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Guadeloupe : "Ce ne serait pas choquant qu'il y ait une spécificité ultramarine" aux mesures sanitaires, aux yeux d'Yves Jégo

L'ancien secrétaire d'État chargé de l'Outre-Mer reproche aux gouvernants "une lecture trop métropolitaine" de la situation en Guadeloupe.

Article rédigé par franceinfo
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Publié Mis à jour
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L'ancien secrétaire d'État chargé de l'Outre-Mer, Yves Jégo, le 12 novembre 2021. (VINCENT ISORE / MAXPPP)

"Ce ne serait pas choquant qu'il y ait une spécificité ultramarine" aux mesures sanitaires, a déclaré mardi 23 novembre sur franceinfo Yves Jégo, en 2008-2009, au moment d'une précédente crise en Guadeloupe. Il rappelle qu'il "y a souvent un volet Outre-Mer" dans les lois et que ce pourrait donc être le cas pour la vaccination contre le Covid-19. Par ailleurs, il appelle le gouvernement à répondre en profondeur aux raisons de la colère des Guadeloupéens, dont la crise sanitaire n'a été que le "détonateur".

>> Violences en Guadeloupe : les raisons d'une colère qui n'est pas uniquement liée à la crise sanitaire

franceinfo : Pensez-vous que la crise sanitaire soit la seule raison de la colère en Guadeloupe ?

Yves Jégo : Nous sommes face à une crise qui n'est pas conjoncturelle. La partie conjoncturelle est la crise sanitaire qui a été le détonateur, mais le sous-jacent est social et économique. Au fond, les manifestants disent qu'il faut les écouter. La ‘délégitimation’ des élus locaux est une réalité et puis il y a une plateforme de revendications. La crise sanitaire est la partie exacerbée mais si on ne regarde pas tout ce qu'il y a en-dessous, on passe à côté de la réponse qui est attendue et j'ai peur qu'on ait un bras-de-fer dont on aura du mal à sortir. Je crois qu'il ne faut pas qu'on ait une lecture trop métropolitaine de ces sujets avec une vision qui ne retienne que ce qui est dit. Il faut écouter, entendre, regarder le non-dit et essayer de comprendre que cette crise qui se noue est une crise beaucoup plus économique et sociale que sanitaire.

Faut-il engager des négociations d'abord et rétablir l'ordre ensuite ou l'inverse ?

On ne peut pas engager des négociations sous le poids des émeutes de rue et les Guadeloupéens attendent aussi le retour au calme. Mais derrière, il faut engager un processus de discussion qui est indispensable. Comme toujours, on ne voit pas les choses venir. En 2009, les services de l'État sur place n'avaient pas vu les choses venir et je pense que c'est la même chose aujourd'hui. Il y a un moment de cristallisation, de colères multiples.

"Tant qu'on restera sur du conjoncturel et qu'on ne posera pas sur la table un 'new deal', un nouveau modèle de développement pour les Antilles françaises fondé sur la production, sur des mesures fiscales, tant qu'on restera sur du transfert social, on passera à côté de la réponse."

Yves Jégo, ancien secrétaire d'État chargé de l'Outre-Mer

à franceinfo

Au-delà de l'ordre qu'il faut naturellement rétablir, au-delà des discussions qu'il faut engager - et j'imagine que le gouvernement a prévu une stratégie de discussion avec les organisations syndicales - c'est aussi la réflexion de toute la Nation sur notre vision de nos îles, sur la gestion de ces territoires et sur l'avenir économique de ces territoires qui se pose. Si une fois de plus on remet le couvercle sur la marmite, je vous fais le pari que, dans quelques années, la marmite à nouveau sautera.

Les mesures sanitaires doivent-elles être différentes en métropole et en Guadeloupe, selon vous ?

C'est tout le défaut français de vouloir traiter toutes les parties de notre territoire de la même manière. On a une espèce de goût de l'unification des normes qui est terrible et qui crée des difficultés. Je ne serais pas choqué s'il y avait des dispositions spéciales pour les Antilles en matière de pass sanitaire, d'organisation de santé. Il faut bien sûr protéger les populations parce qu'on ne peut pas admettre – et on l'a vu avec des services des urgences qui débordaient de malades et malheureusement de décès – combien les conséquences peuvent être dramatiques. Il faut adapter. Les situations îliennes ne sont pas les mêmes que les situations métropolitaines et il faut sortir de cette idée qui est de traiter tout le monde de la même manière qu'on soit au cœur de la métropole ou à 6 000 kilomètres. Il y a une adaptation à faire et une intelligence à créer de l'adaptation pour prendre en compte d'abord ce qui est dit par les populations, les professionnels de santé et ensuite de ne pas se figer.

Je pense qu'à un moment la République est riche et sait s'adapter à des territoires bien spécifiques par rapport à la France métropolitaine. J'entends que certains disent qu'ils pratiquent des tests PCR tous les jours. On doit bien trouver des mesures pour sortir de ce nœud social et ce nœud d'exaspération. On le fait dans de nombreuses législations, ce ne serait pas choquant qu'il y ait une spécificité ultramarine qui fasse que les dispositifs sanitaires de la métropole s'adaptent aux spécificités et prennent en compte des réalités locales. Dans les lois, il y a souvent un volet Outre-Mer. Je pense qu'il ne faut pas être raide comme un piquet sur le plan sanitaire, on peut avoir une adaptation et ça doit faire partie d'une négociation intelligente qui doit être menée sans tarder.

Conseillez-vous au gouvernement de traiter d'abord le conjoncturel ou le fond des insatisfactions des Guadeloupéens, comme l'emploi, l'eau, le pouvoir d'achat ?

Il faut faire les deux. Je ne dis pas qu'il faut arrêter d'être dans le conjoncturel, il faut une réponse immédiate, il faut répondre par l'adaptation aux attentes qui sont exprimées notamment sur les questions sanitaires. Mais si, en même temps et en marchant sur ses deux pieds, on n'ouvre pas un dialogue plus structurant sur l'avenir de ces territoires, sur leur modèle économique, sur les perspectives à 15 ou 20 ans de ces territoires, on pourra bien apaiser les choses en mettant du baume sur les cœurs mais on n'aura pas régler le problème structurel. C'est ce que j'avais imaginé faire en 2009. Il y a eu une décennie de perdue sur cette affaire.

Il y a aussi des forces locales qui n'ont pas forcément envie de changement structurel. Je pense qu'il faut engager un dialogue de fond et un dialogue profond sur l'avenir de ces territoires et ne pas considérer que, dans un mois ou deux, quand on ne parlera plus d'eux, que ça ne fera plus la Une de l'actualité, on peut passer à autre chose. C'est cela que reproche aussi beaucoup les Guadeloupéens. Ils disent que quand ils ne protestent pas, quand il n'y a pas de crise, on ne parle plus d'eux et il n'y a plus de vision stratégique. C'est un immense chantier mais c'est un chantier indispensable si on veut continuer à rayonner et à faire rayonner la France à travers des îles et des territoires qui sont extrêmement précieux pour nous et qui sont, dans la mondialisation, une force considérable pour notre pays.

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