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Environnement : existe-t-il vraiment des écoterroristes en France, comme le laisse entendre Gérald Darmanin ?

Après les affrontements entre forces de l'ordre et opposants au projet de méga-bassine à Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, le ministre de l'Intérieur a fustigé des actions relevant de l'écoterrorisme. Un non-sens dans le contexte français, expliquent les chercheurs.

Article rédigé par Théo Uhart
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Les militants se rassemblent à Sainte-Soline pour s'opposer au projet de méga-bassine. (PASCAL LACHENAUD / AFP)

Les actions des opposants au projet de méga-bassines de Sainte-Soline "relèvent de l'écoterrorisme", a lâché Gérald Darmanin, dimanche 30 octobre, après plusieurs affrontements entre militants et forces de l'ordre. Les manifestations de ce week-end s'opposaient à la création de bassines de rétention d'eau pour permettre à l'agriculture de pallier les sécheresses à venir.

>> Deux-Sèvres : "Les seuls qui ont été agressifs sont les forces de l'ordre", réagit la gauche après les accusations d'"écoterrorisme"

Cette stratégie de communication du ministère de l'Intérieur est assumée : elle vise à prendre à témoin les Français choqués par les images, explique-t-on du côté de l'exécutif. Mais "il n'y a pas d'écoterroristes au sens propre en France", réplique Eric Denécé. Le directeur du centre français de recherche sur le renseignement (CF2R) n'est "pas sûr que Gérald Darmanin sache de quoi il parle"

Un mouvement né en Grande-Bretagne et fortement implanté aux Etats-Unis

L'écoterrorisme prend sa source au Royaume-Uni dans les années 1970, avec l'apparition de l'ALF : l'Animal Liberation Front (Front de libération des animaux), qui promeut les actions violentes et illégales pour défendre les animaux. Rapidement, ce mouvement s'exporte aux Etats-Unis,où se fonde également en 1992 le Earth Liberation Front (ELF, Front de libération de la Terre).

Les deux combats, pour les droits des animaux d'une part, pour la nature et le climat d'autre part, constituent à ce jour les deux "branches" de l'écoterrorisme. Libérations d'animaux dans des laboratoires, poses de bombes, envoi de lettres piégées... Aux États-Unis, selon un rapport de la Sécurité intérieure de 2013, "239 incendies et attaques à la bombe ont été commis par des extrémistes des droits environnementaux ou des animaux entre 1995 et 2010. 54,8% de ces actes ont été commis au nom des droits de la nature et 45,2% au nom des droits des animaux." "Ils ont fait des dégâts importants, des sabotages majeurs, parfois avec morts d'hommes", raconte Eric Denécé. Les organisations identifiées comme écoterroristes sont d'ailleurs sur la liste noire des deux pays. Le FBI et Scotland Yard ont d'ailleurs monté des cellules de travail spécifiques sur le sujet, le rapport de la Sécurité intérieure américaine concluant que "les extrémistes des droits environnementaux et des animaux sont une menace à la sécurité publique américaine".

"En aucun cas", des actions en France ne relèvent de l'écoterrorisme

En France, malgré des tentatives d'implantation au milieu des années 2000, le mouvement n'a pas pris. "En aucun cas", il y a eu de l'écoterrorisme en France, assure Eric Denécé, auteur en 2016 de Écoterrorisme ! Altermondialisme, écologie, animalisme : de la contestation à la violence. D'ailleurs, le Code pénal ne définit pas l'écoterrorisme en particulier mais le terrorisme de manière générale, comme des infractions "en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur".

Pour autant, "la question se pose, car il y a une frustration chez les militants, qui entraîne un phénomène de radicalisation", selon le chercheur. Mais il ne faut pas tout confondre, défend-il, en replaçant les actions des radicaux écologistes sur un continuum allant de la désobéissance civile à l'action violente."On détruit des propriétés privées, on s'attaque à des biens", liste Eric Denécé, citant par exemple les sabotages d'antennes 5G, les faucheurs d'OGM ou encore le cas de l'usine Techniplast, à Limonest, dans le Rhône, usine fabriquant des cages pour animaux, qui avait été incendiée en avril 2007. On peut y ajouter l'incendie qui avait touché le laboratoire Charles River, toujours dans le Rhône, lui aussi incendié.

Dans les deux cas, des signes de l'ALF avaient été retrouvés sur place et la section antiterroriste du parquet de Paris avait été saisie à l'époque. Mais jamais une de ces actions n'a fait de victimes, et aucune n'est considérée comme écoterroriste. "En France, pour le moment, les actions perpétrées par ces groupes radicaux n’ont pas atteint la fréquence et le degré de gravité de ce que l’on peut observer aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. On ne peut pas parler de ce point de vue d’écoterrorisme", abonde Eddy Fougier dans la revue Sécurité et stratégie

Les autorités entendent "continuer à être vigilantes"

L'écoterrorisme n'est donc pas une réalité sociale en France. Les autorités restent cependant vigilantes à ce phénomène, inquiètes de la radicalisation des actions écologistes. Sur franceinfo, Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, indique que le terme est "utilisé" dans les services de renseignement et qu'il y a "quelques dizaines d’individus qui sont suivis au titre de la radicalisation violente, y compris dans des mouvements qui défendent des causes qu’ils disent écologistes". Pour autant, le parquet national antiterroriste confirme "n'avoir aucune procédure en cours" concernant l'écoterrorisme.

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