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RDC : "La corruption est responsable de tous les maux du pays", résume Jean-Claude Mputu du collectif Le Congo n'est pas à vendre

L'activiste congolais revient sur les réactions de la population, des politiques et de la justice après les révélations de l'enquête "Congo Hold-up". 

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
A l'origine de l'enquête "Congo Hold-up", il y a la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF) et le site Mediapart. Elle révèle le système de détournement de fonds publics mis en place par le clan Kabila pendant une décennie en République démocratique du Congo (RDC).  (PLAAF)

Jean-Claude Mputu est le porte-parole de la plateforme congolaise de lutte contre la corruption Le Congo n'est pas à vendre (CNPAV). Elle réunit des organisations nationales et internationales et certains membres ont participé à l'enquête Congo Hold-up qui révèle "qu'au moins" 138 millions de dollars ont été détournés par le clan de l'ancien président de la République démocratique du Congo Joseph Kabila. Entretien avec Jean-Claude Mputu. 

Franceinfo Afrique : les Congolais connaissaient l'ampleur de la corruption en RDC. Comment réagissent-ils depuis les révélations de l'enquête "Congo Hold-up" ?  

Jean-Claude Mputu : il y a deux types de réactions. D’une part, il y a celle d’une grande partie de la population qui est à la fois scandalisée et désabusée. Elle se dit que la corruption est énorme mais à quoi cela servira parce que les autorités elles-mêmes sont impliquées. D’autre part, plus minoritaire, il y a la réaction des partisans de l’ancien président Joseph Kabila qui, au nom d’un patriotisme de circonstance, crient au complot, occidental et impérialiste, alors que les faits sont ce qu'ils sont. Enfin, il y a évidemment des organisations engagées qui espèrent que cette fois-ci, avec toutes les preuves qu’il y a, on arrivera à apporter un certain nombre de réponses à la question de l’impunité et de la grande corruption au niveau du pouvoir politique. 

En quoi ces révélations sont inédites et changent la donne dans la lutte contre la corruption en RDC ?  

Si rien n’est fait, cela sera une occasion ratée parce qu'à la différence des autres révélations, l’ampleur est inégalée et surtout la véracité des faits et éléments est prouvée. Ici, on peut retracer avec exactitude le parcours des millions détournés, par qui et à quoi ils ont servi. C’est quand même la plus grande base de données de documents  des millions  sur la corruption en Afrique. Si les autorités nationales n’agissent pas, c’est qu’il y a un problème sur leur volonté de combattre la corruption. Tout le peuple congolais est au courant et je pense qu’il deviendra, petit à petit, plus exigeant pour demander des comptes.  

Vous espériez des poursuites judiciaires. Comment la justice et l’Etat congolais réagissent-ils depuis ?    

Je viens encore de le dire à quelques députés que j’ai rencontrés, je note l’absence de réaction dans les milieux politiques. Il n’y a aucune réaction et c’est scandaleux de voir qu’un tel scandale ne suscite pas plus de réaction qu’une simple interview du porte-parole du gouvernement où il dit qu’une enquête sera ouverte. Par ailleurs, la justice peut s’auto-saisir mais elle ne le fait pas. Pour le moment, en dehors des discours et des mots, il n’y pas d’actes. Et nous attendons des actes.  

Que pensez-vous de la libération conditionnelle de Vital Kamerhe au moment où les activistes espèrent voir l'Etat congolais lutter plus activement contre la corruption ?  

Pour la population et les partenaires du Congo, le timing de cette libération pose problème sur la réelle volonté du gouvernement de combattre la corruption puisque Vital Kamerhe a été condamné en première instance et en appel. Même si sa condamnation n’est pas définitive, sa libération envoie un mauvais signal, d’autant qu’elle intervient après la libération conditionnelle de l'ancien ministre de la Santé Eteni Longondo impliqué dans un scandale lié au Covid-19. Encore une fois, cette libération de Vital Kamerhe pose une série de questions parce que tous les acteurs impliqués dans le "Procès des 100 jours" sont aujourd’hui tous en liberté. Or, vu l’énormité des sommes engagées et des problèmes détectés, on s'interroge sur le rôle et l'indépendance de la justice. D’autant qu’on voit certains partisans de l'UNC (Union pour la nation congolaise, le parti de Vital Kamerhe, NDLR) remercier le chef de l’Etat pour cette libération. Pour autant, nous n’avons pas encore eu accès à l’arrêt de la Cour de cassation pour voir les motifs et les raisons qui sont invoquées. Nous attendons de voir et nous examinerons tout cela plus calmement.  

Comment expliquer que la corruption soit aussi endémique en RDC ? Est-elle d'une certaine manière "proportionnelle" à la richesse du pays ?

On va dire qu'elle est en même temps "proportionnelle" et responsable de tous les maux du pays. Au-delà des millions que l’on pointe dans les grandes affaires, la corruption est présente dans toute la vie du Congo. C’est sans doute l’un des rares pays au monde où, au sein de l’administration, il n’y a aucune grille tarifaire et où tout se négocie de bouche à oreille. Il suffit de regarder sur les routes la manière dont les agents affectés à la circulation routière prennent sans cesse de l’argent à la population. La corruption est véritablement le mal et le fléau qui détruisent ce pays.    

Quelle est la situation des lanceurs d'alerte au Congo ? Comment se sent-on quand on milite comme vous contre la corruption ?  

La situation est incertaine et dangereuse. Le lanceur d’alerte est abandonné à lui-même. Deux de nos collègues – Gradi Koko Lobanga et Navy Malela, lanceurs d’alerte dans l’affaire de la banque Afriland First Bank CD – sont toujours condamnés à mort par un tribunal congolais. Ils sont en exil pour le moment. Les menaces continuent de peser contre les activistes, sans parler des pressions diverses. Il faut rendre hommage à tous ces gens qui risquent leur vie et mettent en danger parfois leur famille pour dénoncer des cas de corruption et défendre l’intérêt général.

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