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Le mystère des "pyramides" de Frenda en Algérie

Vieilles pour certaines de plus de seize siècles, les djeddars de Frenda, treize "pyramides" érigées sur deux collines voisines, gardent de nombreux secrets. Seule certitude : ces édifices de pierre à base carrée et élévation pyramidale à degrés, construits entre le IVe et le VIIe siècle, uniques en Algérie comme au Maghreb, étaient des monuments funéraires.

Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
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Etudiante en archéologie algérienne travaillant sur les pierres d'un ancien mausolée berbère, dans la région de Tiaret, en avril 2018. (RYAD KRAMDI / AFP)

A l’époque, des rois berbères régnaient sur la région. Les treize pyramides ont été construites sur trois siècles, à une époque de profonds bouleversements dans le nord de ce qui n’était pas encore l’Algérie mais la Numidie romaine. Une période que certains historiens ont appelé les "siècles obscurs du Maghreb". La région vivait le déclin de l'Empire romain d'Occident, les invasions vandales puis byzantines, et le début de la conquête arabe.

Ces djeddars monumentaux – qui mesurent jusqu'à 18 mètres de hauteur pour une base allant de 11,5 à 46 mètres de côté  ont été érigés sur deux collines distantes de 6 kimomètres près de Frenda, les trois plus anciens sur le djebel ("mont") Lakhdar et les dix autres sur le djebel Araoui.

"La particularité des djeddars est avant tout la date de leur construction, qui en fait les derniers monuments funéraires érigés en Algérie, avant l'arrivée de l'islam", relève Rachid Mahouz, archéologue algérien qui prépare depuis cinq ans une thèse de doctorat consacrée à ces pyramides.

Plusieurs siècles après "le tombeau de la Chrétienne"

Leur construction est postérieure de plusieurs siècles à celle des autres imposants monuments funéraires pré-islamiques recensés dans le nord de l'Algérie : le Medracen, mausolée numide (IIIe siècle av. J.-C.), le tombeau de Massinissa, premier roi de la Numidie unifiée (IIe siècle av. J.-C.) et le Mausolée royal maurétanien (communément appelé "tombeau de la Chrétienne" (Ier siècle av. J.-C.).

Selon un grand nombre d’historiens, ils ont été construits à l’époque de la christianisation et abritaient les princes berbères romanisés qui suivaient la religion chrétienne

Omar Mahmoudi, historien

à Algérie Presse Service

Certains chercheurs voient dans tous ces monuments des évolutions des tumulus – amas de pierres au-dessus d'une tombe  puis des bazinas, constructions funéraires de pierres sèches communes au Maghreb et au Sahara, vieilles de plusieurs milliers d'années.

La plus ancienne description écrite connue des djeddars est celle de l'historien Ibn Rakik, au XIe siècle, rapportée au XIVe par Ibn Khaldoun, grand penseur maghrébin de l'époque. Mais durant des siècles, ces monuments situés dans une région peu peuplée n'ont intéressé personne et ont été livrés à l'usure du temps et aux pillards.

Tous renferment une ou plusieurs pièces (jusqu'à vingt pour le plus grand) reliées par un système de galeries, dont des chambres funéraires, laissant penser à des sépultures collectives. Certaines pièces sont dotées de banquettes, de possibles lieux de culte funéraire, selon certains chercheurs.

Inscription prévue sur la liste du patrimoine de l'Unesco

Les linteaux de pierre des portes intérieures sont sculptés de motifs traditionnels des édifices chrétiens (rosaces, chevrons...), mais aussi de scènes de chasse ou de figures animales. Mais les inscriptions probablement latines sont en trop mauvais état pour être interprétées ; certains chercheurs y ont vu des lettres grecques, ce que d'autres contestent.

Le pillage et la détérioration des djeddars au fil du temps leur compliquent la tâche. Certains, effondrés, n'ont jamais été fouillés, faute de pouvoir accéder à l'intérieur, et pourraient encore renfermer des restes, estime l'archéologue Rachid Mahouz. "Les archives françaises sur les djeddars ne sont pas disponibles et les objets et ossements trouvés dans certains à l'époque coloniale ont été emportés en France", regrette-t-il. Enfant de la région, il déplore le manque de recherches consacrées à ces "merveilles", alors que l'archéologie n'a commencé à être enseignée qu'au début des années 1980 à l'université algérienne, sans qu'aucun spécialiste en monuments funéraires ne soit formé.

Les djeddars figurent au patrimoine national algérien depuis 1969. Les autorités et archéologues du pays souhaitent les faire inscrire sur la liste du Patrimoine mondial de l'Unesco, ce qui permettrait de mieux les préserver et les étudier. Le Centre national pour la recherche préhistorique, anthropologique et historique (CNRPAH) prépare depuis plus d'un an le dossier à soumettre à l'Unesco, une procédure complexe. Il doit être "déposé durant le premier trimestre de l'année 2020", a indiqué à l'AFP le ministère algérien de la Culture. En étant reconnu par l'Unesco, les djeddars rejoindraient sept autres "merveilles" de l'Algérie déjà inscrites au Patrimoine mondial de l'humanité

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