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Le Lesotho, une économie archi-dépendante de l’Afrique du Sud
Au Lesotho, l’Etat est le principal employeur après le textile. Mais de nombreux habitants vont chercher du travail en Afrique du Sud, qui encercle littéralement le pays. Un puissant voisin qui contribue pour 30% au PNB du Lesotho. Reportage.
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Dans sa petite maison, Tisetso Litheko étale devant lui ses six passeports, tous noircis de visas d'entrée en Afrique du Sud. A 31 ans, il est un des 400.000 citoyens du Lesotho qui n'ont d'autre choix pour vivre que de travailler chez leur voisin. «J'ai n'ai pas pu faire autrement que de déménager en Afrique du Sud. Ici au Lesotho, j'avais vraiment très peu de chances de m'en sortir», confie cet ancien berger, rentré brièvement dans son pays en juin 2017 pour voter aux législatives.
L'immigration de travail entre le petit royaume niché dans les montagnes et le géant économique qui l'encercle, n'est pas une nouveauté. Le phénomène a débuté avec la ruée vers l'or dans ce qui était alors une colonie britannique. Dès les années 1880, le Lesotho est devenu l'un des principaux pourvoyeurs de main d'œuvre pour les compagnies minières qui ont poussé autour de Johannesburg.
Tisetso Litheko raconte que son grand-père, puis son père, ont passé le plus clair de leur existence au fond des galeries, premiers de la longue liste des «expatriés» économiques de la famille. «Au Lesotho, il n'y a pas de travail et pas d'argent. Résultat: de nombreuses personnes doivent sacrifier leur vie de famille pour aller travailler en Afrique du Sud», regrette-t-il.
Comme des générations d'hommes de sa famille, l’ancien berger a quitté, jeune homme, son village d'Ha Abia (est du Lesotho), à l'âge de 22 ans. Il a commencé à passer illégalement la frontière pour occuper des emplois de saisonniers dans les fermes de Ladybrand, une petite ville sud-africaine. «Avant d'obtenir un passeport, je traversais les montagnes avant le lever du soleil pour éviter d'être pris. Et je rentrais à la nuit tombée.»
Extrême pauvreté
Désormais, Tisetso Litheko travaille par plage de vingt-quatre heures comme gardien dans une mine d'or du district de Carltonville, au sud-ouest de Johannesburg. Difficilement, il met de côté l'essentiel de son salaire hebdomadaire de 550 rands (37 euros), qu'il envoie à la fin de chaque mois au Lesotho pour sa femme et ses trois enfants.
Même modeste, sa contribution est vitale, dans un pays dont 56% des 2 millions d'habitants vivent dans une extrême pauvreté. Selon la Banque mondiale, le taux officiel de chômage y atteignait entre 27,42% de la population active en 2016. Résultat: la moitié d’entre elle travaille à l’étranger.
Sur la route de l'Afrique du Sud, le passage de la frontière n'est pas la moindre des difficultés. Les services d'immigration sud-africains sont réputés pour exiger des pots-de-vin et faire sciemment durer les procédures d'entrée sur leur territoire. «Obtenir un permis (dans ce pays) est plus difficile que de décrocher un travail», soupire le gardien de mine.
Deux des postes-frontières sont désormais ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais les files d'attente y sont interminables. Car aux travailleurs s'ajoutent les écoliers et tous ceux qui viennent faire leurs courses.
Le textile, principal employeur
Au Lesotho, le textile (20% du PNB) est le principal employeur du pays, avant le secteur public. Cette industrie a été dopée par la loi américaine sur la croissance et les opportunités de développement en Afrique (Agoa), votée en 2000. Texte qui dispense le Lesotho de toute taxe pour vendre ses produits aux Etats-Unis, qui achète 80% de la production locale.
Mais même s'il a généré des emplois bienvenus (en majorité occupés par des femmes payées chacune 80 euros par mois), le secteur n’a pas fait significativement reculer le chômage. La majorité des investisseurs sont taïwanais ou sud-africains, observe le journal namibien Southern Times. Et l’activité y est restée largement informelle, comme le montrent les rangées de petites boutiques de tissus qui envahissent le cœur de la capitale, Maseru.
La devise locale, le loti, est indexée sur le rand sud-africain au taux immuable de un pour un. Conséquence: les citoyens du Lesotho qui travaillent de l'autre côté de la frontière ne bénéficient pas d'un effet de change favorable. «Tout compte fait, je ne suis pas différent de quelqu'un qui travaille au Lesotho car je ne gagne rien sur les taux de conversion», se plaint Tisetso Litheko.
Selon la BBC, le volume d'argent transféré depuis l'Afrique du Sud contribue pour 30% au volume de l’économie locale du Lesotho. Le phénomène est plus important que «les investissements étrangers ou l’aide» internationale.
«La part de l'immigration de travail (du Lesotho) dans les mines a reculé. Nous observons désormais une augmentation de l'immigration féminine, pour l'essentielle employée comme domestique», indique l’universitaire sud-africaine Zaheera Jinnah. Et malgré tous les obstacles, rien ne semble devoir tarir le flot des travailleurs du Lesotho vers l'Afrique du Sud.
Pour y faire face, les autorités de Pretoria ont lancé en février 2016 de nouvelles procédures pour accorder des permis de travail de trois ans aux citoyens du Lesotho. A l'expiration du programme le 31 décembre, elles avaient reçu plus de 127.000 demandes.
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