Cet article date de plus d'onze ans.
Le regard de l'écrivain Beyrouk sur son pays, la Mauritanie
Ancien journaliste, l’écrivain mauritanien Beyrouk reste un témoin privilégié de son pays, situé aux confins du Sahara et du Sahel, et traversé par de multiples contradictions. Rencontre.
Publié
Temps de lecture : 7min
Comment voyez-vous la Mauritanie d’aujourd’hui ?
Pays désertique à 85-90%, elle est divisée entre les Maures et une population négro-africaine. C’est donc un pays de différences et de contradictions.
Les Maures, environ 80% des Mauritaniens, détiennent tous les leviers du pouvoir politique, économique et militaire. Mais cette population est traversée par de nombreuses divisions. Les Haratines, d’anciens esclaves trop longtemps mis à l’écart, constituent la moitié de cette communauté. Ils ont souffert de la colonisation. Aujourd’hui, ils souffrent du manque de terres et réclament un accès à l’éducation.
De son côté, la communauté négro-africaine, qui vit surtout le long du fleuve Sénégal et regroupe trois grandes ethnies, est en expansion. Mais elle se sent mise de côté à cause d’une arabisation outrancière.
Toutes ces différences sont complexes. Dans ce contexte, le terme «négro-africain» ne me convient pas. Regardez mon cas personnel : je suis noir tout en étant maure ! A l’origine, les Maures s’appelaient «Bidans», c’est à dires Blancs en hassanien. Un mot qui désigne aussi le sable blanc du désert. En fait, être maure, c’est d’abord une culture.
Il faut par ailleurs voir que ces différences dépassent les frontières du pays, où cette notion n’est pas très présente. Personnellement, je suis originaire de Goulimine (Guelmim), dans le Sud marocain. Ma communauté et son aire de pâturage s’étendaient jusqu’à Tombouctou. J’ai ainsi une grand-mère malienne. Mais j’ai aussi des cousins au Maroc et en Algérie. En fait, dans ces régions, nous nous considérons comme des tribus du Sahara.
Les Mauritaniens vivent cette situation de différences et de contradictions depuis très longtemps. Je ne dis pas que ça marche. Mais on vit ensemble !
Aujourd’hui, la crise économique touche tout le monde. Le pays est pauvre et de nombreuses personnes vivent toujours au-dessous du seuil de pauvreté. Mais ces dernières années, l’industrie, notamment minière, s’est développée. Le fer se vend mieux [une grève a récemment eu lieu dans la mine de Zouérate, dans le nord du pays, NDLR].
Si le pouvoir appartient aux Maures, il n’en règne pas moins un climat de liberté. Le droit de manifester existe. Le délit de presse a été dépénalisé. On trouve des journaux indépendants, des radios et des télévisions privées où il y a plein de débats. Mais la presse reste plombée par la corruption, les problèmes économiques, le manque de formation des journalistes, l’outrance de certains d’entre eux.
Aujourd’hui, quelles menaces pèsent sur votre pays ? L’islam radical notamment ?
L’islam radical est un élément importé, aussi étranger à la tradition locale que le communisme ! Pour autant, il est ridicule de faire l’amalgame entre islam et islamisme dans une société imprégnée par le soufisme. Chaque vendredi, l’ensemble des oulémas mauritaniens s’élèvent d’ailleurs dans leurs prêches contre cette tendance radicale qui touche les jeunes dans les centres urbains. Mais même si elle est ultra-minoritaire, elle n’en est pas moins violente. Donc dangereuse.
Le paysage politique compte un parti islamisant, Tawassoul, qui se présente comme une formation modérée et ne met pas en avant l’étiquette de la religion. Il se veut proche du leader tunisien Ghannouchi et des islamistes marocains.
A mon sens, le risque pour le pays pourrait beaucoup plus venir des antagonismes entre communautés et des divisions régionales. De plus, il faut bien voir qu’en Mauritanie, les partis politiques, que ce soit dans la majorité ou l’opposition, restent faibles. La principale force, ce sont les tribus. Quand on veut faire voter les gens, on s’adresse aux chefs de tribus qui sont ainsi de fait des grands électeurs.
Dans la société maure, ces groupes occupent à la fois les territoires et les esprits. Ils représentent des forces morales, historiques (parce que descendantes de tels grands chefs). Dans la communauté négro-africaine, les tribus ont un aspect religieux, en lien avec des confréries.
Quel est le rôle et la place d’un écrivain dans un pays comme la Mauritanie ?
Pour moi, écrire est une passion personnelle. C’est un appel qui vient de mon for intérieur. Je veux être un témoin de ma culture, de ma société, de mon histoire tribale, de mes racines historiques. Je m’efforce de présenter ma culture, ce qu’elle a de particulier, à l’extérieur de mon pays. J’entends contribuer à affirmer la présence de la Mauritanie parmi les autres nations. Aider à ce que nous soyons compris par tous. Je me veux un porte-parole des miens.
On ne compte pas beaucoup d’écrivains dans ce pays. La majorité écrit en arabe littéraire. De mon côté, je suis conscient qu’en écrivant en français, je ne suis pas lu par le Mauritanien moyen. L’élite francophone représente 2 à 3% de la population. Mais c’est un choix affectif avant tout, qui n’est pas réfléchi. Mon père, qui était instituteur, enseignait le français aux petits Maures. Pour lui, c’était une langue de la liberté. C’est lui qui, quand j’avais 12 ans, m’a offert mon premier livre : Les Misérables de Victor Hugo. Depuis, je voue une passion au français.
J’écris dans cette langue. Mais j’écris comme je le ferais dans ma langue maternelle, à la confluence de plusieurs cultures. C’est un moyen d’expression teinté de poésie. Pour nous, Mauritaniens, la littérature, c’est d’abord la poésie, quelque chose de quotidien et de très populaire. Ce n’est pas pour rien qu’on appelle parfois la Mauritanie le «pays du million de poètes».
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De son côté, la communauté négro-africaine, qui vit surtout le long du fleuve Sénégal et regroupe trois grandes ethnies, est en expansion. Mais elle se sent mise de côté à cause d’une arabisation outrancière.
Toutes ces différences sont complexes. Dans ce contexte, le terme «négro-africain» ne me convient pas. Regardez mon cas personnel : je suis noir tout en étant maure ! A l’origine, les Maures s’appelaient «Bidans», c’est à dires Blancs en hassanien. Un mot qui désigne aussi le sable blanc du désert. En fait, être maure, c’est d’abord une culture.
Il faut par ailleurs voir que ces différences dépassent les frontières du pays, où cette notion n’est pas très présente. Personnellement, je suis originaire de Goulimine (Guelmim), dans le Sud marocain. Ma communauté et son aire de pâturage s’étendaient jusqu’à Tombouctou. J’ai ainsi une grand-mère malienne. Mais j’ai aussi des cousins au Maroc et en Algérie. En fait, dans ces régions, nous nous considérons comme des tribus du Sahara.
Les Mauritaniens vivent cette situation de différences et de contradictions depuis très longtemps. Je ne dis pas que ça marche. Mais on vit ensemble !
Aujourd’hui, la crise économique touche tout le monde. Le pays est pauvre et de nombreuses personnes vivent toujours au-dessous du seuil de pauvreté. Mais ces dernières années, l’industrie, notamment minière, s’est développée. Le fer se vend mieux [une grève a récemment eu lieu dans la mine de Zouérate, dans le nord du pays, NDLR].
Si le pouvoir appartient aux Maures, il n’en règne pas moins un climat de liberté. Le droit de manifester existe. Le délit de presse a été dépénalisé. On trouve des journaux indépendants, des radios et des télévisions privées où il y a plein de débats. Mais la presse reste plombée par la corruption, les problèmes économiques, le manque de formation des journalistes, l’outrance de certains d’entre eux.
Aujourd’hui, quelles menaces pèsent sur votre pays ? L’islam radical notamment ?
L’islam radical est un élément importé, aussi étranger à la tradition locale que le communisme ! Pour autant, il est ridicule de faire l’amalgame entre islam et islamisme dans une société imprégnée par le soufisme. Chaque vendredi, l’ensemble des oulémas mauritaniens s’élèvent d’ailleurs dans leurs prêches contre cette tendance radicale qui touche les jeunes dans les centres urbains. Mais même si elle est ultra-minoritaire, elle n’en est pas moins violente. Donc dangereuse.
Le paysage politique compte un parti islamisant, Tawassoul, qui se présente comme une formation modérée et ne met pas en avant l’étiquette de la religion. Il se veut proche du leader tunisien Ghannouchi et des islamistes marocains.
A mon sens, le risque pour le pays pourrait beaucoup plus venir des antagonismes entre communautés et des divisions régionales. De plus, il faut bien voir qu’en Mauritanie, les partis politiques, que ce soit dans la majorité ou l’opposition, restent faibles. La principale force, ce sont les tribus. Quand on veut faire voter les gens, on s’adresse aux chefs de tribus qui sont ainsi de fait des grands électeurs.
Dans la société maure, ces groupes occupent à la fois les territoires et les esprits. Ils représentent des forces morales, historiques (parce que descendantes de tels grands chefs). Dans la communauté négro-africaine, les tribus ont un aspect religieux, en lien avec des confréries.
Quel est le rôle et la place d’un écrivain dans un pays comme la Mauritanie ?
Pour moi, écrire est une passion personnelle. C’est un appel qui vient de mon for intérieur. Je veux être un témoin de ma culture, de ma société, de mon histoire tribale, de mes racines historiques. Je m’efforce de présenter ma culture, ce qu’elle a de particulier, à l’extérieur de mon pays. J’entends contribuer à affirmer la présence de la Mauritanie parmi les autres nations. Aider à ce que nous soyons compris par tous. Je me veux un porte-parole des miens.
On ne compte pas beaucoup d’écrivains dans ce pays. La majorité écrit en arabe littéraire. De mon côté, je suis conscient qu’en écrivant en français, je ne suis pas lu par le Mauritanien moyen. L’élite francophone représente 2 à 3% de la population. Mais c’est un choix affectif avant tout, qui n’est pas réfléchi. Mon père, qui était instituteur, enseignait le français aux petits Maures. Pour lui, c’était une langue de la liberté. C’est lui qui, quand j’avais 12 ans, m’a offert mon premier livre : Les Misérables de Victor Hugo. Depuis, je voue une passion au français.
J’écris dans cette langue. Mais j’écris comme je le ferais dans ma langue maternelle, à la confluence de plusieurs cultures. C’est un moyen d’expression teinté de poésie. Pour nous, Mauritaniens, la littérature, c’est d’abord la poésie, quelque chose de quotidien et de très populaire. Ce n’est pas pour rien qu’on appelle parfois la Mauritanie le «pays du million de poètes».
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