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Andrew Mlangeni, "le dernier monument d'une génération courageuse de Sud-Africains"

Le dernier survivant du procès de Rivonia est décédé le 22 juillet 2020 à l'âge de 95 ans.

Article rédigé par Falila Gbadamassi - Avec agences
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4 min
Andrew Mlangeni (au premier plan), aux côtés de Wilton Mkwayi, à leur libération après 26 ans de prison, le 15 octobre 1989 à Soweto, en Afrique du Sud.   (WALTER DHLADHLA / AFP)

Toute la classe politique sud-africaine avait célébré le 6 juin 2020 ses 95 printemps. A défaut du grand évènement prévu, une visioconférence avait été organisée dans un pays confiné et retransmise sur les antennes de la SABC, la télévision publique. Andrew Mlangeni, toujours fringant et avec sa verve habituelle, avait chaleureusement remercié tous les participants d'avoir célébré "ce jour très important pour lui" dans ces "conditions difficiles". Il confiait alors n'avoir jamais imaginé atteindre ce grand âge. 

Ce compagnon de lutte de Nelson Mandela, icône de la lutte contre l'apartheid et premier président noir de l'Afrique du Sud, s'est éteint dans "la nuit de mardi à mercredi", a annoncé le 22 juillet 2020 le président sud-africain Cyril Ramaphosa.

"La fin d'une génération"

Andrew Mlangeni avait été hospitalisé le 14 juillet dans un hôpital de Pretoria pour des douleurs abdominales, a indiqué la présidence sud-africaine dans un communiqué. Son décès "marque la fin d'une génération et place notre avenir dans nos mains", a affirmé le président sud-africain.

Il était "le dernier monument d'une génération courageuse de Sud-Africains qui ont renoncé à leur liberté, leur carrière, leur vie de famille et leur santé pour que nous soyons tous libres", a réagi le prix Nobel de la paix, Desmond Tutu, compagnon de lutte de Nelson Mandela. "Il revient maintenant aux plus jeunes de reprendre le bâton de témoin qu'ils ont tenu et de terminer le chemin", a-t-il ajouté dans un communiqué. 

L'une des premières recrues de la branche armée du Congrès national africain (ANC), l'Umkhonto we Siswe (MK), était le dernier survivant du procès de Rivonia (1963-1964), au cours duquel plusieurs membres éminents de la formation anti-apartheid, dont Nelson Mandela, avaient été condamnés à la prison à vie. Andrew Mlangeni a finalement passé vingt-six ans derrière les barreaux. L'ANC a rendu hommage à "l'un de ses combattants les plus remarquables" qui "considérait que la liberté du peuple était plus importante que sa propre vie". 

Le militant voit le jour le 6 juin 1925. En 1951, il rejoint le mouvement des jeunes de l'ANC (ANCY), puis l'ANC lui-même en 1954. Quelques années plus tard, il est envoyé dans la Chine communiste pour suivre une formation militaire avant que la branche armée de l'ANC ne se forme. Avant de partir, il prend le nom de Percy Mokoena, peut-on lire sur le site de l'université de Johannesburg où lui est consacrée une exposition en ligne. Il deviendra plus tard le révérend Mokete Mokoena pour transporter les nouvelles recrues du MK. L'homme aux multiples patronymes est emprisonné quelques années après son retour à la suite du procès de Rivonia. 

Le "Backroom Boy"

"J'ai toujours été le garçon de l'arrière-boutique (Backroom Boy, en anglais)", avait dit de lui-même Andrew Mlangeni. Une expression qui servira de titre à la biographie que lui consacrera Mandla Mathebula, The Backroom Boy : Andrew Mlangeni's story (Wits University Press, 2017). "Ce que j'ai appris (en écrivant) sa biographie est que nous pouvons facilement oublier de telles personnes dans l'histoire si nous ne travaillons pas dur pour (analyser) ce qu'elles ont apporté à notre nation", a confié l'auteur au Sowetan Live. Mandla Mathebula est le seul à avoir pu convaincre le proéminent activiste de se soumettre à l'exercice.  

Même après sa libération en octobre 1989, cet homme de l'ombre n'occupera pas de position de premier plan au sein du régime post-apartheid. Andrew Mlangeni a été membre du parlement (de 1994 à 1999 et de 2009 à 2014). L'homme, dont l'intégrité est saluée par tous, n'avait de cesse de critiquer la corruption rampante dans les rangs de l'ANC, au pouvoir. "Certains de nos dirigeants politiques sont devenus absolument corrompus – ils ne sont plus intéressés par l'amélioration de la vie de notre peuple. Ils sont occupés à se remplir les poches avec l'argent qui est censé aider les pauvres. Quelle honte !", avait-il déclaré à l'université de Rhodes (Grahamstown, province du Cap-Oriental) où il avait reçu un doctorat honorifique en 2018, rapporte le Sowetan Live.

Andrew Mokete Mlangeni a vécu dans son township natal de Soweto, près de Johannesburg, jusqu'à sa mort. Passionné de golfe, il avait confié avoir dit à son épouse June Mlangeni, disparue en 2001 et mère de quatre enfants, que ce sport était "sa première femme". En 2018, le vétéran avait foulé le tapis rouge à Cannes avec l'équipe d'un documentaire consacré au procès de Rivonia, The State against Mandela and the others (L'Etat contre Mandela et les autres)" de Nicolas Champeaux et Gilles Porte. "Je savais qu'un jour je sortirais de prison... Mais je n'avais jamais imaginé venir en France, encore moins être dans un film montré au monde entier", avait-il alors déclaré. 

Depuis ce 24 juillet, les drapeaux sud-africains sont en berne et le resteront jusqu'aux obsèques d'Andrew Mlangeni prévues le 29 juillet. Un autre condamné lors du procès Rivonia, Denis Goldberg, s'est éteint à l'âge de 87 ans, en avril dernier.

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