Société "crispée" et "en colère" : doit-on s'inquiéter de la note des préfets ?
"Le Figaro" a publié des extraits d'une synthèse confidentielle issue des observations des préfets, et jugée explosive. A raison ?
"Les préfets sonnent l'alarme". Le titre qui barre la une du Figaro, jeudi 14 novembre, se veut particulièrement inquiétant pour l'exécutif. C'est que le quotidien publie une exclusivité de poids : des extraits de la synthèse confidentielle sur le climat économique et social de la France, rédigée à partir des observations effectuées sur le terrain par les préfets des 101 départements français.
Le diagnostic des représentants de l'Etat sur le territoire a de quoi faire froid dans le dos : société "en proie à la crispation, à l'exaspération et à la colère", "sentiment d'accablement" lié aux annonces successives de plans sociaux... "La situation sociale laisse peu de place à l'optimisme", indique le document.
D'où vient cette note confidentielle ? Le gouvernement doit-il vraiment s'en inquiéter ? Francetv info récapitule.
Un outil de travail courant
Le Figaro indique que cette "synthèse des préfets", confidentielle, est produite par le secrétariat général du ministère de l'Intérieur à partir des remarques rédigées par les représentants de l'Etat dans les départements. Elle est adressée tous les mois au ministre de l'Intérieur, au Premier ministre, au président de la République, ainsi qu'à tous les préfets. Afin, indique le quotidien, de les informer "sur l'état du 'pays réel'".
Contacté par francetv info, un ancien préfet explique le fonctionnement de l'exercice : "Tous les mois, nous devions rédiger une note assez brève, divisée en deux parties." "D'un côté, il y avait un thème identifié par le ministère, par exemple l'emploi ou la santé, et de l'autre une rubrique libre, dans laquelle nous devions faire remonter les sujets d'actualité dans notre département." Le tout, remarque-t-il, en restant "très factuel".
Ce type de note existait avant l'arrivée aux affaires de François Hollande. Le Figaro explique ainsi que lorsqu'il était place Beauvau, Nicolas Sarkozy recevait directement les observations des préfets, sans le filtre de son cabinet.
Une synthèse pas beaucoup plus alarmiste que la précédente
Cité par Le Figaro, un ancien préfet juge que "quand les mots employés sortent du registre purement administratif, c'est que la situation doit être grave". Ce qui est le cas dans la dernière note. Le langage policé de la synthèse est émaillé de termes forts : "exaspération" au sujet de l'affaire Leonarda, "climat douloureux" créé par la répétition des plans sociaux, "rejet unanime" de l'écotaxe en Bretagne… Autant de mots qui, dans un document administratif, sonnent fort.
L'ancien préfet contacté par francetv info n'est, pour sa part, pas particulièrement surpris par le champ lexical utilisé. "Ce qu'on demande au préfet, c'est de sortir du technocratique. Il faut faire remonter à Paris ce que l'on ressent, ce que l'on perçoit, sans faire de langue de bois", développe l'ancien représentant de l'Etat. Selon lui, les documents rédigés lors d'autres crises majeures, comme celle des banlieues en 2005 ou celle de la grippe A en 2010 "devaient aussi comporter des termes lourds de sens". Et d'ajouter, fataliste : "La vie d'un préfet est faite de gestion de crises, on ne rédige jamais une synthèse pour dire que tout va bien."
Une analyse partagée par Pierre-Henry Brandet, porte-parole du ministère de l'Intérieur, contacté par francetv info. "Il ne faut pas instrumentaliser le niveau de langage utilisé dans cette synthèse. Ce n'est pas une exception ! Faire remonter une perception du terrain de manière très franche, c'est précisément ce que l'on demande aux préfets", détaille le porte-parole.
La note citée par Le Figaro, qui date du 25 octobre, n'est en tout cas pas tellement plus alarmiste que la précédente, qui avait également fuité dans la presse au début du mois. Celle de septembre, publiée en partie par Le Nouvel Observateur, évoquait ainsi une "radicalisation des propos (des) administrés qui fustigent 'un matraquage fiscal'", et un "sentiment d'abandon" par l'Etat de la part des citoyens. Des termes, là encore, loin d'être policés.
Une portée à relativiser
L'importance de cette synthèse n'est pas à minimiser, car elle intervient dans un contexte plus que délicat pour le gouvernement. Peut-être influencés par les déclarations répétées de l'exécutif au sujet du "ras-le-bol fiscal", 81% des Français jugent aujourd'hui que le système des impôts est "injuste", selon le baromètre YouGov-Le HuffPost- i-Télé de novembre.
Le tout sur fond d'impopularité record de l'exécutif : le même sondage indique que l'action de François Hollande n'est plus approuvée que par 15% des Français. Pire encore pour le gouvernement, 72% des interrogés jugent que les mécontentements sociaux vont déboucher sur un mouvement de grande ampleur, selon un sondage Tilder-LCI-OpinionWay (PDF) publié le 7 novembre.
Mais l'ancien préfet contacté par francetv info ne se fait pas d'illusion sur la portée de ce document. "Le gouvernement n'attend pas les synthèses pour savoir ce qu'il se passe sur le terrain", relève-t-il, ajoutant que ces notes "ne sont qu'un outil parmi d'autres pour informer l'exécutif". Le mot d'ordre n'est pas différent place Beauvau. "Il faut donner à cette synthèse l'importance qu'elle a. Pas davantage, et pas moins", déclare Pierre-Henry Brandet, porte-parole du ministère de l'Intérieur.
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