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«L'Etat contre Mandela et les autres»: le procès de Rivonia vu de l'intérieur

«L'Etat contre Mandela et les autres», le documentaire réalisé par Nicolas Champeaux et Gilles Porte, atteste à la fois d'un engagement individuel et d'un mouvement unitaire des militants anti-apartheid, qui se retrouvent en 1963 sur le banc des accusés au procès de Rivonia, pour défendre les droits des opprimés en Afrique du Sud. Notamment, les Noirs et les «personnes de couleur».
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Portraits des huit militants anti-apartheid jugés et condamnés à la prison à vie à l'issue du procès de Rivonia en 1964. De gauche à droite, en haut, Denis Goldberg, Andrew Mlangeni, Ahmed Kathrada, Walter Sisulu; toujours de gauche à droite, en bas, Raymond Mhlaba, Elias Motsoaledi, Nelson Mandela et Govan Mbeki.   (Photo du film «L'Etat contre Mandela et les autres» - UFO Distribution)

Le procès de Rivonia, qui s'est tenu en Afrique du Sud entre octobre 1963 et juin 1964, a maintenu le premier président noir de l'Afrique du Sud, Nelson Mandela, dans les geôles du pouvoir ségrégationniste sud-africain durant vingt-sept ans. Ce sont les coulisses de ce procès que nous donnent à voir les cinéastes Nicolas Champeaux et Gilles Porte dans leur documentaire L'Etat contre Mandela et les autres (The State Against Mandela and the Others), présenté lors de la dernière édition du Festival de Cannes et qui sort dans les salles françaises en octobre 2018. 

Le film s'appuie sur des entretiens, de l'animation et surtout sur les archives sonores des audiences - plus de 200 heures - pour reconsituer un procès dont aucune image n'est disponible. L'oeuvre revient sur un évènement judiciaire majeur dans la lutte contre le régime suprémaciste sud-africain. Elle s'avère particulièrement instructive en 2018, année où le monde célèbre le centenaire de l'icône de la lutte contre l'apartheid, Nelson Mandela. D'autant que le documentaire met en lumière les compagnons de lutte de Madiba. L'Etat contre Mandela et les autres emmène ainsi le spectateur dans le psyché des accusés, au coeur de la stratégie de défense de leurs avocats et du maelström d'émotions qui agitent leurs proches. 

La violence, l'inexorable option

L'Etat contre Mandela et les autres démarre sur une efficace reconstitution animée, signée par l'artiste Oerd van Cuijlenborg, de l'arrestation de Nelson Mandela, Walter Sisulu, Govan Mbeki, Elias Motsoaledi, Andrew Mlangeni, Raymond Mhlaba, Ahmed Kathrada et de Denis Goldberg, entre autres, le 11 mars 1963 dans une ferme située à Rivonia, au nord de Johannesbourg. Les militants anti-apartheid sont accusés par le gouvernement sud-africain de sabotage. Un crime passible de la peine de mort mais ils n'écoperont finalement que de la prison à vie. 


A l'époque de leur interpellation, le Congrès national africain (ANC), jusqu'ici non violent, a décidé de recourir à la lutte armée pour en finir avec l'oppression que subissent les Noirs. Le déclic: le massacre de Sharpeville en mars 1960. Les Noirs protestent pacifiquement contre le «pass», un document utilisé pour contrôler leurs déplacements. Les manifestants sont violemment réprimés par les forces de police. Quelques mois plus tard, l'ANC se dote d’une branche armée, l'Umkhonto we Siswe (MK), et se tourne vers le sabotage. Le mouvement anti-apartheid est plus que jamais dans le viseur du régime sud-africain. Rivonia est le procès des dirigeants du MK. 

Nicolas Champeaux et Gilles Porte ont recueilli les témoignages précieux des ex-accusés de Rivonia: Denis Goldberg (accusé n°3), Ahmed «Kathy» Kathrada (accusé n°5) et Andrew Mlangeni (accusé n°10). Le dispositif imaginé par les réalisateurs replonge ces derniers dans le procès de Rivonia. Tout comme leurs avocats, George Bizos et Joel Joffe, les proches des militants jugés comme Winnie Mandela ou Sylvie Neame (une Blanche), alors engagée dans une relation interdite avec Ahmed Kathrada (un Indien) dans l'Afrique du Sud raciste. Max Sisulu, fils de Walter Sisulu, Toni Strasburg (fille de Rudy Bernstein qui sera arrêté puis acquitté au procès de Rivonia) ou encore le fils du procureur Percy Yutar, David Yutar, interviennent également dans le film.


De gauche à droite, le cinéaste Gilles Porte, l'activiste politique Sylvia Neame, l'ancien prisonnier politique Andrew Mlangeni et le réalisateur Nicolas Champeaux posent le 14 mai 2017 lors d'un photocall à l'occasion de la présentation de leur film «L'Etat contre Mandela et les autres (The State Against Mandela)» en sélection officielle de la 71e édition du Festival de Cannes.
 (Loic VENANCE/AFP)


Une fraternité politique au service de la cause des opprimés
Les propos de ces protagonistes directs ou indirects dans L'Etat contre Mandela et les autres éclairent sur la diveristé des enjeux liés au procès de Rivonia. Les avocats soulignent bien que leurs clients risquaient la peine de mort. Winnie Mandela, disparue au début de l'année 2018, confie avec une émotion intacte l'effroi ressenti par les proches face à la perspective de cette sentence. La compagne de Mandela revient, entre autres, sur la naissance de ce cri de ralliement - un «Amandla» (le pouvoir) lancé auquel la foule répond «Ngawethu» (est à nous) - que l’on entendra pendant tout le procès et bien souvent après.

Le banc des accusés réunit des hommes qui sont mus, pour des raisons diverses, par une seule préoccupation: la défense des droits des opprimés. C'est le cas de Denis Goldberg, Sud-Africain d'origine juive dont les héros étaient les résistants de la Seconde guerre mondiale et qui s'était juré de combattre le racisme après l'Holocauste; d'Ahmed Kathrada (alias Pedro), issu de la communauté indienne moins réprimée que les Noirs mais tout aussi ségréguée et qui, lors d'un séjour européen, fit l'expérience de la liberté; ou encore d'Andrew Mlangeni qui raconte comment il a compris très tôt qu'un enfant noir n'avait pas les mêmes droits qu'un enfant blanc. Ces hommes racontent leur acharnement à ne montrer aucun signe de faiblesse durant leur procès, au risque de décevoir ou de trahir tous les autres militants anti-apartheid qui se sacrifiaient au quotidien pour la cause. La mort, comme l'explique les co-accusés, est alors une issue possible que rappelle Nelson Mandela dans le célèbre discours prononcé devant la Cour.

Ahmed Kathrada, qui est décédé pendant le tournage du film, explique ainsi comment d'un commun accord le procès de Rivonia a été transformé en procès politique. D'où le choix fait par le groupe d'opter pour le plaidoyer, prononcé le 20 avril 1964, par Nelson Mandela, un excellent orateur. «J’ai lutté contre la domination blanche et j’ai lutté contre la domination noire. J’ai chéri l’idéal d’une société démocratique et libre dans laquelle toutes les personnes vivent ensemble en harmonie et avec des chances égales. C’est un idéal pour lequel je souhaite vivre et que j’espère accomplir. Mais si c’est nécessaire, c’est un idéal pour lequel je suis disposé à mourir.» 


  (Photo du film «L'Etat contre Mandela et les autres» (animation) - Ufo Distribution)

Une œuvre instructive et nécessaire
D'un côté, l'avocat porte-voix, de l'autre, la tête pensante politique, Walter Sisulu qui se pliera, lui, à l'interrogatoire mené par le procureur Percy Yutar diabolisé sous la plume de l'artiste Oerd van Cuijlenborg. A l'instar du juge Quartus de Wet, président de la Cour, avec lequel il incarne l'accusation. Leur présence menaçante plane sur les militants anti-apartheid. Et le fils du premier, David Yutar, témoigne du zèle mis par son père, juif, au service d'un pouvoir sud-africain suprémaciste et antisémite. L'Etat contre Mandela et les autres est émaillé de documents d'archives qui rappellent le contexte qui prévaut dans l'Afrique du Sud où certaines annonces publicitaires assimilent tout simplement les Noirs... à des chevaux.

Au delà d'un bel hommage aux accusés de Rivonia et à tous ceux qui les ont soutenus, les choix formels et la qualité de la matière documentaire font du film une oeuvre nécessaire au moment où les libertés individuelles sont menacées, les discours haineux et racistes se multiplient et où l'oppression gagne du terrain un peu partout dans le monde. Le film de Nicolas Champeaux et Gilles Porte permet d'accéder à des hommes ordinaires qui ont eu le courage de défendre leurs convictions. Le documentaire rappelle combien la lutte contre toutes les formes d'inégalité, en particulier le racisme, ne peut être le combat exclusif des victimes mais celui de toute l'humanité se dressant comme un seul Homme. Cette reconstitution du procès de Rivonia, alors même que beaucoup des principaux protagonistes ont disparu, apparaît comme une salvatrice piqûre de rappel.  


>>L'Etat contre Mandela et les autres
Un documentaire Nicolas Champeaux et Gilles Porte
Sortie française en salles: 17 octobre 2018
 


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