Twitter : trois questions après qu'Elon Musk a renoncé au rachat du réseau social
Le milliardaire estime que Twitter ne lui a pas fourni toutes les informations nécessaires pour évaluer la part de robots parmi les utilisateurs du réseau social. Mais la plateforme veut le forcer à conclure le rachat contre son gré devant la justice.
Un énième rebondissement pour une saga qui n'en manquait pas. Le multimilliardaire Elon Musk a annoncé vendredi 8 juillet qu'il voulait se retirer de l'accord d'achat qu'il avait signé pour acquérir Twitter. Mais les dirigeants du réseau social ne l'entendent pas de cette oreille : ils ont immédiatement annoncé une action en justice contre le patron de Tesla.
Pourquoi est-il revenu sur sa décision ? En a-t-il le droit ? Quelles peuvent être les suites juridiques ? Franceinfo revient en trois questions sur la volte-face du milliardaire.
1Pourquoi Elon Musk abandonne-t-il le rachat de Twitter ?
Elon Musk affirme que le réseau social souffrait d'un problème de "bots" (robots). Selon lui, le nombre d'utilisateurs qui sont en réalité des machines serait bien plus élevé que le maximum de 5% revendiqué par le réseau social. Il affirme, sans présenter aucune preuve, que la part des bots dans le total des utilisateurs pourrait dépasser les 20%*, ce qui d'après lui remet en cause la valeur et les perspectives économiques de l'entreprise. Mi-mai, il avait déjà suspendu les négociations avec Twitter une première fois pour ce motif.
L'homme d'affaires sud-africain, connu pour ses déclarations et son tempérament changeants, avait pourtant assuré à plusieurs reprises que l'un des objectifs du rachat était justement de résoudre les problèmes de bots.
If our twitter bid succeeds, we will defeat the spam bots or die trying!
— Elon Musk (@elonmusk) April 21, 2022
Ces dernières semaines, le milliardaire a donc réclamé de plus en plus d'informations à Twitter, officiellement pour étayer ses affirmations. Il a même reçu l'accès à la "lance à incendie", le flux de tous les tweets postés en continu sur la plateforme, explique le New York Times*. Or, cela ne suffit pas forcément pour déterminer la part des bots : Twitter affirme que ses estimations reposent aussi sur des données privées comme les adresses IP ou les numéros de téléphone des utilisateurs, selon AP*. Mais d'après les avocats d'Elon Musk, Twitter a refusé de fournir toutes les données réclamées pour "conduire sa propre analyse" sur le nombre de bots.
D'autres mettent plutôt ce revirement sur le compte de "remords" du côté d'Elon Musk, comme l'analyste Angelo Zino de CFRA Research, cité par l'AFP. Selon lui, le prix que le milliardaire était censé payer serait devenu "risible". Le contrat signé par Elon Musk en avril prévoyait un prix de rachat au prix de 54,20 dollars par action, or le prix du titre a chuté de 20% depuis avril. Il oscillait entre 37 et 40 dollars du 7 juin au 7 juillet. L'homme d'affaires se retrouverait donc à payer un prix bien plus élevé qu'aujourd'hui.
Il devait également obtenir une partie des financements grâce à des prêts bancaires adossés à ses actions Tesla. Mais leur valeur a fortement chuté ces dernières semaines, ce qui a réduit la fortune du milliardaire et sa capacité à lever des fonds.
2Elon Musk a-t-il le droit d'annuler le rachat ?
Il ne suffit pas qu'Elon Musk décide de se retirer pour que le rachat soit pour autant annulé. "Il a signé un accord qu'il est légalement obligé de respecter", a tweeté* Ann Lipton, professeure de droit à l'université de Tulane.
Le contrat comporte des clauses pour permettre aux deux parties de se retirer, mais elles sont contraignantes. Elon Musk peut par exemple se retirer si Twitter a menti dans sa description de son modèle commercial, mais seulement si ce mensonge cache une situation économique bien moins reluisante que ce qui a été présenté (on parle d'"incidence défavorable importante"). Or, si l'équipe du milliardaire est incapable de prouver ses allégations à propos du nombre de bots, elle ne pourra pas démontrer d'"incidence défavorable importante", comme l'explique Bloomberg*.
Autre cas de figure : si Twitter rompt une des promesses que les deux parties se sont faites pour mener la suite du rachat, Elon Musk peut se retirer même sans effet négatif important. Parmi les promesses présentes dans le contrat, le réseau social avait accepté de "fournir rapidement à [Elon Musk] toutes les informations concernant les affaires, propriétés et personnel de [Twitter] qui peuvent être raisonnablement réclamées". C'est pourquoi les avocats du milliardaire assurent notamment, dans une lettre au gendarme boursier américain*, que Twitter n'a pas respecté cet engagement, ce qui constitue d'après eux une "violation claire et substantielle" qui permet à Elon Musk de "mettre fin à l'accord".
3Quelles sont les suites possibles ?
Ce sera à la justice de déterminer si les motifs invoqués par Elon Musk sont valides. Les dirigeants de Twitter ont déjà entrepris une action en justice contre le milliardaire, dans l'Etat américain du Delaware.
Dans sa plainte*, déposée devant un tribunal du Delaware mardi 12 juillet, Twitter accuse le milliardaire de "refuser d'honorer ses obligations (...) car l'accord qu'il a signé ne sert plus ses intérêts personnels". Il affirme que "les demandes d'informations de plus en plus étranges" d'Elon Musk sur la part des bots "ne reflétaient pas un examen sincère des processus de Twitter", mais un moyen de forcer la plateforme à rompre sa promesse d'information afin de mettre fin au rachat devant les tribunaux.
Twitter aurait pu poursuivre Elon Musk pour "dommages", mais le réseau social n'aurait obtenu qu'un milliard de dollars d'indemnités au maximum, d'après le texte de l'accord de rachat*. C'est pourquoi les dirigeants de Twitter ont préféré forcer Elon Musk à conclure le rachat devant la justice. Le réseau social dit vouloir "obliger [Elon] Musk à remplir ses obligations légales, et imposer la réalisation de la fusion". L'accord de rachat que les deux parties avaient signé contient en effet une "clause de performance spécifique" qui permet au réseau social de forcer Elon Musk à poursuivre la procédure, même contre son gré, tant que les banques qui doivent lui prêter des fonds peuvent le faire, précise Bloomberg*.
Un rachat forcé pourrait toutefois ne satisfaire personne. "Twitter est en moins bon état que quand tout a commencé, explique l'analyste Carolina Milanesi à l'AFP. Mais le pire serait que Twitter force l'acquisition à avoir lieu."
"Ils se retrouveraient avec un propriétaire qui ne veut pas de l'entreprise, et plein de ressentiment."
Carolina Milanesi, analyste pour Creative Strategiesà l'AFP
C'est pourquoi d'autres analystes pensent que les deux parties pourraient s'accorder sur un prix de vente inférieur. "Soit le prix de vente diminue de 15 à 20% pour ramener Elon Musk dans les négociations, soit il va continuer à utiliser l'argument des bots", assure l'analyste Angelo Zino à NPR*.
* Tous les liens suivis d'un astérisque mènent vers des liens en anglais.
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