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Témoignages "Je vis dans le noir", "je ne dors plus"... Face à la canicule, la galère des habitants des "bouilloires thermiques"

De nombreux logements ne sont pas adaptés aux fortes chaleurs, au point de devenir invivables. Leurs habitants nous racontent comment ils tentent de gagner un peu de fraîcheur.
Article rédigé par Gabrielle Trottmann
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
À l’été 2022, 59 % des personnes interrogées ont déclaré avoir souffert des fortes chaleurs chez eux, d’après le baromètre du Médiateur national de l’énergie. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

Julien passe le moins de temps possible chez lui, surtout en plein été. Locataire d'un studio parisien sous les toits, il estime qu'il fait toujours plus chaud "à l'intérieur que dehors." L'année dernière, en pleine canicule, il a même mesuré un record de 38 degrés dans son appartement. La nuit, il ouvre la fenêtre et allume son ventilateur, mais "il fait toujours trop chaud" et le bruit de la rue "l'empêche de dormir". Son logement est classé E (la dernière catégorie avant de basculer dans les passoires thermiques) et son diagnostic de performance énergétique recommande à son propriétaire de réaliser des travaux d'isolation depuis plusieurs années. Ce qui n'est pas au programme.

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Heureusement, cet ingénieur qui travaille dans l'informatique est "bien entouré" et il "a les moyens" de s'échapper. À partir du mois de juin, il "boit des verres ou regarde des films au cinéma" et "évite de rentrer avant 21 ou 22 heures". Il se fait aussi héberger "jusqu'à trois ou quatre nuits par semaine" chez des amis ou ses parents, qui habitent aussi en région parisienne et "qui sont contents de le voir". Alors que les températures ont dépassé les 40 degrés, dimanche 20 août, dans plusieurs points du sud du pays, franceinfo donne la parole à ceux dont le logement n'offre aucun répit face aux chaleurs extrêmes.

Les urbains précaires "particulièrement touchés"

Car Julien est loin d'être seul dans son cas. À l'été 2022, 59% des personnes interrogées ont déclaré avoir souffert de la chaleur chez eux, d'après le baromètre du médiateur national de l'énergie (document PDF). Et le phénomène risque de s'aggraver. D'ici à 2050, la fréquence des canicules va doubler en France, selon les prévisions du Giec. Un habitant sur sept vit dans un territoire qui sera exposé lors des trois prochaines décennies à plus de 20 journées considérées comme "anormalement chaudes" par été, selon l'Insee. "Les personnes précaires qui vivent en ville semblent être particulièrement touchées", commente Manuel Domergue, directeur des études à la fondation Abbé Pierre, à l'origine d'une étude sur la précarité énergétique d'été dans les logements, qualifiés de "bouilloires thermiques."

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Gaëtan en fait partie. Cet intermittent du spectacle habite dans un studio au dernier niveau d'un immeuble de quatre étages, dans le quartier du Panier, à Marseille, classé F – une authentique passoire énergétique. L'été dernier, il s'était résolu à dormir sur son canapé, tant la température était invivable dans sa mezzanine. Il arrive à trouver le sommeil, "péniblement", quand "son ventilateur est collé à moins de trente centimètres de son visage". Tout comme Julien, il évite de rester chez lui et il ne s'attend pas à ce que son propriétaire réalise des travaux : pour le moment, sa priorité est d'éradiquer des punaises de lit. Déménager ? "Avec son salaire", il a peur de ne pas trouver mieux. Tous ses amis sont d'ailleurs "plus ou moins dans la même situation", lâche-t-il d'un air résigné.

Dans les grandes villes, les inégalités sociales aggravent la situation. Une enquête de Mediapart montre que dans les métropoles de Marseille, de Lille et de Paris, plus les revenus sont élevés, mieux on est protégé des canicules : les quartiers riches présentent en effet davantage d'espaces verts, qui font baisser la température.

Rideaux isolants, réveils matinaux et promenades nocturnes

Dans les "bouilloires thermiques", chacun a ses astuces pour gagner quelques degrés. À Saint-Etienne (Loire), Walter se lève à cinq heures du matin, soit une heure plus tôt que d'habitude. Il a aussi collé des plaques d'isolant thermique sur ses fenêtres, ce qui lui permet de gagner quelques degrés.

À Paris, Anh est adepte des promenades nocturnes, quand elle n'arrive pas à trouver le sommeil. Le jour, elle "vit nue, les volets fermés", boit beaucoup d'eau et prend "des bains glacés". Un geste qui la soulage, mais qui n'est pas recommandé, car au contact de l'eau froide, le corps lutte contre cette sensation en… produisant de la chaleur.

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Toujours dans la capitale, Bertille n'a ni stores, ni volets. En attendant de faire valider des travaux par le syndic de sa copropriété, elle a collé des couvertures de survie sur ses fenêtres. Cela lui permet "de gagner quelques degrés." Mais ces protections de fortune "s'envolent" et "il faut les enlever à chaque fois qu'[elle] veut de la lumière..." Dans sa maison située dans un village du Loir-et-Cher, Béatrix a installé des rideaux partout, qu'elle asperge d'eau quand il fait trop chaud. "Ça va mieux que l'année dernière, le thermomètre ne dépasse plus 25 degrés", se réjouit-elle. Une température qui nécessite déjà une vigilance accrue pour les personnes sensibles (âgées ou présentant des troubles cardiaques, par exemple).

En dernier recours, certains s'équipent de climatiseurs. Mais ces équipements rejettent de l'air chaud et des fluides frigorigènes à effet de serre. Et leur coût (environ 700 euros pour l'installation d'un appareil fixe d'entrée de gamme) est dissuasif : 37% des catégories supérieures en possèdent un, soit deux fois plus que les ménages sans emploi ou inactifs, selon une étude de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.

Pour les propriétaires, la galère des travaux

Philippe a néanmoins investi pour mieux supporter la chaleur dans son appartement en banlieue de Lyon, où il fait souvent "entre 28 et 30 degrés, jour et nuit". Sauf que, comme l'équipement consomme beaucoup d'énergie, il ne s'en sert quasiment jamais. À la place, il "vit dans le noir, les volets fermés toute la journée". Il prend beaucoup de douches et mange des pommes, les fruits et les légumes crus étant recommandés pour éviter de se déshydrater.

Lorsqu'il est question de réaliser des travaux, même les propriétaires les plus volontaires peuvent se retrouver en difficulté. Alexia fait partie des habitants les plus exposés de son immeuble haussmannien, très bétonné, situé dans le 18e arrondissement de Paris : elle habite au cinquième étage (sur six), et son appartement est orienté plein sud. Elle souhaite isoler le bâtiment, mais la décision doit être validée par sa copropriété. Et tous ses voisins ne voient pas la même urgence à agir. Alors, cet été encore, elle redoute les insomnies qui la "rendent dingue."

Dans le Val-de-Marne, Gérard désire poser un enduit isolant sur les murs de sa maison. Mais comme il habite à plusieurs centaines de mètres d'un pont classé parmi les monuments historiques, il doit faire valider les travaux par l'architecte du Bâtiment de France, garant de la préservation du patrimoine. Or, ce dernier a constaté que ses volets n'étaient pas aux normes. Résultat : il doit les changer avant de procéder à l'isolation, ce qui lui "fait perdre du temps". Les travaux ne seront pas terminés cet été.

Installer des volets, végétaliser les villes et rénover les logements

Pour la Fondation Abbé Pierre, il y a urgence à agir pour améliorer le sort des habitants des "bouilloires thermiques". L'association plaide en faveur d'un "plan national" pour équiper tous les logements de volets, avec une prise en charge des frais pour les ménages les plus modestes. Elle demande aussi que les bailleurs sociaux installent des stores et sécurisent l'ouverture des fenêtres de leur parc immobilier, et de simplifier les règles dans les zones soumises à l'appréciation des Bâtiments de France.

L'association souhaite encore végétaliser les villes et repeindre les toits en blanc pour gagner de la fraîcheur. Enfin, tous ces dispositifs ne doivent pas faire oublier une réponse à plus long terme : "la rénovation énergétique globale des cinq millions de passoires thermiques en priorité", mais aussi, "sans doute, à terme, de tous les logements." 

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Le chantier est énorme. À Paris, par exemple, 90% de la population est exposée à un îlot de chaleur urbain à forte intensité, avec trois à six degrés de différences avec le reste de la ville, car il y a peu d'espaces verts. Ce qui a des conséquences sur la santé de ses habitants : il s'agit aussi de la capitale européenne au risque de surmortalité le plus élevé en cas de canicule.

Avec le retour de la vague de chaleur, Julien cherche à déménager de son appartement sous les toits. Mais, même avec un budget de 1 000 euros par mois, les appartements qu'il visite "ne sont pas dans un bon état". Il sait qu'il "finira par trouver", mais il s'inquiète déjà pour la ou le futur locataire de son logement actuel. "J'espère que jamais personne ne récupérera cet appartement…"


Les épisodes de fortes chaleurs peuvent être dangereux pour la santé, en particulier pour les personnes âgées, handicapées ou isolées, qui sont plus vulnérables. Afin de limiter les risques, pensez à boire de l'eau régulièrement, à éviter les sorties et les efforts physiques aux heures les plus chaudes de la journée, ainsi qu'à fermer les volets et les rideaux des fenêtres exposées au soleil. Si des symptômes inhabituels surviennent (crampes, fatigue soudaine, nausées, vomissements, maux de tête…), n'hésitez pas à contacter le 15. Pensez enfin à prendre des nouvelles de vos proches les plus fragiles durant ces fortes chaleurs.

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