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Côte d'Ivoire: la fuite du cacao au Ghana, un fléau pour l'économie

La Côte d'Ivoire a renforcé son dispositif pour lutter contre la fuite de son cacao chez son voisin ghanéen. L'armée est déployée depuis le 1er décembre 2017 dans la région de l’Indénié-Djuablin (est). La filière du cacao est vitale pour l’économie du pays, premier producteur au monde de cette fève.
Article rédigé par franceinfo Afrique
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Un travailleur dans une coopérative agricole. (Kambou Sia / AFP)

Un détachement de gendarmerie a été déployé dans l'est de la Côte d'Ivoire, à la frontière avec le Ghana. Les gendarmes patrouillent notamment sur les pistes empruntées couramment par les trafiquants de cacao. Patrouilles renforcées depuis que les autorités ont constaté une augmentation de la contrebande.
 
En octobre 2017, après le lancement de la campagne de récolte, «le plus important producteur de cacao au monde, la Côte d'Ivoire, annonce la réduction d'un tiers des prix versés aux cultivateurs pour la nouvelle saison. Les agriculteurs recevront dorénavant un prix garanti de 700 francs CFA (1,23 dollars)/kg pour la plus importante des deux récoltes annuelles»explique La Tribune Afrique. Le gouvernement ivoirien tente de convaincre son voisin ghanéen de s'aligner sur la baisse annoncée. Mais Accra rejette la demande, et maintien son prix à 925 francs CFA, évidemment plus rémunérateur que le tarif ivoirien.

Cette différence de prix a accentué la contrebande de fèves de cacao entre les deux pays. Tandis que les producteurs de l’Indénié-Djuablin manifestaient leur colère. Au Ghana, «ils ont un système d’achat et de vente, qui leur permet de tenir ce prix (de 925 francs CFA) sur une longue période, en dépit des fluctuations sur le marché international. Evidemment, (de leur côté), les planteurs (ivoiriens) sont tentés» par le prix ghanéen, révèlent de nombreux acteurs de la filière café-cacao de l’Indénié-Djuablin cité par le site Linfodrome.
 
«Si rien n’est fait pour améliorer le prix (rémunérant les) producteurs ivoiriens, je n’hésiterai pas exploiter toutes les occasions de vendre mon cacao au Ghana», déclare l’un d’eux. «L’annonce de ce prix a été ressentie comme un cataclysme (chez les) producteurs. La pauvreté va à nouveau s’accentuer dans le monde paysan (…). Le gouvernement a purement et simplement abandonné les producteurs à leur triste sort. (…) La fixation d’un tel prix par rapport à celui en cours au Ghana, est purement du mépris pour les planteurs qui constituent pourtant, la cheville ouvrière de l’économie ivoirienne», précisent les acteurs de la filière. 
Fin octobre 2017, trois tonnes de cacao sont saisies à Bouadoukro.  (AIP )

En novembre, le préfet de la région de l’Indénié-Djuablin et du département d’Abengourou, Fadi Ouattara, qui a conduit une mission de sensibilisation du comité de suivi des activités de la filière café-cacao (CDS) dans les localités frontalières du Ghana, a invité les populations à s‘impliquer activement dans la lutte contre la fuite du cacao, précise l’AIP (l’Agence Ivoirienne de Presse).
 
«Je suis venu demander à vous tous, chefs de villages, chefs de familles, chef de communautés, responsables de jeunes et de femmes de tout faire pour empêcher que le cacao de la Côte d’Ivoire parte enrichir le Ghana», a-t-il lancé dans les différents villages visités.

«La gravité de la situation requiert notre implication à tous dans cette lutte pour protéger l’économie ivoirienne basée essentiellement sur le cacao. Nous devons tous conjuguer nos efforts pour qu’aucune fève de cacao ne franchisse la frontière du Ghana», a ajouté le président du CDS du département d’Abengourou.
 
Le site d’information ivoirien Fraternité Matin ajoute: d’après les «informations recueillies auprès de la direction régionale du Conseil café-cacao, il ressort que depuis quelque temps, des signes de complicité, de crainte et de frilosité, ont été notés au sein des comités villageois de lutte installés dans les localités rurales dans le cadre de cette lutte. Toute chose qui a laissé libre cours aux activités de nombreux trafiquants actifs dans la zone.» Des postes tenus par les forces sécuritaires ont été incendiés par des villageois en colère. Au mois de novembre, à Agnibilékrou, «à la suite du décès accidentel par balle de l’un de ces trafiquants qui venait de convoyer sa production au Ghana», les heurts entre forces de l’ordre et populations se sont multipliés.
 
«Face à cette situation de peur et de complicité, il fallait recourir à des acteurs extérieurs pour freiner le trafic», indique Ello Evariste, directeur régional du Conseil café-cacao, pour justifier le déploiement des militaires dans la région de l’Indénié-Djuablin.

Le cacao vers le Ghana, un trafic bien organisé
«Depuis près d’une trentaine d’années d’exercice dans la filière café-cacao, je n’ai jamais constaté» un trafic aussi important. «Et cela, au su de tout le monde, même des autorités», déclare un producteur agricole.
 
En juin 2017, des douaniers découvrent plus d’une trentaine de tonnes de fèves de cacao rangées dans des sacs de jute, dans une ferme avicole à Kotokossou. Une localité située à l’est du département d’Agnibilékrou, à quelques encâblures de la frontière ivoiro-ghanéenne.
 
Le trafic du cacao à Kotokossou n’est pas un cas isolé dans la région de l’Indénié-Djuablin. Les départements d’Abengourou et de Bettié sont, eux aussi, touchés par le phénomène. «D’intenses mouvements de véhicules ont été constatés dans la zone, durant toute la période allant du mois de mai à août 2017. Des motocyclistes, transportant de lourds sacs sur leurs engins, ont effectué d’innombrables ballets sur les nombreuses pistes de (la région). A l’analyse, cette production cacaoyère qui fuit vers ce pays limitrophe, n’est pas issue de la seule récolte de la région de l’Indénié-Djuablin. Lors de la récente campagne intermédiaire, des fèves de cacao convoyées depuis l’ouest ivoirien, se sont retrouvées régulièrement dans l'est ivoirien. Et ce, pour être en définitive écoulées clandestinement hors du territoire ivoirien», explique portail d’actualité Linfodrome.
 
Visiblement, les trafiquants de cacao n’ont aucune difficulté à écouler leurs produits. Ils disposent de nombreux relais dans les villages où les populations maitrisent parfaitement les langues ghanéennes.
 
De plus, «nous reconnaissons qu’il y a, par moments, une complicité entre les trafiquants et certains de nos hommes sur le terrain», regrette le colonel Kouakou Boko Antoine, directeur régional des douanes d’Abengourou.

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