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Nord du Nigeria : des foyers de "morts mystérieuses" se multiplient, avec la crainte d'une propagation du Covid-19

Depuis plusieurs semaines, de nombreuses personnes âgées vivant dans la région de Kano sont mortes sans que leurs symptômes aient été réellement diagnostiqués.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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En soutien aux hôpitaux de l'Etat de Kano (nord du Nigeria) qui manquent de moyens, des centaines de lits ont été installés sous une tente dans un stade, grâce à un don de l'homme d'affaires nigérian Aliko Dangote (photo prise le 7 avril 2020). (AMINU ABUBAKAR / AFP)

La forte augmentation récente du nombre de décès, pour la plupart inexpliqués dans le nord du Nigeria, fait craindre une forte propagation du coronavirus dans cette région parmi les plus pauvres au monde. Depuis la mi-avril 2020, Kano, la ville la plus peuplée du Nord, avec près de 10 millions d'habitants, a été le témoin de centaines de morts, en particulier parmi les personnes âgées.

Au début, les autorités ont attribué la responsabilité des décès à des maladies telles que le diabète, l'hypertension et le paludisme. Mais les résultats d'une mission officielle ont finalement conclu qu'ils étaient liés, pour la plupart d'entre eux, au coronavirus. Le 12 mai, l'Etat de Kano enregistrait officiellement 666 infections et 32 décès dûs à la maladie du Covid-19, soit le deuxième plus grand foyer du Nigeria après celui de l'immense mégapole de Lagos, dans le sud du pays.

"Autopsies verbales"

Ces chiffres sont en réalité le résultat de déductions médicales, car la somme des tests réalisés au Nigeria, notamment dans le nord, est insignifiante. Par ailleurs, dans cette région essentiellement musulmane, les proches enterrent les défunts quelques heures seulement après leur décès, sans possibilité d'être autopsiés. Les autorités doivent donc mener des "autopsies verbales", en interrogeant les familles sur les symptômes ante mortem.

Une démarche qui ne suffit pas à enrayer la multiplication de ces "morts mystérieuses", comme on les appelle sur place. Les foyers se multiplient dans les Etats voisins : Jigawa, Yobe. Et dernièrement dans la ville d'Azare, dans l'Etat de Bauchi, où une équipe d'épidémiologistes a été envoyée après le décès concomitant de 110 personnes, explique le chef traditionnel local, Mahmood Abdullahi.

Lorsque Kano éternue, c'est tout le Nord qui attrape la grippe

Dr Ibrahim Musa, médecin de la région

à l'AFP

Au nord du Nigeria, pays le plus peuplé d'Afrique avec 200 millions d'habitants, les taux d'extrême pauvreté (1,90 dollar par jour selon les critères de la Banque mondiale) frôlent 90% de la population dans certains Etats comme Sokoto ou Jigawa, selon les derniers chiffres officiels. Les échanges commerciaux au sein de la population sont très importants d'Etat à Etat. Au cœur de la bande sahélienne nigériane, se trouve Kano, capitale régionale, centre névralgique et possible source importante de contamination. Ainsi, au début du confinement, des milliers d'enfants des rues ont été renvoyés par camions dans leurs villages, faisant craindre qu'ils aient pu disséminer le coronavirus à travers les Etats voisins.

Le nombre de décès "dépasse l'entendement"

Déjà confrontés à d'autres pathologies, les systèmes de santé locaux sont à genoux, en manque de matériel et de personnel, face à l'expansion du nouveau coronavirus, apparu en Chine fin 2019.

"Nous ne pouvons pas nier le fait que le Covid-19 fait des ravages à Kano et dans la région, mais les autres épidémies qui ont précédé cette pandémie ajoutent encore des complications à gérer cette crise", explique le Dr Ibrahim Musa. En effet, cette période de l'année, d'avril à juin, est habituellement la plus chaude et la plus propice à la résurgence massive des maladies prévalentes dans cette région comme le choléra, la typhoïde, la méningite ou la rougeole. Ces pathologies, aujourd'hui additionnées au Covid-19, expliquent que "le nombre de décès dépasse l'entendement", souligne  Sadiq Wali, professeur de médecine à Kano.

Pendant un temps, les hôpitaux débordés et mal protégés ont fermé leurs portes aux malades "traditionnels" par crainte qu'ils soient aussi porteurs du coronavirus. Binta Mohammed, une habitante de Kano, a dû "regarder mourir" son mari de complications dues à son diabète. "Les quatre hôpitaux privés dans lesquels nous l'avons emmené ont refusé de le prendre de peur qu'il ait le virus", raconte-t-elle.

La vie continue comme avant

Finalement, le gouverneur de Kano Abdullahi Umar Ganduje a appelé les hôpitaux privés à admettre et à soigner tous les patients. Il leur a fait distribuer des masques et du gel hydroalcoolique pour leur protection.

Bien que les mesures de confinement soient toujours d'actualité à Kano, elles semblent de plus en plus difficiles à appliquer en raison de la pauvreté des habitants et de leur densité. Ainsi, malgré les "morts mystérieuses", la vie continue de façon quasi normale en cette période de ramadan, et les fidèles préfèrent se tourner vers Dieu, en se rendant à la mosquée malgré les interdictions, à défaut de pouvoir se défendre contre le coronavirus. "Ils ne se rendent pas compte du tremblement de terre qui s'annonce", souligne le Dr Musa, dépité.

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