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Près d'un Marocain sur deux se considère comme pauvre, selon une étude

Le Maroc reste un pays fortement inégalitaire malgré son développement économique.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Manifestation contre la pauvreté et la situation économique, organisée à Casablanca par le Front social marocain, le 23 février 2020. (FADEL SENNA / AFP)

Près d'un Marocain sur deux se considère comme pauvre. C'est ce qu'il ressort d'une étude menée par l’Observatoire national du développement humain (ONDH), qui a mesuré le niveau de pauvreté dans le royaume. L'enquête s'étend sur la période 2012-2019. Elle ne tient pas compte de l'épidémie de Covid-19 qui a durement frappé le pays, et a probablement accentué le ressenti.

"Dans quel niveau social classez-vous votre ménage en comparaison avec ce qui règne dans votre environnement social : est-ce parmi les très riches, les relativement riches, les moyens, les relativement pauvres ou les très pauvres ?", demandait l'enquête.

Curieusement, si la courbe de la pauvreté réelle (en termes de revenus) baisse, celle de la pauvreté subjective monte. Selon les statistiques, la pauvreté absolue, celle qui ne permet pas de manger à sa faim tous les jours ou de trouver un toit, aurait été jugulée au Maroc. Mais la précarité, la peur du lendemain, l'inégalité sont toujours bien présentes. En ce sens, le rapport d'Oxfam en 2019 ne disait pas autre chose. Le Royaume est le pays le plus inégalitaire d'Afrique du Nord.

Déclassement

Le déclassement est déjà géographique. Le fossé ne cesse de se creuser entre le Maroc des "villes" et celui des "champs". Le sentiment de pauvreté frappe surtout les habitants en milieu rural, où près de 60% de la population se considère pauvre. En ville, le taux chute à 40%. Ce sentiment ne cesse de progresser en milieu rural, alors qu'il stagne en zone urbaine.

La ville de Figuig dans la région de l'Oriental, à la frontière avec l'Algérie. Une région qui se sent oubliée par Rabat. (FADEL SENNA / AFP)

Vivre dans une zone délaissée accentue le sentiment de pauvreté. Ainsi, l'absence d'infrastructures comme l'accès à l'eau potable, l'assainissement, les voies de communication marque fortement certaines régions, notamment à l'est du pays ou dans le sud. A Zagora en 2017, lors de "manifestations de la soif" , les habitants avaient réclamé un meilleur service d'accès à l'eau potable.

Services défaillants

Si la quasi totalité des urbains sont rattachés à un réseau d’eau potable, cette proportion tombe à 64% dans les zones rurales, et même à 40% dans la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima (nord). Ce n'est pas un hasard si Al Hoceima a été le théâtre d’un important mouvement social en 2017.

Manifestation à Al Hoceima sur la côte méditerranéenne du Maroc, le 20 juillet 2017. Le irak du Rif a montré la réalité d'un royaume très inégalitaire. (JALAL MORCHIDI / ANADOLU AGENCY)

Le système fiscal fait également peser sur les classes moyennes la plus grande partie de l’impôt. La moitié de la population ne paye pas d'impôts sur le revenu, soit parce que le revenu est trop faible, soit parce qu'il provient de l'économie informelle. Les entreprises participent peu à l'effort national. 82% des recettes de l’impôt sur les sociétés proviennent de seulement 2% des entreprises. A cela s'ajoute un impôt sur le patrimoine quasi inexistant.

La peur du lendemain

Lors de l'enquête en 2019, 75% des ménages considéraient que la situation économique stagnait. Et en effet, le dynamisme de l'économie marocaine, qui affichait un taux de croissance annuel moyen de 4,4% de 2000 à 2017, commence à fléchir. 

Dans ce contexte, le problème de l'accès à l'emploi reste une préoccupation majeure. Deux millions de jeunes entre 15 et 24 ans ne sont ni étudiants, ni employés, ni stagiaires. "La perspective de revenu n’est plus suffisante pour la caractérisation de la pauvreté dans une économie", explique le rapport. Ne pas être en capacité d'offrir un avenir à ses enfants participe également au sentiment de déclassement.

"De nouvelles aspirations"

L'objectif du rapport est de fournir des angles d'attaque afin de lutter contre la pauvreté. L'objectif est louable, mais l'effort à fournir reste colossal. L'accès à l'éducation, le statut de la femme sont autant de montagnes à gravir. "La perception des risques s’est transformée au Maroc depuis une décennie. De nouvelles aspirations vers plus de qualité de vie, plus d’autonomie apparaissent. Les attentes à l’égard des institutions s’en trouvent modifiées", explique le rapport.

Dans le même temps, la commission spéciale mandatée par le roi Mohamed VI après les mouvements protestataires du Rif entre 2016 et 2017 remettait également son rapport. Et les conclusions sont... les mêmes.

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