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Afghanistan : "Les jeux sont faits", analyse une politologue, alors que les talibans sont aux portes de Kaboul

"L'appareil politico-militaire est déjà en train de quitter le pays", a assuré la politologue Myriam Benraad, alors que ministre de l'Intérieur afghan a assuré qu'un "transfert pacifique du pouvoir" vers un gouvernement de transition allait avoir lieu.

Article rédigé par franceinfo
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Des combattants talibans dans la province de Laghman, en Afghanistan, le 15 août 2021. (AFP)

"Les jeux sont faits" en Afghanistan, alors que les talibans sont aux portes de Kaboul, a analysé dimanche 15 août sur franceinfo la politologue spécialiste du monde arabe Myriam Benraad. "Les Afghans ne sont pas armés, ils n'ont pas les moyens matériels d'entrer en guerre contre les talibans, on est pour l'instant dans une phase de sidération parmi les civils", a expliqué la chercheure.

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franceinfo : À quoi va ressembler la prise de Kaboul par les talibans, selon vous ?

Myriam Benraad : Il ne faut pas s'attendre à ce que le gouvernement régulier oppose une résistance. C'est terminé, les jeux sont faits. Il faut souligner que talibans y étaient déjà. Même s'ils n'avaient pas la mainmise sur la capitale, Kaboul a connu des attentats dramatiques. Donc la présence était là, avec des complicités et un certain soutien, même s'il était limité. Les forces afghanes, héritées de la période d'occupation américaine, ont montré à quel point elles étaient artificielles : corrompues, incapables d'agir sans le soutien américain… Un certain nombre des membres de l'armée afghane ont déserté ou ont rejoint les talibans en voyant que le vent tournait.

Comment va réagir le président afghan Ashraf Ghani, s'il n'oppose pas de résistance ?

Il va essayer de fuir. Un certain nombre de représentants afghans, de soldats, de généraux, tout cet appareil politico-militaire formé sous tutelle américaine, est déjà en train de quitter le pays. Certains se sont réfugiés au Tadjikistan, en Ouzbékistan, d'autres vont partir vers l'Iran… La seule chose que le président peut négocier, et encore j'émets de grands doutes, c'est d'éviter une campagne de représailles, qui va se traduire par des assassinats ciblés contre tous ceux suspectés d'avoir collaboré avec les États-Unis et le gouvernement afghan. Kaboul, aux yeux des talibans, est une ville de collaborateurs et c'est pour cela que les civils fuient massivement. Le président aura-t-il les moyens de négocier cela ? J'en doute aussi.

Comment la population va-t-elle accueillir le retour au pouvoir des talibans ?

La population afghane n'est pas homogène. Il y a une base partisane, mais dans les sondages d'opinion réalisés, on a très bien vu ces dernières années que le soutien populaire aux talibans a chuté de manière drastique, puisqu'on est aujourd'hui à 15% de soutien dans la population. Surtout, la population est totalement résignée et désespérée. Il y a une grande lassitude parmi les Afghans. Après 20 ans de guerre, où ils ont payé le prix lourd, revoir les talibans déferler sur le pays créé un effet de sidération. Objectivement, les Afghans ne sont pas armés, ils n'ont pas les moyens matériels d'entrer en guerre contre les talibans. On est pour l'instant dans une phase de sidération parmi les civils.

À quel point le peuple afghan doit-il craindre ce retour au pouvoir des talibans ?

Le problème, c'est que les talibans s'étaient engagés en février 2020 à des négociations inter-afghanes avec le gouvernement, et ils n'ont absolument rien respecté de l'accord qu'ils avaient passé avec les Américains à l'époque. On a beaucoup de déclarations de façade. C'est un mouvement qui est dans un rapport de force pur et dur, et une fois qu'ils auront pris le pouvoir, qu'ils se seront installés et en l'absence de résistance, ils n'auront aucune contrainte pour nuancer les mesures qu'ils ont en tête et qui procèdent d'une idéologie qui n'a pas changé, même si elle s'est modernisée.

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