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Serge Lazarevic : "La seule discussion que mes geôliers connaissaient, c’était les coups"

Article rédigé par franceinfo - Hugo Clément
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
L'ex-otage Serge Lazarevic, le 13 décembre 2014 sur le plateau du 20h de France 2. ( FRANCE 2)

EXCLUSIF FRANCE 2. Peu après son interview sur le plateau du journal de 20 heures samedi soir, l’ex otage Serge Lazarevic s’est confié à Hugo Clément, journaliste à France 2. Voici son récit. 

Il a passé 1111 jours en captivité aux mains d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Libéré mardi 9 décembre par ses ravisseurs, l'ex-otage Serge Lazarevic est rentré en France mercredi où il a été accueilli par François Hollande, sur le tarmac de l'aéroport de Villacoublay.

Samedi 13 décembre, invité du journal de 20 heures, il a répondu sur le plateau aux questions de Laurent Delahousse. Puis, loin des caméras, il s'est confié plus longuement à Hugo Clément, journaliste à France 2. Ses conditions de détention, ses relations avec ses geôliers, son retour en France... Serge Lazarevic explique comment il a vécu ces trois années de détention.

"Je n’ai appris la mort de Philippe Verdon qu’à ma libération"

Pendant un peu plus d’un an, Serge Lazarevic est détenu avec son ami et compagnon d’infortune Philippe Verdon, enlevé en même temps que lui en novembre 2011. "Parfois nous étions côte à côte, parfois les geôliers nous séparaient de quelques mètres. Nous parlions peu, mais nous parlions. Ils écoutaient nos conversations."

Un jour, les deux otages sont séparés avant un énième déplacement. A l’arrivée dans le nouveau campement, Philippe Verdon a disparu. Serge Lazarevic ne le reverra jamais. "Philippe était très malade, il souffrait d’un cancer du colon. J’étais persuadé qu’il avait été libéré à cause de ça et renvoyé en France. Je n’ai appris sa mort qu’à ma libération." Philippe Verdon a été retrouvé mort au Mali en juillet 2013, une balle dans la tête. Les circonstances de sa mort restent à ce jour inconnues.

"Je voulais qu’ils me prennent pour un fou"

En trois ans de détention, Serge Lazarevic n’a jamais dormi dans un bâtiment. Toujours dehors. "Dans le sable ou sur la roche. Pendant une centaine de jours, je suis resté attaché les mains derrière le dos et les chevilles liées. Pour me protéger la nuit, je n’avais qu’une couverture. Il faisait très froid, alors je dormais de 19h à minuit, et j’essayais de rester réveillé de minuit à 4 heures, pour que le corps soit en éveil, que je puisse me réchauffer."

Pour tenir et passer le temps, Serge Lazarevic s’impose une discipline de fer : environ quatre heures d’exercice physique tous les jours. "Je faisais des mouvements de karaté, des pompes, je soulevais des pierres comme des haltères. Deux ou trois fois, les geôliers sont venus s’entraîner avec moi."

Avec ces exercices, l’otage se maintient en forme, mais pas seulement. "Je voulais qu’ils me prennent pour un fou. Qu’ils se disent 'mais c’est quoi ce type qui fait 4 heures de sport en plein désert ?'. Je me frappais la tête avec des pierres, je me faisais saigner. Une fois, j’ai même pris le canon de la kalachnikov d’un des gardes, et je l’ai pointé sur mon front en lui disant 'vas-y tire !'. Je me disais que s’ils me prenaient pour un fou, ils me laisseraient un peu plus tranquille. Au bout d’un moment, leur comportement a changé, ils étaient moins durs avec moi."

"Nous étions battus, torturés"

Le début de la captivité de Serge Lazarevic, notamment quand il est détenu avec Philippe Verdon, est particulièrement difficile. "Nous étions battus, torturés. Très souvent. Ils nous frappaient avec des câbles métalliques. Je me souviens qu’ils ont eu la main particulièrement lourde un 31 décembre et un 1er janvier, comme s’ils voulaient fêter la nouvelle année à leur manière. J’avais l’impression qu’ils nous réservaient un traitement de faveur, dans le mauvais sens du terme. Depuis ma libération, j’ai compris que c’était peut-être à cause des choses qui étaient écrites sur Philippe et moi dans les journaux. Comme quoi nous étions des barbouzes, des mercenaires, des espions… Jusqu’au bout, ils (les geôliers, ndlr) me répétaient : 'tu es militaire, tu es militaire'."

En plus des coups, Serge Lazarevic doit supporter un régime alimentaire réduit au minimum. "La nourriture, c’était du pain, du pain et encore du pain. Parfois un peu d’huile qu’ils laissaient au soleil pendant des jours. Une fois, j’ai fait une grève de la faim : une semaine sans manger et sans boire. Je voulais tester mon organisme." A certains moments plus qu’à d’autres, l’otage faiblit. Il souffre d’hypertension, ne s’hydrate pas assez. Son corps lâche. Comme cette période où son foie le fait atrocement souffrir. "Je gémissais, je faisais tellement de bruit qu’ils m’ont mis à 200 mètres du campement."

Malgré ces douleurs, Serge Lazarevic explique qu'il effectue des corvées : chercher de l’eau ou du bois. "Ils ne m’imposaient rien. C’est moi qui leur ai proposé d’aller au point d’eau, et de ramener jusqu’à 30 litres sur mes épaules au retour. J’ai très vite compris l’intérêt que j’avais à faire ça : pouvoir en profiter pour me rafraîchir, me laver."

"Pendant un an et demi, je comptais les jours. Après, j’ai arrêté"

Pendant trois ans, le groupe qui détient Serge Lazarevic ne cesse de se déplacer. "On bougeait toutes les deux semaines environ. Je ne savais pas du tout où je me trouvais." A t-il gardé la notion du temps ? "Pendant un an et demi, je comptais les jours, je savais combien de temps était passé. Mais après, à la moitié de ma détention, j’ai arrêté de compter. Je me suis dit 'à quoi ça sert ? Ca ne va pas te faire sortir de savoir depuis combien de temps tu es ici'."

A t-il songé à s’enfuir ? "Au tout début, dans les deux ou trois premiers jours de captivité, j’ai dit à Philippe (Verdon) : 'si on veut s’enfuir, c’est maintenant, parce qu’on a encore nos forces'. Alors j’ai fait semblant de me tromper en allant aux toilettes un peu trop loin, pour essayer de repérer. Mais j’ai très vite compris qu’il y a avait plusieurs rideaux de sécurité, qu’on n’irait pas loin et que ça ne servait à rien d’essayer."

"Ils étaient très jeunes, l’un d’entre eux m’a dit qu’il avait 14 ans"

Avec ses ravisseurs, l’otage ne parle presque pas. "La seule discussion qu’ils connaissaient, c’était les coups. Officiellement, il n’y en avait qu’un qui parlait français, mais je pense que beaucoup comprenaient. Ils étaient très jeunes, l’un d’entre eux m’a dit qu’il avait 14 ans. Ce sont de pauvres gens à qui on donne des armes et de l’argent. Je pense que j’ai été enlevé pour une rançon. La religion… je ne sais pas. Ils faisaient la prière, mais pas tout le temps."

Serge Lazarevic dit ne pas s’être converti à l'islam. "Mais je priais aussi avec eux. Philippe (Verdon, ndlr) ne comprenait pas, il me disait 'pourquoi tu fais ça ?'. Je lui expliquais que ça pouvait être utile dans notre relation avec eux, que si on était retenu par des hindous, je prierais comme un hindou."

"Quand ils m'ont dit qu'ils allaient me relâcher, je n'y ai pas cru"

A de nombreuses reprises pendant les trois ans de détention, les geôliers font miroiter la fin du calvaire à l’otage. "Ils me disaient : 'tu sors dans dix jours'. Alors je comptais dix jours, et rien ne se passait. Puis une autre fois, ils me disaient : 'tu sors dans un mois'. Alors je comptais un mois et rien ne se passait. Ainsi de suite. C’était vraiment l’une des choses les plus dures à supporter. Du coup, j’ai arrêté de les croire. Si bien qu’au moment de ma libération, quand ils m’ont dit qu’ils allaient me relâcher, je n’y ai pas cru."

Quand on lui demande à quoi, ou à qui il pensait, voici sa réponse : "Je ne pensais à rien. Je me suis fait une bulle, je suis entré en mode survie, je me concentrais sur ce que je devais faire dans l’heure suivante. Évidemment, je pensais à mes proches, à ma fille, mais par flash. Jamais longtemps. Et je ne pouvais pas imaginer ce qu’il se passait en France, j’étais coupé du monde. Pas de radio, rien. Juste 3 lettres de ma fille qu’ils m’ont données en trois ans. Le temps s’est arrêté au moment de mon enlèvement, et il a repris à ma libération."

"J’ai mal partout, des douleurs que je ne ressentais pas se réveillent"

L’ex otage dit n’avoir jamais perdu espoir. La seule fois où il a cru que la mort était proche ? "Quand j’ai enregistré la dernière vidéo. J’étais très faible, je me suis dit, ça va lâcher." Serge Lazarevic pèse aujourd’hui une centaine de kilos pour 1,83m, a-t-il indqué à France 2. Au moment de son enlèvement le 24 novembre 2011, il pesait 35 kilos de plus. "J’ai mal partout. Des douleurs que je ne ressentais pas en détention se réveillent aujourd’hui. Comme si les défenses de mon corps avaient baissé les armes. Je souffre surtout du ventre, de l’estomac. Je n’ai plus la force de faire les exercices physiques que j’ai faits pendant trois ans. Je vais prendre le temps de me remettre, en me reposant chez ma mère."

Ce qui le marque le plus depuis son retour : "l'humanité des gens". Avec, parfois, des moments surréalistes. "Des inconnus me prennent dans leurs bras et pleurent. Je suis revenu parmi les humains."

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