: Témoignages "Chaque jour, il prenait une décision qui m'atterrait" : excédés par Elon Musk, ils ont tourné le dos à Twitter
Licenciement de près de la moitié des salariés, rétablissement du compte Twitter de Donald Trump et de figures sulfureuses de l'extrême droite américaine, suspension de journalistes... Depuis qu'il a pris la tête de Twitter en échange de 44 milliards de dollars (44 milliards d'euros), Elon Musk a pris une série de décisions qui ont provoqué de vives controverses. Excédés par la direction prise par le réseau social sous la houlette de celui qui a longtemps été l'homme le plus riche du monde, certains utilisateurs ont décidé de dire adieu à la plateforme ou en tout cas d'en limiter leur utilisation. Plusieurs personnalités ont choisi de basculer sur l'alternative libre Mastodon, tandis que d'autres ont purement et simplement rayé le réseau au logo d'oiseau bleu de leur vie numérique. Franceinfo leur donne la parole.
Cécile Duflot, ancienne ministre : "Sur Mastodon, je retrouve l'ambiance du Twitter des premières années"
Ancienne ministre du Logement sous François Hollande, l'écologiste Cécile Duflot dirige désormais l'ONG Oxfam France. Celle qui faisait partie des premiers responsables politiques français à s'inscrire sur Twitter redirige dorénavant dans sa biographie ses près de 420 000 abonnés vers son compte Mastodon.
"Je me suis inscrite sur Twitter en novembre 2008, c'est-à-dire très tôt. Je garde le souvenir d'une époque où ce réseau était plein d'esprit et de second degré, et où ma curiosité était sans cesse attisée. Malheureusement, cela a changé au fil du temps, notamment en raison de l'absence de modération, qui a laissé prospérer les trolls. J'ai pu en faire l'expérience : en tant que personnalité publique, j'ai essuyé des insultes devenues de plus en plus virulentes et stupides. Forcément, cela a fait diminuer les interactions que j'avais sur ce réseau.
Ma décision a donc mûri petit à petit. Le ton employé par Elon Musk depuis son arrivée à la tête de l'entreprise, et surtout la façon dont il a, tout juste installé, licencié près de la moitié des salariés ont achevé de me convaincre.
"La séquence qui s'est déroulée sous nos yeux est intéressante : est-ce qu'un outil comme Twitter ne devrait pas être géré par une organisation, plutôt que par un milliardaire qui puisse dépenser 44 milliards – il faut bien se rendre compte de la somme – pour en faire ce qu'il veut ?"
Cécile Duflotà franceinfo
Je n'ai pas quitté Twitter, car beaucoup de personnes que j'apprécie y sont encore et qu'il est important que j'y relaie l'action d'Oxfam, mais j'ai grandement réduit mon utilisation, qui est devenue presque exclusivement professionnelle. J'avais déjà enlevé les notifications sur mon téléphone, cette fois, j'ai même supprimé l'application !
Je me suis inscrite sur Mastodon début novembre. Après des débuts un peu compliqués, j'y ai trouvé des comptes très intéressants à suivre. J'y ai une ligne éditoriale beaucoup plus libre, et j'y retrouve un espace qui me rappelle pourquoi tant de gens ont pris goût à Twitter à la fin des années 2000. Mastodon permet également de se protéger plus facilement d'instances [des communautés] où se regrouperaient des utilisateurs haineux."
Benoît Reinier, youtubeur : "Arrêter Twitter m'a fait gagner dix ans d'espérance de vie !"
Benoît "ExServ" Reinier est vidéaste spécialisé dans le jeu vidéo qui compte plus de 161 000 abonnés sur YouTube. Inscrit sur Twitter depuis mai 2011, il a arrêté d'utiliser la plateforme le 20 décembre dernier. Son profil, toujours actif, renvoie désormais vers ses autres activités en ligne.
"Cela faisait longtemps que je me disais qu'en plus d'être chronophage, Twitter était devenu une plateforme assez nocive. De manière générale, dès qu'on y prend position sur un sujet, on reçoit des insultes, et on doit 'muter' [masquer] des messages à tour de bras. Je continuais toutefois d'y être présent, car Twitter reste un des meilleurs endroits pour s'informer sur le secteur du jeu vidéo.
"Depuis l'officialisation de son rachat de Twitter, j'observais Elon Musk prendre chaque jour ou presque une décision qui m'atterrait."
Benoît "ExServ" Reiner, youtubeurà franceinfo
Un matin, au réveil, je l'ai vu discuter avec Kim Dotcom, le fondateur de Megaupload. Celui-ci commençait à partir dans des délires complotistes évoquant le 'deep state' [une expression censée dénoncer les organes d'influence], et Musk lui répondait qu'il avait un point de vue intéressant. Je me suis dit : 'C'est bon, j'en ai marre, je me barre.'
J'ai désinstallé l'application, et j'ai souscrit à un abonnement à un agrégateur de flux RSS, qui me permet de recevoir les dernières infos d'une liste de sites qui m'intéressent. Je sais qu'en faisant ça je tire un trait sur près de 40 000 followers, et que cette décision est assez égoïste, mais je l'assume pleinement. Les gens que mon travail intéresse savent qu'ils peuvent me suivre sur ma chaîne YouTube, ou via les podcasts que je coanime.
Depuis, j'ai l'impression d'avoir regagné dix ans d'espérance de vie ! Ça a été un moyen de me libérer du temps pour faire du vrai travail, et pas à en perdre à 'doomscroller' [faire défiler une liste de messages déprimants]."
Wolfgang Cramer, écologue : "Je me suis dit que rester, c'était cautionner"
De nationalité allemande, Wolfgang Cramer est directeur de recherche à l'Institut méditerranéen de biodiversité et d'écologie marine et continentale, à Aix-en-Provence, et co-auteur du deuxième volet du dernier rapport du Giec. Il a complètement supprimé son compte Twitter, où il était suivi par près de 7 000 abonnés.
"Avant même l'arrivée d'Elon Musk, j'avais des doutes sur le fonctionnement intrinsèque de Twitter, puisqu'il repose entièrement sur la publicité. Le fait qu'un algorithme puisse filtrer, trier, donner plus de valeurs à certains messages par rapport à d'autres pour afficher de la publicité ciblée m'était désagréable. Mais je l'acceptais, car j'avais quand même le sentiment d'avoir, avec d'autres, réussi à construire des communautés qui portaient des messages avec une certaine efficacité.
Quand Elon Musk est arrivé, je n'ai pas été scandalisé. En fait, je trouvais même certaines réactions assez hystériques : je ne connaissais pas particulièrement les précédents propriétaires, et je me disais qu'il ne fallait pas que je fonde mon utilisation d'un service sur la personnalité de son patron. Mais mon opinion a vite changé.
"Très vite, je me suis rendu compte que son but n'était pas seulement de rendre son investissement rentable, mais de favoriser des positions que je qualifierais de proches de l'extrême droite américaine."
Wolfgang Cramer, écologueà franceinfo
On a pu le voir notamment lorsqu'il a choisi de rétablir des comptes suspendus à cause de publications haineuses, parmi lesquels Donald Trump. A ce moment-là, je me suis dit que rester, c'était cautionner l'idée que Twitter restait un support sérieux, et pas un lieu qui laisserait des positions racistes prospérer. J'ai donc supprimé mon compte.
Comme d'autres, j'ai commencé à utiliser Mastodon. Ce n'est pas encore très grand, certaines fonctionnalités sont présentes et d'autres pas, l'interface est un peu différente, mais ça fonctionne ! Surtout, l'algorithme de mise en avant de certains messages dont je déplorais l'existence sur Twitter n'est plus là. Je crois qu'on a en ce moment une opportunité unique pour développer un réseau véritablement décentralisé, libre, antiraciste et modéré par ceux qui l'animent. Même si Elon Musk revendait Twitter, je ne reviendrais pas en arrière."
Claire Mathieu, mathématicienne : "Je n'ai pas envie de travailler bénévolement pour Elon Musk"
Claire Mathieu est directrice de recherche en informatique au CNRS au sein de l'Institut de recherche en informatique fondamentale. Cette mathématicienne est aussi spécialiste des algorithmes. Suivie par plus de 2 000 personnes sur Twitter, elle a commencé à être active sur le réseau Mastodon au début du mois de novembre.
"Je me suis inscrite sur Twitter en avril 2015, mais je n'ai commencé à y être active qu'à la période 2017-2018. A l'époque, j'étais chargée de mission à temps partiel au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, où je participais à l'élaboration des algorithmes derrière Parcoursup. Le sujet était très débattu à l'époque, et j'avais à cœur de corriger les fausses affirmations techniques que je voyais circuler. J'ai été séduite par la possibilité d'échanger avec des inconnus, tant que ceux-ci faisaient preuve de bonne volonté.
Au fil des années, je me suis servie de la plateforme pour repérer des experts dans des domaines qui m'intéressent : les algorithmes, bien sûr, mais aussi l'enseignement supérieur et la recherche, la pandémie et le réchauffement climatique. Mois après mois, à force de suivis mutuels, j'ai ainsi intégré un petit cercle social.
"Lorsque Elon Musk a pris la tête de l'entreprise, j'ai été indignée par ses décisions erratiques et impulsives, comme lorsqu'il a suspendu les comptes de journalistes critiques envers lui."
Claire Mathieu, mathématicienneà franceinfo
J'avais déjà envisagé de m'éloigner de Twitter, mais la goutte d'eau a été la nouvelle politique de certification, qui permet de payer 8 dollars par mois pour obtenir la fameuse pastille bleue, qui permettait auparavant d'identifier les personnes publiques. J'ai fait une réaction de rejet face à cette décision : je refusais qu'on me mette sous le nez en priorité les messages de personnes dont le seul mérite aura été de payer.
J'ai donc décidé de retrouver des amis qui avaient rejoint Mastodon, où je suis en mode 'observation'. Je n'ai pas fermé mon compte Twitter, mais j'essaie autant que possible de me limiter à relayer ce qui m'intéresse, et à ne plus y produire de contenu moi-même. Car à chaque fois qu'on écrit un tweet, on travaille en quelque sorte au développement de Twitter, et donc pour Elon Musk. Et je n'ai pas envie de travailler bénévolement pour lui."
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