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"On n'est ni manipulés, ni dirigés" : des citoyens tirés au sort racontent les premiers mois de la Convention pour le climat

Mise en place après la crise des "gilets jaunes", la Convention citoyenne pour le climat, formée de 150 Français tirés au sort, a reçu, vendredi 10 janvier, le chef de l'Etat. L'occasion pour franceinfo de faire le point sur cette initiative inédite, avec neuf participants.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Les neufs participants de la Convention citoyenne pour le climat interrogés le 10 janvier 2020 par franceinfo. (DR)

La mention est presque passée inaperçue. Dans ses vœux aux Français, mardi 31 décembre, le président de la République est revenu sur la Convention citoyenne pour le climat, cet outil mis en place pour répondre à la crise des "gilets jaunes" et au défi du changement climatique"J'attends beaucoup des propositions que préparent 150 de nos compatriotes qui se sont engagés dans la Convention citoyenne et travaillent depuis plusieurs semaines d'arrache-pied", a déclaré Emmanuel Macron, après avoir annoncé que "2020 sera aussi l'année où un nouveau modèle écologique doit se déployer". Un premier coup de projecteur qui en annonçait un second : le président s'est rendu, vendredi 10 janvier, au quatrième week-end de cette convention, dont les 150 membres sont des citoyens représentatifs de la société française tirés au sort.

Une visite qui était attendue par les participants. "C'est une reconnaissance de notre travail. Il vient pour nous donner encore plus de poids et faire parler un peu plus de la Convention", se félicite Marie-Josée, une retraitée de 65 ans. Dans l'entourage de cette habitante d'un village du Pas-de-Calais, seuls ses proches font "tilt" lorsqu'ils entendent parler de la Convention. Lancée début octobre, cette initiative inédite peine à faire les gros titres. "Jusqu'à maintenant, pour médiatiser nos travaux, il n'y avait que 150 personnes assises sur des fauteuils rouges, ce n'est pas très intéressant", reconnaît Sylvain, un Parisien de 45 ans.

Des "super-héros citoyens"

Pourtant, ce responsable marketing, qui était avant d'être tiré au sort "plutôt un cynique parisien" qu'un militant écologiste, ne cache pas son enthousiasme pour cette assemblée de "super-héros citoyens, entre Jaurès et Léon Blum" et sa complexe mission. Le mandat confié par le gouvernement est ambitieux : "Définir une série de mesures en matière de lutte contre le changement climatique permettant d'atteindre une baisse d'au moins 40% des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 (par rapport à 1990) dans un esprit de justice sociale". Une diminution impérative pour respecter l'accord de Paris et limiter le réchauffement climatique sous les 1,5°C, une barre au-delà de laquelle les conséquences seraient catastrophiques. Emmanuel Macron s'est engagé à ce que ces propositions soient soumises "sans filtre" à référendum, au Parlement ou à application réglementaire directe. 

Se dire le samedi matin, aujourd'hui, je ne vais pas au marché, je vais discuter pour intégrer les problématiques climatiques et environnementales dans le 1er article de la Constitution, c'est fichtrement motivant.

Sylvain

à franceinfo

Cet élan est partagé par une majorité des neuf citoyens interrogés par franceinfo. "J'étais sceptique au début. Je me disais, ces 150 personnes, si elles sont aussi ignorantes que moi, cela va être compliqué", nous confie Grégoire, un Caennais de 31 ans. Les premiers mois de travail, ponctués par des sessions le week-end à Paris, l'ont convaincu de la possibilité d'aboutir à des propositions "fortes, puissantes et acceptables par la population". Depuis octobre, les 150, divisés en cinq groupes de travail ("Se nourrir", "Produire-travailler", "Consommer", "Se loger", "Se déplacer"), ont rencontré des climatologues, des chefs d'entreprises, la "gilet jaune" Priscillia Ludosky, des responsables politiques, des syndicalistes ou des associations environnementales. "C'est prenant, très intéressant et très instructif. Je le fais avec plaisir, ce n'est pas une contrainte du tout. Contrairement à ce que beaucoup pensent, on n'est ni manipulés, ni dirigés", appuie Francine, une retraitée de 70 ans de Manosque (Alpes-de-Haute-Provence).

Des "montagnes russes"

D'autres participants sont plus circonspects. "Il y a des jours où je repars en me disant : 'On n'y arrivera jamais'", témoigne Agnès, 42 ans. Cette gestionnaire de paie de L'Haÿ-les-roses (Val-de-Marne) évoque des "montagnes russes", entre pics d'optimisme et gouffres d'inquiétude face à l'ampleur de la tâche. Depuis son village du Limousin, Guy, un retraité de 60 ans, regrette pour l'instant l'absence de débats entre les 150 et la relation avec les personnes rencontrées. "On a dit qu'on auditionnait, c'est un terme que je trouve un peu fort. Des experts sont venus nous exposer leur travail, mais nous ne sommes pas suffisamment qualifiés sur le sujet pour leur poser des questions techniques et précises", estime-t-il.

Marie-Josée, qui confiait à L'Obs au début des travaux sa crainte d'être "téléguidée" par le gouvernement, n'est pas complètement débarrassée de cette inquiétude. "C'est peut-être un peu méchant de dire 'téléguider', mais cette Convention est quand même proposée par le gouvernement, avec les pistes et les données du gouvernement", rappelle-t-elle. Elève dans une école d'aide-soignante, Angela, 46 ans, ne veut pas que l'exécutif se serve des travaux de la Convention pour remettre au goût du jour la taxe carbone, qui avait déclenché le mouvement des "gilets jaunes". "On en entend beaucoup parler, par des intervenants ou des animateurs. Il est hors de question qu'on remette un impôt aux citoyens", s'emporte cette habitante de Moissy-Cramayel (Seine-et-Marne).

A Toulouse, Muriel, intermittente du spectacle de 47 ans, regrette que sa demande d'auditionner l'astrophysicien Aurélien Barrau – "quelqu'un qui secoue les gens" et devrait être "au journal de 20 heures" – n'ait pas été retenue. Elle s'agace également des groupes de travail, qu'elle juge trop vastes et qui "ciblent les citoyens et pas les industriels". "'Se loger', ce devrait être 'Comment construire'", estime-t-elle.

Une "claque" climatique

Tous les participants interrogés par franceinfo s'accordent en revanche sur la "claque" qu'ils ont reçue avec ce cours accéléré sur le changement climatique. "Cela a été un véritable choc. La première session, on tombe des nues. J'ai retenu deux chiffres : un Français émet 11 tonnes de CO2 par an, pour respecter l'accord de Paris, il faut réduire à 2 tonnes en 2050", raconte William, un architecte nantais de 33 ans. Sylvain a retenu les 10 milliards de personnes "qu'on ne pourra pas nourrir" sur la planète, les 300 millions de réfugiés climatiques... "On va être obligés de se raisonner, le mur arrive", s'inquiète-t-il. 

Certains, comme Guy, ont même "accusé le coup". "Le lundi qui a suivi la première session, j'ai fait une petite déprime. Je me suis senti complètement perdu", témoigne ce grand-père, conscient que ses sept petits-enfants "vont vivre en direct les problèmes à venir". D'autres ont décidé de changer leurs habitudes : Agnès a renoncé à acheter un SUV, ces nouvelles voitures particulièrement polluantes, William n'ira plus à Berlin (une ville où il se rend régulièrement) en avion.

Face à l'ampleur du problème, ils espèrent que leur travail fera bouger les choses. La quatrième session, prévue du 10 au 12 janvier, doit permettre de faire un premier tri entre des propositions, qui doivent être livrées au gouvernement le week-end des 2 et 3 avril. "J'espère que ça suivra, que nos mesures seront votées et appliquées", confie Angela. Circonspecte, Muriel attend de voir s'il y aura "un lien entre les paroles et les actes". Francine redoute la manière dont les propositions seront accueillies par l'opinion publique : "Ce qui me tracasse, c'est que les gens ne se sentent pas concernés par l'urgence climatique". Sylvain espère, lui, que cette Convention ne sera pas un "pétard mouillé", mais marquera "une vraie bascule".

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