L'attribution en cours de la 4ème licence de téléphonie mobile est au centre d'une intense activité de lobbying
Avec un chiffre d'affaires de près de 22 milliards d'euros, le marché français de la téléphonie mobile est sous "haute surveillance". Pas question pour les détenteurs des 3 licences existantes de partager le gâteau.
Et ils peuvent compter sur un allié de poids : Nicolas Sarkozy s"est dit "assez sceptique et réservé sur le choix d'un 4e opérateur.
Ces propos ne sont pas passés inaperçus. D'autant que le chef de l'Etat a précisé sa pensée: "Le prix le plus bas n'est pas forcément le meilleur" ont rapporté plusieurs participants d'un déjeuner avec les députés UMP mardi 15 septembre.
L'effet a été immédiat. Le titre du groupe Iliad, maison mère du fournisseur d'accès internet Free, et candidat potentiel à la quatrième licence, a vu son cours de bourse cédé près de 5% en tout début de séance.
Au même moment, deux des trois opérateurs historiques ont gagné quelques points : + 1,39 % pour France Télécom à 18,61 euros, + 3,05 % pour Vivendi (SFR) à 20,47 euros.
La déclaration de Nicolas Sarkozy est pourtant loin d'être un scoop. Elle tend à confirmer que « l'Elysée n'a jamais été particulièrement favorable à la quatrième licence et a contribué, par ses réticences, à faire traîner en longueur le processus tout au long de ces derniers mois", souligne Benjamin Rousseau, analyste au CM-CIC Securities.
Si ce dernier estime "hautement improbable" que le gouvernement fasse machine arrière - l"appel à candidatures a été lancé le 1er août - le lobbying risque fort de s"intensifier d"ici le 29 octobre midi, date limite de dépôt des dossiers voire jusqu'à la décision finale du gouvernement fixée huit mois plus tard, après avis du régulateur des télécoms l"Arcep.
En attendant le verdict, les opérateurs, qui ne possèdent pas de réseau, achètent des minutes en gros à SFR, Orange et Bouygues Telecom et les revendent sous leur propre marque se partageant chichement 5% du marché, une part que les autorités ont reconnu insuffisante.
Le ticket d"entrée fait grincer des dents
Fixé à 240 millions d'euros après intervention, en juin, de la commission des transferts et des participations, et bien que supérieur aux 206 millions d'euros évoqué par Luc Chatel en février, le prix d"entrée pour le nouvel entrant suscite la colère des trois opérateurs historiques. Et pour cause, eux avaient déboursé 619 millions d'euros chacun en 2001 et 2002.
Mais cette fois, et pour rendre leur prix plus abordable, les fréquences ont été divisées en trois lots.
En clair une sorte de "mini-licence" de cinq mégahertz, soit un tiers du spectre encore disponible, auxquels s"ajoutent cinq mégahertz rétrocédés par les opérateurs existants sur une autre bande de fréquence ; de quoi couvrir le territoire nationale mais limitant le nombre de clients.
Reste que pour les opérateurs déjà installés, le prix de ce lot ne valorise pas le droit de devenir opérateur.
La résistance s"organise
Premier à réagir, France Télécom. Dès la publication au Journal Officiel de l'appel à candidatures, l"opérateur a annoncé qu'il allait "saisir la Commission européenne pour aide d'Etat, c'est-à-dire avantage accordé au quatrième entrant par rapport aux trois autres détenteurs de fréquences mobiles".
Comme son concurrent Orange (France Télécom), Vivendi, maison-mère de SFR qui a mis un peu plus de temps à se manifester, a annoncé début septembre son intention de porter plainte auprès de Bruxelles sur le même fondement, le prix « bradé » de la quatrième licence mobile française.
"La décision est prise et les motifs détaillés sont en train d'être rédigés. Mais il est clair que nous allons porter plainte", a expliqué le président du directoire de Vivendi, Jean-Bernard Lévy lors d"une conférence de presse.
"Nous ne comprenons pas pourquoi ces fréquences sont vendues à un quatrième entrant moins cher que ce que nous les avons achetées il y a plusieurs années ». "C'est une façon de brader le patrimoine national qui est un peu étonnante", a-t-il ajouté, en soulignant qu'il y avait "manifestement une aide" en faveur du quatrième entrant.
Autre argument avancé par Jean-Bernard Lévy, les exemples à l"étranger: "En Espagne, le quatrième opérateur (...) va très, très mal". "Si le quatrième opérateur n'est pas viable, à quoi ça sert de brader les fréquences, pour soi-disant stimuler le marché?", s'est-il interrogé.
Reste Bouygues Telecom. Le groupe étudie l"opportunité d"un recours a indiqué le 28 août son PDG, Martin Bouygues. Nous sommes "en train très sérieusement de regarder ce problème".
Bouygues Telecom "réfléchit à toutes les voies de recours, à la fois sur le prix et sur les conditions d'attribution", a précisé une porte-parole du groupe.
Ira ? Ira pas ?
Unique candidat à un premier appel d'offres avorté en 2007, et grand favori ce coup-ci, Iliad compte toujours présenter seul un dossier de candidature a indiqué début septembre Xavier Niel, président et fondateur de la maison-mère du fournisseur d'accès à internet Free. "C'est ce qu'on a toujours dit: on réfléchit plutôt à un dossier en « standalone » ", a-t-il déclaré en marge de l'université d'été du Medef à Jouy-en-Josas.
Début juillet, l'opérateur mobile sans réseau (MVNO) Virgin Mobile a confirmé de son côté discuter d'un partenariat en vue d'une candidature commune avec le câblo-opérateur Numericable et des groupes étrangers.
Le milliardaire égyptien Naguib Saouiris, président d'Orascom Telecom qui souhaite s'implanter en France, a déclaré par ailleurs cet été qu'il pourrait s'allier à un candidat à la licence.
Enfin, le groupe Bolloré pourrait également entrer dans la partie dans le cadre d'un partenariat. « Il ne serait pas raisonnable de se lancer seul dans l'acquisition de la 4e licence", a déclaré M. Bolloré, lors d'une conférence de presse de présentation des résultats de son groupe au premier semestre. "Si des gens veulent qu'on vienne avec eux, on étudiera la question, mais ce n'est pas le cas pour l'instant", a-t-il ajouté.
Kertel renonce
Seule défection à ce jour, l'opérateur mobile virtuel (MVNO) Kertel, spécialiste des cartes prépayées, qui a indiqué le 10 septembre qu'il ne serait finalement pas candidat. Hébergé par Bouygues Telecom, l"opérateur avait exprimé son intérêt et avait pour cela pris des contacts notamment les équipementiers chinois ZTE et Huawei. Raison de cette volte-face, un nouveau changement d'actionnaire.
Racheté en 2007 à Iliad (maison mère de Free) par Proximania, Kertel est désormais détenu à 95% par le fonds d'investissement britannique Fortelus. Ce changement est lié au remboursement d'un prêt de 20 millions d'euros, contracté en 2008 par Proximania auprès de Fortelus.
Seul hic, le prêt était assorti d'un "pacte commissoire" qui permet au créancier, en cas de défaut de paiement, de récupérer les actifs de l'emprunteur mis en garantie. Les actifs concernés étaient les filiales Insert, L.Com et Kertel. Un expert a été nommé pour déterminer la valeur exacte des actifs et si elle est supérieure à la créance, Fortelus devra rembourser la différence à Proximania.
La France comptait 58,905 millions de clients aux services de téléphonie mobile au 30 juin 2009
Au deuxième trimestre 2009, les trois opérateurs ont recruté 678.600 clients soit une croissance de 1,2 % contre 0,5 % sur la période correspondante de 2008 selon l'Autorité de régulation des télécommunications (l'Acep).
Le nombre de clients utilisant un forfait a continué à progresser fortement : + 8,1 % en rythme annuel, à 40,5 millions, tandis que la baisse du nombre d'utilisateurs de cartes prépayées a ralenti à 0,8% sur un an contre un recul de 2,1% au premier trimestre.
Les opérateurs mobiles virtuels qui utilisent les réseaux des trois principaux opérateurs, comptaient eux 2.998.200 clients fin juin, soit une part de marché de 5,30 % contre 4,67 % un an plus tôt.
100.000 français en "zones blanches"
En métropole, 97,8% de la population est couverte par les trois opérateurs Orange, SFR et Bouygues Telecom.
Les zones couvertes par aucun opérateur, appelées "zones blanches", sont évaluées à 0,18 % de la population, soit environ 100.000 personnes et 477 communes.
Principalement situées dans les régions montagneuses, les "zones blanches" concernent les Alpes (Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, Savoie, Isère et Drôme), les Pyrénées (Ariège, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Atlantiques et Pyrénées-Orientales), le Massif Central (notamment la Lozère) et la Corse. Ces 13 départements, dont plus de 5% de leur surface est non couverte, concentrent la moitié des "zones blanches".
A côté de ces zones privées de couverture, coexistent des zones dites "grises", où les trois opérateurs ne sont pas conjointement présents et qui concernent 2% de la population.
Pour compléter le réseau, les opérateurs ont pris quelques engagements vis-à-vis de l'Arcep.
Orange, qui a la couverture la plus étendue a indiqué prévoir de couvrir environ 170 "zones grises". SFR, qui ne couvre pas 1,13% de la population, a donné un montant prévisionnel d'investissements globaux de 150 millions d'euros en 2009. Bouygues Telecom (1,15% de la population non couverte) indique ne pas avoir de programme spécifique concernant les "zones grises" et ne prévoir de déploiement 2G (téléphonie et SMS uniquement) que dans le cadre de l'achèvement des programmes en cours.
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