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Afflux de migrants à Ceuta : "L'idée du Maroc, c'est de faire pression sur l'Espagne"

Au total, 8 000 migrants ont traversé la frontière espagnole en provenance du Maroc, depuis lundi. Yves Zurlo, hispaniste, explique à franceinfo les raisons de ces arrivées soudaines.

Article rédigé par franceinfo - Propos recueillis par Marianne Chenou
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Des migrants, entourés de soldats espagnols, sur une plage de l'enclave de Ceuta (Espagne), le 18 mai 2021. (ANTONIO SEMPERE / AFP)

Un chiffre inédit. Au total, 8 000 personnes, dont de nombreux enfants, sont arrivées, à la nage ou à pied, dans l'enclave espagnole de Ceuta, frontalière du Maroc, depuis lundi 17 mai. Un "record", selon les autorités espagnoles qui doivent régulièrement gérer des arrivées sur ce territoire, rare frontière terrestre du continent africain avec l'Union européenne. Pour mieux comprendre les raisons de cet afflux massif et soudain de migrants, franceinfo a interrogé Yves Zurlo, hispaniste et auteur de Ceuta et Melilla : histoire, représentation et devenir de deux enclaves espagnoles (L'Harmattan, 2005).

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Franceinfo : Comment expliquer cette arrivée soudaine de milliers de migrants ?

Yves Zurlo : On peut légitimement penser qu'il s'agit de représailles du Maroc en raison de l'accueil par l'Espagne fin avril de Brahim Ghali, un dirigeant du Front Polisario, mouvement de soutien à l'indépendance du Sahara occidental. Les autorités marocaines ont appris qu'il avait été reçu pour être soigné du Covid-19, sur demande de l'Algérie. Avec cet afflux massif de migrants, l'idée du Maroc, c'est de faire pression sur l'Espagne. Ça ne fait que s'ajouter à une situation qui est déjà très tendue depuis un an. C'est vraiment un point de rupture, un incident diplomatique.

Pourquoi la situation est-elle tendue depuis plusieurs mois ?

Avant la pandémie, il y a eu plusieurs morts dans des bousculades aux postes-frontières. Cela a donné lieu à des fermetures, officiellement par mesure de sécurité. Puis, les frontières ont été bloquées à cause du Covid-19. Résultat : depuis plus d'un an, tout le commerce transfrontalier entre le nord du Maroc et les deux enclaves est à l'arrêt. Une situation qui a engendré des manifestations côté marocain, puisque beaucoup de gens vivent de ce petit commerce frontalier. Le tout alors que les tensions étaient déjà présentes.

En effet, le Maroc cherche à asphyxier ces deux enclaves que sont Ceuta et Melilla. Il considère ce petit commerce comme de la contrebande, mais cela fait vivre sa population, notamment la ville voisine de Fnideq. On compte environ 45 000 personnes qui vivraient de ces échanges. Il ne s'agit pas de substances illicites, mais bien de produits de première nécessité : des produits d'entretien, du papier toilette par exemple, et cela irrigue tout le nord du Maroc.

Comment réagit le gouvernement espagnol à ces arrivées massives ?

Le gouvernement espagnol soutient les deux enclaves et a renvoyé directement de l'autre côté de la frontière les migrants venus du Maroc. Il assure que les frontières doivent être protégées et a demandé l'appui de l'Union européenne, tout en maintenant l'idée que le Maroc est un pays ami. Pedro Sanchez, le chef du gouvernement, se rend surtout sur place pour rassurer la population, chez qui il existe une crainte d'être débordée par cet afflux de migrants. Ceuta compte environ 75 000 habitants, si on ajoute 10 000 personnes en plus, on peut comprendre qu'il y ait une crise, c'est évident.

Le Maroc essaie-t-il vraiment de juguler ces départs massifs ?

Jusqu'à présent, le Maroc jouait le jeu sur l'immigration clandestine, il y avait une coopération avec les autorités espagnoles pour limiter les entrées illégales à Ceuta et Melilla. Cette fois, il y a une volonté de laisser faire. Les garde-frontières marocains regardent ailleurs lorsque des personnes traversent vers Ceuta.

Mais l'accueil de Brahim Ghali, soutien de l'indépendance du Sahara occidental, a été le point de bascule. Le Maroc voudrait que l'Espagne adopte la même position que les Etats-Unis à ce sujet, c'est-à-dire reconnaître la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Dans cette démarche de laisser-faire, il y a donc des arrières-pensées diplomatiques qui vont très loin. Les gens qui passent la frontière sont instrumentalisés. On les incite, il n'y a pas de doute, avec des flux si importants. Il y a notamment des enfants, des familles, or on sait qu'ils ont peu de chance de rester sur le territoire espagnol. Il faudra que le problème soit résolu par une discussion entre les deux pays.

Le même phénomène migratoire est également en cours aux îles Canaries depuis quelques mois. L'augmentation de cette pression migratoire est destinée à peser dans les négociations avec l'Espagne, que ce soit sur des accords de pêche ou pour accélérer des accords avec l'Union européenne.

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