lui, la violence ne disparaîtra pas tant que les établissements scolaires camerounais n’auront pas été réhabilités par l’Etat pour en faire des lieux plus accueillants. Certaines écoles ne disposent ni d’eau courante, ni d’électricité. Avec des classes surchargées, où s’entassent parfois plus de 100 élèves. Comment voulez-vous qu’ils apprennent quoi que ce soit dans ces conditions, interroge-t-il.

Autant de préalables qu’il juge prioritaires avant de procéder à l’installation de vidéo-surveillance ou de recruter "de gros bras" pour assurer la sécurité dans les écoles, comme le suggèrent certains de ses compatriotes.

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