Epidémies, insécurité alimentaire, canicules… Un rapport du "Lancet" alerte sur les effets du réchauffement climatique sur la santé
Le rapport "Compte à rebours" de la très sérieuse revue scientifique, dévoilé jeudi, insiste sur la nécessité d'intégrer la lutte contre le changement climatique dans les plans de relance post-Covid-19.
A quoi ressemblera le monde post-Covid-19 en matière de climat et de santé ? Le sixième rapport annuel "Countdown" (en anglais) de la revue scientifique The Lancet, publié jeudi 21 octobre, alerte sur la nécessité de prendre de toute urgence le tournant de la transition écologique afin de "remédier aux inégalités mondiales en matière de santé et construire un avenir durable". Ses auteurs, les chercheurs de 38 institutions universitaires et d'agences des Nations unies, enjoignent les gouvernements d'intégrer davantage la lutte contre le changement climatique dans leurs plans de relance post-pandémie.
A dix jours de la COP26, perçue comme le rendez-vous de la dernière chance pour modifier la trajectoire des émissions de gaz à effet de serre, le rapport passe en revue 44 indicateurs, dont beaucoup sont dans le rouge. "Ils dessinent de sombres perspectives : les inégalités mondiales augmentent et l'évolution de la situation se traduit par une détérioration de tous les paramètres de santé", pointe The Lancet. Voici ce qu'il faut retenir de ce nouveau signal d'alarme émis par le monde scientifique.
Des humains de plus en plus exposés aux épidémies
Alors que la planète n'en a pas fini avec le Covid-19, qui s'est déclaré fin 2019 en Chine, le rapport insiste sur le fait que le changement climatique et ses facteurs créent des conditions idéales pour la transmission des maladies infectieuses. De quoi réduire à néant des décennies de progrès dans la lutte contre des maladies telles que la dengue, le chikungunya, le virus Zika, le paludisme et le choléra.
"Le changement climatique est là et nous le voyons déjà nuire à la santé humaine dans le monde entier."
Le professeur Anthony Costello, directeur exécutif du "Lancet" Countdowndans un communiqué
Les côtes du nord de l'Europe et des Etats-Unis deviennent aussi des milieux de plus en plus propices à des bactéries qui provoquent des gastro-entérites, des infections graves des plaies et des septicémies, relèvent les auteurs.
Un risque accru de sécheresse, d'incendies et de manque de nourriture
Le dérèglement du climat et la hausse des températures ont d'autres conséquences sur la santé : en 2020, les adultes de plus de 65 ans ont été affectés par 3,1 milliards de jours* supplémentaires d'exposition à la canicule de plus que la moyenne annuelle de la période 1986-2005, selon le rapport. Les seniors chinois, indiens, américains, japonais et indonésiens ont été les plus touchés. La même année, jusqu'à 19% de la surface terrestre mondiale a été touchée par une sécheresse extrême au cours d'un mois donné, une valeur qui n'avait pas dépassé 13% entre 1950 et 1999.
Cette multiplication des épisodes de sécheresse augmente le risque d'incendies de forêt et d'exposition aux polluants. Elle menace aussi l'accès à l'eau, à l'assainissement et à la sécurité alimentaire. La hausse des températures raccourcit la période pendant laquelle les plantes atteignent leur maturité, ce qui se traduit par des rendements plus faibles. Le potentiel de rendement des cultures a diminué de 6% pour le maïs, de 3% pour le blé et de 1,8% pour le riz par rapport aux niveaux enregistrés entre 1981 et 2010. Près de 70% des pays côtiers (95 sur 136 analysés) observent par ailleurs une augmentation de la température de leurs eaux territoriales. Une menace pour la sécurité alimentaire d'origine marine de ces pays.
Des plans de relance qui ne vont pas dans le bon sens
Selon les auteurs du rapport, de nombreux plans de relance post-Covid-19 ne sont pas compatibles avec l'accord de Paris, qui vise à limiter le réchauffement climatique à moins de 2 °C au-dessus du niveau préindustriel, et dans l'idéal à 1,5 °C. "On estime que moins d'un dollar sur cinq dépensé pour la relance Covid réduira les émissions de gaz à effet de serre et que l'impact global sera probablement négatif. Nous nous remettons d'une crise sanitaire d'une manière qui met notre santé en danger", déplore Marina Romanello, biochimiste et directrice de recherche au Lancet Countdown.
Le rapport montre aussi que malgré la crise du Covid, les systèmes de santé sont mal préparés aux chocs sanitaires actuels et futurs induits par le climat. Selon l'enquête 2021 de l'OMS sur la santé et le changement climatique, seuls 45 pays sur 91 ont déclaré avoir effectué une évaluation des risques sanitaires et de l'adaptation au changement climatique, une proportion similaire à 2018. Sur ces 91 pays, 69% affirment que des aspects financiers les empêchent de mettre en œuvre une stratégie. Au niveau mondial, "le financement de l'adaptation au changement climatique destiné aux systèmes de santé ne représente que 0,3% du financement total de l'adaptation au changement climatique", chiffrent les auteurs.
A l'instar de l'incapacité du monde à assurer "un accès équitable" aux vaccins contre le Covid-19, les données du rapport révèlent des inégalités similaires dans la réponse mondiale au changement climatique : les pays à l'indice de développement humain (qui mesure plusieurs critères comme le PIB par habitant, l'espérance de vie et le niveau d'éducation) le plus bas, qui sont souvent les moins responsables de l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre, sont en difficulté pour s'adapter au changement climatique.
Un moment charnière qui représente une "opportunité historique"
Alors que les pays engagent actuellement des milliers de milliards de dollars pour relancer leurs économies affectées par la pandémie, le rapport exhorte les dirigeants politiques et les décideurs à utiliser ces dépenses publiques pour réduire les inégalités en matière de santé face au changement climatique. "Ce moment charnière de la relance économique représente une opportunité historique de garantir la santé des générations actuelles et futures", écrivent les auteurs.
Pointant le fait qu'une relance basée sur les combustibles fossiles ne permettra d'atteindre que des objectifs économiques limités et à court terme et dégradera encore la situation, ils préconisent d'encourager une relance verte en créant de nouveaux emplois liés à la transition climatique. "La bonne nouvelle, c'est que les efforts considérables que les pays déploient pour relancer leur économie après la pandémie peuvent être orientés de manière à répondre simultanément au changement climatique et au Covid. Nous avons le choix", estime Anthony Costello, professeur à l'University College de Londres et directeur exécutif du Lancet Countdown.
"Il est particulièrement urgent de renforcer les services de santé des pays à revenu faible et intermédiaire… Cependant, l'avenir n’est pas nécessairement sans espoir."
"The Lancet"dans son éditorial
"Le rapport Lancet Countdown nous montre à quel point notre santé est menacée. Il nous montre également tout ce que nous avons à gagner en prenant des mesures ambitieuses en faveur du climat : un air plus pur, une réduction des coûts des soins de santé et une société plus saine et plus juste, observe Maria Neira, directrice du département santé et environnement de l'OMS. L'argument sanitaire en faveur de l'action climatique n'a jamais été aussi clair ; qu'attendons-nous ?"
* Ce chiffre est obtenu en multipliant le nombre de personnes affectées par le nombre de jours de canicule.
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