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Côte d'Ivoire : Amadou Gon Coulibaly, dauphin éternel du président Alassane Ouattara

Le Premier ministre ivoirien, qui est est mort le 8 juillet à Abidjan, était le candidat du pouvoir à la présidentielle d'octobre 2020.

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le Premier ministre ivoirien Amadou Gon Coulibaly, arborant un masque, le 2 juillet 2020 à son arrivée à l'aéroport d'Abidjan, la capitale ivoirienne, après avoir séjourné deux mois en France pour raisons  de santé. (SIA KAMBOU / AFP)

Sa disparition bouleverse l'échiquier politique ivoirien à quelques mois de la présidentielle d'octobre 2020. Le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly est décédé le 8 juillet 2020 à 61 ans, quelques jours après avoir regagné son pays qu'il avait quitté durant deux mois pour recevoir des soins en France. Pris d'un malaise lors du conseil des ministres, il a été conduit dans une prestigieuse clinique de la capitale économique, Abidjan, où il s'est éteint. La rumeur de sa mort a circulé plusieurs heures avant d'être finalement confirmée par la télévision nationale vers 18h, heure locale et GMT, lors d'une brève édition spéciale.

"La Côte d’Ivoire est en deuil. J'ai la profonde douleur de vous annoncer que le Premier ministre Amadou Gon Coulibaly, chef du gouvernement, nous a quittés, en début d’après-midi, après avoir pris part au Conseil des ministres de ce mercredi 8 juillet 2020", a déclaré le secrétaire général de la présidence, Patrick Achi, lisant un communiqué signé par le président ivoirien, Alassane Ouattara. 

L'ensemble de la classe politique ivoirienne a rendu hommage au Premier ministre défunt, notamment ses adversaires déclarés pour le scrutin d'octobre : du chef du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) Henri Konan Bédié, à l'ancien Premier ministre ivoirien en exil Guillaume Soro, en passant par Pascal Affi N'Guessan, le chef de l'une des ailes du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, l'ancien président ivoirien, acquitté par la Cour pénale internationale en première instance. 

"Trente ans" d'apprentissage

Alassane Ouattara a, lui, rendu hommage à "(son) jeune frère, (son) fils, Amadou Gon Coulibaly, qui a été, pendant trente ans, (son) plus proche collaborateur". Celui dont le choix comme successeur était "évident", expliquait-il lors d'un entretien accordé à Jeune Afrique en mars 2020

En précisant pourquoi Amadou Gon Coulibaly, alias AGC, était le mieux placé pour porter les ambitions présidentielles de sa formation politique, Alassane Ouattara avait dressé son CV. "Il a occupé toutes les hautes fonctions : après avoir été cadre aux Grands Travaux, il a été mon conseiller technique quand j’étais président du Comité interministériel en 1990 et quand j’étais Premier ministre, jusqu’en 1993. Enfin, il a été secrétaire général de la présidence et est à la primature depuis plus de trois ans, avec un excellent bilan." Il a été également, par deux fois, ministre de l'Agriculture (de 2006 à 2010, puis de 2003 à 2005), un secteur clé pour l'économie ivoirienne. 

De même, poursuivait le chef de l'Etat ivoirien en mars dernier, Amadou Gon Coulibaly a été "le numéro 2 du RDR (Rassemblement des républicains, parti d'Alassane Ouattara) sous l’autorité d’Henriette Dagri Diabaté, et il est désormais le président du directoire qui supervise la direction exécutive du RHDP (Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, coalition politique autour du RDR). Il a également effectué plusieurs mandats de maire et de député (de Korhogo, nord de la Côte d'Ivoire)." 

La Secrétaire générale du RDR, Henriette Diabaté (D), Amadou Gon Coulibaly (G) et N'Golo Coulibaly (C), députés RDR, le parti de l'opposant Alassane Ouattara, saluent leurs militants en quittant le 12 novembre 1999 le palais de Justice d'Abidjan (Côte d'Ivoire) après avoir été condamnés à deux ans de prison ferme.  (ISSOUF SANOGO / AFP)

Le responsable politique, petit-fils du chef coutumier et patriarche Péléforo Gon Coulibaly qui est l'un des bâtisseurs de la ville de Korhogo, était issu d'une puissante famille dont plusieurs membres ont servi l'Etat ivoirien. 

Amadou Gon Coulibaly s'était allié à Alassane Ouattara depuis le début des années 90. Né le 10 février 1959 à Abidjan, marié et père de cinq enfants, AGC avait quitté le PDCI, formation politique à laquelle sa famille était attachée depuis des décennies, pour créer avec d'autres le RDR dont l'actuel président ivoirien deviendra le leader.

Ingénieur des travaux publics et homme politique chevronné, Amadou Gon Coulibaly ne doutait pas de ses compétences, notamment celles qui l'avaient conduit à la primature en janvier 2017. Au journaliste qui l'interrogeait sur le fait que les missions confiées par Alassane Ouattara étaient "justifiées" par sa fidélité et sa loyauté lors d'une émission consacrée à ses 100 jours à la primature, il avait rétorqué qu'il en fallait "un peu plus quand même", tout en reconnaissant que ces qualités étaient évidemment "indispensables". Le Premier ministre avait ainsi ajouté qu'Alassane Ouattara avait "certainement" estimé qu'il avait "la capacité de gérer l'action gouvernementale".

"Ses détracteurs assurent que derrière son apparence débonnaire, se cache un homme d'un commerce difficile, craint dans l’entourage direct (du président) en raison de son influence sur le Chef de l’Etat", indiquait le média ivoirien Alerte info dans un portrait publié au moment de sa nomination comme Premier ministre.

Pour Amadou Gon Coulibaly, l'étape suivante était de conquérir et d'offrir la présidence de la République à son mentor. "Ce que nous vous devons, promettait-il en mars 2020 lors de sa désignation comme candidat du RHDP à la présidentielle, c'est une victoire sans ambage le 31 octobre 2020."

"Je n'ai pas de doute (...) que nous gagnerons ces élections au premier tour", avait-insisté le Premier ministre lors d'un discours où il s'affirmait prêt à prendre le relais politique d'Alassane Ouattara. "Ça fait 30 ans que j'apprends à vos côtés", dira-t-il, assimilant plus que jamais le président ivoirien, âgé de 78 ans, à une figure paternelle. "Il n'y a pas de hasard", avait répété AGC à quatre reprises, durant son discours dans lequel il avait souligné avoir croisé le chemin d'Alassane Ouattara, en 1990, au moment de la disparition de son père. 

"Lion" au cœur fragile

Surnommé le Lion de Korhogo, l'homme qui réunissait "toutes les qualités nécessaires pour être le candidat naturel" du RHDP, selon le président Ouattara, avait cependant des soucis de santé qui l'avaient physiquement marqué. En juin 2012, hospitalisé après un malaise, il avait subi une transplantation cardiaque à la Pitié-Salpétrière, à Paris, et se rendait en France régulièrement pour des examens de routine. Le dernier en date s'était prolongé pendant plusieurs semaines dans l'Hexagone en plein confinement, à cause de la pandémie de Covid-19, et alors que les frontières étaient fermées entre la Côte d'Ivoire et la France. 

Amadou Gon Coulibaly était arrivé à Paris le matin du 3 mai 2020 pour "(son) contrôle médical périodique à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière", indiquait un tweet posté sur son compte officiel. A la suite d'"un examen de coronarographie", "un suivi médical et une période de repos" lui avaient été prescrits. Son évacuation sanitaire est intervenue quelques jours après la fin d'une quarantaine que le Premier ministre s'était imposée après avoir été en contact avec une personne infectée par le nouveau coronavirus. 

De retour à Abidjan le 2 juillet, le chef du gouvernement ivoirien avait chaleureusement remercié Alassane Ouattara pour l'avoir "appelé tous les jours, matin et soir" afin, entre autres, de s'enquérir de son état de santéIl a exprimé la même gratitude envers Dominique Ouattara qui lui a rendu "deux visites pendant (son) séjour à Paris" , révélant ainsi la présence de la première dame ivoirienne sur le territoire français pendant le confinement. 

"Amadou, quand tu retourneras (en Côte d'Ivoire), tu seras encore plus fort", lui avait prédit le président ivoirien, confiait le Premier ministre apparemment très ému et affaibli. Une énergie dont il a voulu faire montre avant son décès. "Maintenant, je suis de retour. On reprend le boulot !", avait-il lancé à ses collaborateurs réunis autour de lui pour le saluer après son séjour français.

Le premier conseil des ministres, après cette longue absence, s'est revélé être l'ultime du dauphin d'Alassane Ouattara. Le président ivoirien doit désormais se mettre en quête d'un autre champion pour remplacer Amadou Gon Coulibaly dans le siège de candidat du RHDP à la présidentielle. Indubitablement, un choix par défaut.

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