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Centrafrique : le très mystérieux assassinat de trois journalistes russes

Trois ressortissants russes porteurs de carte de presse ont été retrouvés mystérieusement assassinés en Centrafrique. Ils enquêtaient sur la présence dans ce pays de la société Wagner, un groupe paramilitaire russe qui s’est illustré en Ukraine et en Syrie. Les trois journalistes collaboraient avec le Centre de gestion des investigations créé par l’opposant russe en exil Mikhaïl Khodorkovski.
Article rédigé par Alain Chémali
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des photos des journalistes russes (RL) Alexander Rastorguyev, Kirill Radchenko et Orkhan Dzhemal, récemment tués en République centrafricaine, ont été déposé​es devant le bâtiment de l'Union des journalistes russes à Moscou (1er auût 2018).

Le reporter de guerre chevronné Orkhan Djemal, le documentariste Alexandre Rastorgouïev et le caméraman Kirill Radtchenko ont été assassinés dans la nuit du 30 au 31 juillet 2018 près de la localité de Sibut, par des hommes armés, dans le centre de la Centrafrique, selon des sources centrafricaines et russes.

Ils enquêtaient pour le compte du Centre de l'opposant Khodorkovsi 
Les trois hommes rentraient de Kaga Bandoro, dans le nord, par la route. Ils ont été arrêtés à un barrage et assassinés par des hommes non identifiés. Leurs corps ont été retrouvés à 23 km de Sibut située à 300 km de la capitale et leur chauffeur est porté disparu. Neuf «ravisseurs enturbannés» ne s'exprimant ni en français ni en sango (une langue nationale de Centrafrique), ont tué par balles les journalistes après avoir volé leur véhicule, a affirmé le porte-parole du gouvernement centrafricain dans une déclaration le 31 août au soir en sango à la télévision nationale. Une déclaration mentionnée le 1er août en français dans un communiqué de Reporters sans frontières (RSF).

«Selon les informations fournies à l'ambassade de Russie en Centrafrique, les médecins n'ont trouvé au cours de l'examen préliminaire aucun signe de torture, seulement des blessures par balles», a déclaré la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova, citée par les agences russes.

Dans une première réaction, Moscou avait fait savoir que son «ambassade en Centrafrique n’avait malheureusement pas été informée de la présence de journalistes russes dans le pays» et qu’une enquête criminelle avait été lancée sur ces meurtres survenus dans un pays en proie à l’anarchie depuis plusieurs années.
 
D’autres informations rapportées par l’agence russe Sputnik ont ensuite fait état de la découverte de deux cartes de presse délivrées au nom du journal Izvestia. Mais le journal a démenti avoir «ces derniers temps» un correspondant sur le territoire centrafricain.
 
Ce n’est que le 1er août au matin que l’on a appris que les trois hommes collaboraient avec le Centre de gestion des investigations, un projet lancé par l’ex-oligarque et opposant russe en exil, Mikhaïl Khodorkosvski.
 
Les trois hommes «se sont envolés le 27 juillet pour la Centrafrique pour filmer des images sur les activités de la société militaire privée Wagner dans ce pays», a expliqué cet organisme sur sa page Facebook.
 
Le groupe Wagner s'est illustré en Ukraine et en Syrie
Le groupe Wagner a été créé par un ancien officier du GRU (renseignements militaires russes), Dmitri Outkine.
 
Sans existence légale, les sociétés militaires privées étant interdites en Russie, l'entreprise a participé aux combats à partir de juin 2014 dans l'est de l'Ukraine aux côtés des séparatistes pro-russes, selon des médias et les services ukrainiens.
 
Elle s'est surtout illustrée en Syrie, agissant en parallèle de l'armée russe qui y intervient depuis septembre 2015 en soutien au régime de Bachar al-Assad.
 
Selon des experts, Wagner, composé de plusieurs milliers de mercenaires, aurait joué un rôle majeur dans les opérations russes dans l'est de la Syrie et dans la reprise de la cité antique de Palmyre. Ses hommes s'affranchissent cependant parfois de l'armée russe au service d'intérêts privés.
 
Le financier de l'organisation se nommerait Evguéni Prigojine, un homme d'affaire proche de Vladimir Poutine ayant fait fortune dans la restauration avant de conclure de nombreux contrats avec l'armée ou l'administration russe.
 
Il se trouve aujourd'hui inculpé par la justice américaine qui le soupçonne d'être derrière une «usine à trolls» à l'origine de messages viraux sur internet pour favoriser Donald Trump en 2016.
 
Sur la chaîne indépendante russe Dojd, la rédactrice en chef adjointe du Centre de gestion des investigations Anastasia Gorchkova a raconté que les trois journalistes russes tués avaient tenté d'accéder le 29 juillet à une base où seraient présents les mercenaires de Wagner.
 
L'accès leur a été refusé au motif qu'ils ne détenaient pas d'accréditation du ministère de la Défense local, a-t-elle ajouté, précisant qu'ils étaient assistés pour organiser leurs déplacements par un «consultant» de la mission de l'ONU.

Selon Moscou, leur voyage avait été déclaré «touristique»
Selon la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova, ils n'avaient pas informé les autorités russes de leur présence en Centrafrique. «Ce voyage avait été déclaré comme touristique», a-t-elle ajouté sur la chaîne Rossia 24.
 
Depuis début 2018, la Russie a déployé, avec un feu vert tacite de l'ONU, des instructeurs militaires en Centrafrique, livré des armes à l'armée nationale et assure la sécurité du président Faustin-Archange Touadéra, dont le conseiller à la sécurité est un Russe.
 
Moscou avait réussi à obtenir une exemption afin de vendre des armes au gouvernement centrafricain. Officiellement, le programme russe vise à renforcer une armée en grande difficulté dans un pays où la majeure partie du territoire est contrôlé par des groupes armés.
 
Mais par cette mission, Moscou vise également à renforcer son influence dans un Etat stratégique, riche en ressources telles que les diamants, l’or l’uranium et le bois.
 
La Russie a même tenté d’organiser début juillet une rencontre entre le gouvernement centrafricain et des groupes armés dans la capitale soudanaise, Khartoum, mais en vain.
 
 
 

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