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Grève des éboueurs à Marseille : on vous explique pourquoi les déchets ne sont pas ramassés

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
La grève des éboueurs se poursuit, samedi 29 janvier, à Marseille, au grand dam des habitants. (XAVIER DUVOT / HANS LUCAS / AFP)

Plus de 3 000 tonnes de poubelles s'amoncellent dans les rues de la cité phocéenne alors que les négociations entre la Métropole et les grévistes sont au point mort. 

Une décharge à ciel ouvert en plein Marseille. Depuis le 18 janvier, le conflit des éboueurs s'enlise. A tel point que la mairie a décidé de faire appel à des sociétés privées pour nettoyer les rues dès le mardi 1er février. Une solution temporaire pour ramasser les plus de 3 000 tonnes d'ordures qui se sont amoncelées dans la cité phocéenne. Une décision "exceptionnelle" du maire socialiste Benoît Payan, alors que la gestion de la collecte des déchets est une compétence de la Métropole Aix-Marseille-Provence.

"Nous sommes face à une crise des poubelles depuis quatre mois qui prend des proportions dangereuses : des dizaines de feux de poubelles depuis ce week-end et un mistral à plus de 100 km à l'heure", a justifié l'élu marseillais dans un communiqué lundi soir. "Le maire a décidé de donner un coup de main. C'est toujours ça de pris", a estimé le porte-parole de la Métropole, Yves Moraine, qui a expliqué que "la priorité, c'est de rendre la ville propre aux Marseillais le plus vite possible".

On vous explique les raisons de cette grève, la troisième en quatre mois, qui n'est pas encore terminée.

Un bras de fer qui dure depuis septembre 

C'est la troisième grève des éboueurs en quatre mois. En septembre 2021, les syndicats, CGT, FSU, Unsa, FO et CGC et la Métropole Aix-Marseille-Provence ont commencé à batailler autour de l'application des 35 heures, qui allonge la durée de travail des éboueurs dans le cadre de la loi entrée en vigueur pour l'ensemble de la fonction publique le 1er janvier 2022, et du taux de pénibilité du travail des agents. Ce dernier permet d'obtenir une décote du temps de travail.

Après un premier mouvement de grève, un accord avait été signé, en octobre, entre la Métropole et Force ouvrière fixant le taux de pénibilité du travail des agents à 9,5%. Mais les syndicats CGT et Unsa, sous prétexte qu'ils n'avaient "pas été invités à débattre autour de la table", avaient alors décidé de faire courir leur préavis de grève, avant d'être rejoints par FO. Après plus de 80 jours de conflit et une deuxième grève, un nouvel accord, trouvé mi-décembre, portait la décote du temps de travail à 15%.

Véronique Dolot, la représentante de la CGT lors des négociations, s'était ainsi félicitée de ressortir avec "le meilleur accord de France". D'autant que la grève a aussi permis aux salariés d'obtenir une prime pour l'ensemble des agents rehaussée à 90 euros (et non plus à 80 euros), la monétisation du compte épargne-temps à hauteur de 7 jours et un suivi médical plus poussé.

Mais Force ouvrière refuse finalement de signer le nouvel accord car deux points ne sont pas respectés : l'aménagement du temps de travail de tout le personnel en période de Covid-19 et le versement d'une prime de 100 euros pour ceux qui travaillent les dimanches et jours fériés. Une nouvelle grève, débutée le 18 janvier, paralyse donc à nouveau le ramassage des poubelles dans la ville. 

Les grévistes réquisitionnés par arrêté

Face à l'enlisement des négociations, la préfecture de police des Bouches-du-Rhône décide, le 22 janvier, de réquisitionner pour la troisième fois depuis septembre des agents en grève par arrêté jusqu'au 31 janvier. FO dépose dans la foulée un référé contre l'arrêté "pour atteinte au droit de grève". Le tribunal administratif déboute le syndicat le 25 janvier. Mais dans son ordonnance, il estime que la préfète des Bouches-du-Rhône et la Métropole Aix-Marseille-Provence n'ont pas produit d'"élément de nature à établir les risques (...) en termes de sécurité sanitaire".

Dès le lendemain, un nouveau référé réclamant la réquisition des agents est déposé par la Métropole, qui a également "engagé une action devant le tribunal administratif afin d'obtenir la condamnation du syndicat Force ouvrière pour faire cesser le blocage des garages et des centres de transfert". Samedi 29 janvier, le tribunal administratif de Marseille tranche, ordonnant de "libérer sans délai" ces sites stratégiques, sous peine d'astreinte de 250 euros par jour de retard et par personne bloquant ces sites.

"C'est un non-événement, on juge quelque chose qui n'existe plus", réagit Patrick Rué, le patron de FO à Marseille, estimant que les grévistes, qui sont désormais une quarantaine en moyenne par jour, ne bloquent plus les sites. La Métropole Aix-Marseille-Provence, qui gère la collecte des déchets, juge au contraire que ces blocages subsistent par intermittence. Quoi qu'il en soit, la grève continue, insiste Patrick Rué : "La solution ne se trouve pas devant les tribunaux mais dans le dialogue social."

Des habitants qui brûlent les ordures  

Pendant ce temps, les habitants de la cité phocéenne constatent impuissants l'amoncellement d'ordures sur les trottoirs de la ville. "Hier matin, j'ai ouvert mon magasin, j'avais un rat qui dormait devant, en plein centre-ville. On est dans le tiers-monde", dénonce Célia, une tatoueuse d'une trentaine d'années, auprès de l'AFP. D'autres riverains incitent la Métropole à agir, voire à privatiser le ramassage des poubelles

Mais ce que redoute la Métropole, c'est le risque d'incendie face aux nombreux feux de poubelles déclenchés par des habitants excédés. Depuis le dernier week-end de janvier, "nous avons une petite quinzaine par jour de feux de poubelles", détaille le contre-amiral Augier, commandant du bataillon des marins-pompiers de Marseille. Et le risque, "avec ce fort vent, c'est d'aller vers un drame", augure-t-il, craignant que les flammes gagnent des immeubles adjacents.

Car ces derniers jours le Mistral, avec ses rafales à plus de 120km/h, souffle fort sur la région et les déchets "qui s'envolent, c'est autant de pollution qui s'accumule sur nos plages", regrette Yannick Ohanessian, l'adjoint au maire socialiste chargé de la sécurité et de la prévention. "Si suite à cet épisode de mistral s'ensuit un épisode pluvieux, c'est la catastrophe sanitaire assurée, et donc on doit aller très vite", précise-t-il. En octobre, lors de la première grève, des pluies torrentielles avaient charrié jusqu'à la mer des tonnes de déchets amoncelés dans les rues, provoquant une catastrophe écologique. Plusieurs centaines de bénévoles s'étaient alors mobilisés pour nettoyer les plages.

La mairie forcée d'agir face aux risques

Après plus de dix jours de grève et des ordures dans toute la ville, le maire PS, Benoît Payan, agacé "de voir les Marseillais pris en otage", a tapé du poing sur la table : "Ça suffit. Je souhaite, je veux et j'exige que la ville soit propre", s'est-il exclamé dans le quotidien La Provence. Il accuse la Métropole Aix-Marseille-Provence, qui gère la gestion des ordures depuis vingt-deux ans, de "faire l'autruche".

Tous les éléments étant réunis "pour précipiter [la ville] vers un drame sécuritaire et écologique", selon le maire, l'édile a donc décidé d'agir. Bien que le ramassage des ordures ne lui incombe pas, la municipalité fait appel, depuis le 1er février, à des entreprises privées pour ramasser les détritus qui menacent d'atteindre la mer. Une mesure inédite dans la deuxième ville de France.

Depuis, six camions-bennes ont déjà ramassé cinq tonnes déchets dans les quartiers les plus sinistrés. Devant l'ampleur de la collecte, la municipalité réfléchit à "organiser des collectes citoyennes par les Marseillais eux-mêmes". De son côté, la Métropole a récemment mis en place des caissons temporaires, dans les lieux les plus touchés par les perturbations, en invitant les habitants à y déposer uniquement leurs sacs d'ordures ménagères "tant que dureront ces perturbations". "On peut estimer qu'il nous faudra huit jours pour un retour à la normale", a déclaré mardi sur franceinfo Yves Moraine, porte-parole de la Métropole.

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