Côte d'Ivoire : comment Henri Konan Bédié, mort le 1er août, a marqué la vie politique du pays malgré un court mandat présidentiel

Le dirigeant du Parti démocratique de Côte d'Ivoire-Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA), est mort le 1er août 2023 à l'âge de 89 ans. Un deuil national de dix jours a été déclaré mais la date de ses obsèques reste encore inconnue.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7 min
L'ancien président ivoirien et leader du Parti démocratique ivoirien (PDCI) Henri Konan Bédié s'exprimant  lors de ses vœux de nouvel an, le 31 décembre 2020 à Abidjan, en Côte d'Ivoire. (SIA KAMBOU / AFP)

Il n'excluait pas d'être à nouveau candidat en 2025. L'ancien président ivoirien Henri Konan Bédié est mort, mardi 1er août, à 89 ans à Abidjan. Un deuil national de dix jours s'achève vendredi 11 août, mais la date de ses obsèques reste inconnue. Le président Alassane Ouattara a salué, le 6 août, la mémoire d'"un grand homme d'Etat, qui a marqué son époque et notre pays", à la veille des commémorations de l'indépendance. Son prédécesseur Laurent Gbagbo a rendu hommage à "un acteur majeur de la vie politique ivoirienne".

Premier chef d'Etat de l'après-Houphouët (père de l'indépendance et premier président de Côte d'Ivoire), "HKB" a aussi été le premier renversé par un coup d'Etat. Le "Sphinx", qui n'a jamais quitté la vie publique, doit sa longévité politique au Parti démocratique de Côte d'Ivoire - Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA), plus ancienne formation politique du pays, qu'il dirigeait depuis 1994. On vous explique comment Henri Konan a marqué l'histoire de la Côte d'Ivoire, malgré un unique et très court mandat présidentiel.

Il s'est posé en héritier du "père de l'Indépendance"

Henri Konan Bédié est né le 5 mai 1934, dans une famille de planteurs de cacao de la région de Daoukro, dans le centre du pays. A 26 ans, "HKB" est nommé ambassadeur de la Côte d'Ivoire aux Etats-Unis (1961-1966), à 32 ans, il est ministre de l'Economie et des Finances (1968-1977) avant de présider l'Assemblée nationale (1980-1993) sous la présidence de Félix Houphouët-Boigny. A la mort du "Vieux", le 7 décembre 1993, Henri Konan Bédié assure la présidence par intérim, comme le prévoit la Constitution de l'époque. "Je suis moralement et légalement l'héritier (...) du président Houphouët", a-t-il toujours clamé.

Il est formellement élu en 1995, lors d'une élection boycottée par ses principaux adversaires réunis au sein d'un "Front républicain". Celui-ci est composé du Rassemblement des Républicains (RDR, dissident du PDCI), qui soutient l'ex-Premier ministre Alassane Ouattara, et le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, opposant historique. Henri Konan Bédié n'ira pas au bout de son unique mandat présidentiel. Le 24 décembre 1999, il est déposé par le général Robert Gueï.

Malgré ce coup d'Etat est les rivalités entre HKB, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, ce trio règnera longtemps sur la vie politique ivoirienne.

Son idée de l'"ivoirité" a divisé le pays

Le mandat de Bédié est marqué par l'apparition du concept d'ivoirité, "déclinaison ivoirienne du nationalisme moderne", explique l'universitaire Francis Akindès dans Racines des crises socio-politiques en Côte d'Ivoire et sens de l'histoire. L'ivoirité est théorisée par la Curdiphe, un cercle d'intellectuels rassemblés par HKB, dans L'ivoirité ou l'esprit du nouveau contrat social du Président Henri Konan Bédié (1996). Ils écrivent en introduction que l'ivoirité n'est "ni sectarisme étroit, ni expression d’une quelconque xénophobie". Pourtant, le concept déclenche de violentes tensions intercommunautaires et est pointé lors des deux coups d'Etat que connaîtra la Côte d'Ivoire.  

Interrogé sur ce "repli nationaliste" dans un pays historiquement "terre d'accueil" dans son livre d'entretiens avec Eric Laurent, Les Chemins de ma vie, Henri Konan Bédié met en cause la "pression de l'opposition". "Jusqu'alors le PDCI, parti dont j'étais devenu le président, autorisait tous les ressortissants d'Afrique de l'Ouest, résidant en Côte d'Ivoire, à voter. L'opposition estimant cette situation illégale, il a fallu changer les règles. Mais quand vous décidez de ne faire voter que les nationaux, cela exige que les candidats qui se présentent soient également des nationaux", justifie-t-il.

Pendant son intérim, en 1994, le Code électoral a été révisé. Un candidat à la présidence doit désormais être "ivoirien de naissance, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens de naissance" et "doit avoir résidé en Côte d'Ivoire de façon continue pendant cinq années précédant la date des élections". Cette réforme écarte d'emblée la candidature d'Alassane Ouattara, accusé d'être "Burkinabè". Cette politique qui paraît même ne favoriser que les Baoulés, peuple ivoirien dont HKB est issu, "produit un double sentiment d'exclusion chez les ressortissants de deux grandes régions : ceux du nord [qui vont s'identifier à Alassane Ouattara et constituer un vivier de militants pour le RDR] et ceux de l'ouest (krou)" qui se "rapprochent" de Laurent Gbagbo, résume Francis Akindès, dans Côte d'Ivoire : la réinvention de soi par la violence.

Cette évolution du code électoral intégrera l'article 35 de la Constitution, modifiée en 2000, à l'initiative du tombeur d'Henri Konan Bédié, le général Robert Gueï. "La rhétorique 'ivoiritaire' est née sous le régime Bédié et l'étatisation de l'ivoirité s'est renforcée pendant la période de transition, après le coup d'Etat militaire de décembre 1999", souligne le sociologue Francis Akindès. La candidature d'Alassane Ouattara est ainsi rejetée pour le scrutin présidentiel de 2000. Bédié en exil en France et Ouattara exclu, Robert Gueï n'a plus qu'un seul adversaire : Laurent Gbagbo. Ce dernier emporte le scrutin en dénonçant la fraude électorale organisée par son adversaire, avant d'être à son tour chassé par un coup d'Etat le 19 septembre 2002. En découle une partition du pays, avec une zone tampon qui fait du centre, notamment de Bouaké, une ligne de "démarcation" entre le Sud, resté aux mains de Laurent Gbagbo, et le Nord, occupé par la rébellion. 

Son parti est un puissant faiseur de rois

En 2007, les belligérants ivoiriens parviennent à un accord qui ouvre la voie à la présidentielle d'octobre 2010. Henri Konan Bédié pense tenir sa revanche politique, mais n'arrive que troisième au premier tour. Pour le second tour, il choisit de soutenir Alassane Ouattara face à Laurent Gbagbo, qui ne reconnaît pas sa défaite. Une crise post-électorale éclate, qui fera au moins 3 000 morts et 700 000 déplacés.

L'alliance Bédié-Ouattara est renouvelée pour 2015. Mais la lune de miel s'achève à l'approche de la présidentielle de 2020. Henri Konan s'en est expliqué dans un entretien à Jeune Afrique. En 2015, Alassane Ouattara "a fait savoir son intention de se représenter, et j'ai accepté. (...) J'ai entraîné le PDCI derrière moi et nous avons renoncé à avoir un candidat. Maintenant, nous approchons de la fin de ce deuxième mandat, et d'autres dispositions doivent être prises". En d'autres termes, "le PDCI aura un candidat en 2020, annonçait-il. Il faut qu'Alassane Ouattara et moi nous entendions sur ce point pour que cette alternance ait lieu". Ce ne sera pas le cas et le PDCI-RDA rejoint dès lors l'opposition.

Comme souvent en Côte d'Ivoire, les brouilles politiques sont violentes et mortelles pour les militants mais jamais insurmontables pour leurs leaders. Ainsi, le 11 novembre 2020, après des élections boycottées par l'opposition, le dialogue est renoué entre l'actuel président Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié. Peu après, fin mars 2021, Laurent Gbagbo est définitivement acquitté des crimes contre l'humanité commis lors de la sanglante crise post-électorale de 2010-2011. Il rentre en Côte d'Ivoire et rencontre le chef du PDCI dans la foulée, confirmant un rapprochement entrepris en 2019. Les deux hommes ont commencé à faire front commun à l'approche de la présidentielle de l'année suivante, face à la candidature d'Alassane Ouattara jugée anticonstitutionnelle par l'opposition. Le trio Bédié-Ouattara-Gbagbo s'est retrouvé pour la dernière fois en juillet 2022.

Sa succession sera une opération délicate

Avec le PDCI, dont il a réussi à garder le contrôle durant près de trois décennies, Henri Konan Bédié s'est transformé en une force stabilisatrice en adoptant une posture pacifiste. Un cadre du PDCI-RDA qui a bien connu Henri Konan Bédié souligne qu'il "n'a jamais versé de sang". Il n'a, par exemple, opposé aucune résistance aux putschistes en 1999.

Pour demeurer une formation incontournable, la succession d'HKB devra permettre l'expression de tous les courants politiques, dans un parti de clans. La disparition du général à la retraite Gaston Ouassénan Koné, proche de HKB et figure respectée du PDCI, une semaine après le décès de son chef, rend la question de cette succession encore plus délicate. Du bon fonctionnement de la plus vieille formation politique du pays dépend la bonne santé de la vie politique en Côte d'Ivoire. Un Etat qui compte dans une région dont la stabilité est menacée par le jihadisme, les coups d'Etat (Mali, Burkina Faso, Guinée et Niger) et les tensions politiques chez ses voisins.

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