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Le Débarquement au cinéma est-il fidèle à la réalité historique ?

Du "Jour le plus long" à "Il faut sauver le soldat Ryan", en passant par "La Bataille du rail", le souvenir de l'opération Overlord passe aussi par sa représentation au cinéma.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La scène d'ouverture d'"Il faut sauver le soldat Ryan", de Steven Spielberg (1998), se déroule lors du Débarquement sur la plage d'Omaha Beach. ( DREAMWORKS / THE KOBAL COLLECTION / AFP)

Depuis 1944, le cinéma français comme américain s'est approprié le récit du Jour J, constituant un important corpus d'images de cet épisode. Pour Marc Ferro, historien du cinéma et ancien résistant, cela s'explique par "une curiosité naturelle du cinéma devant un événement d'une telle grandeur". Il s'agit le plus souvent "d'un cinéma d'illustration, plus que d'intelligibilité ou de compréhension", ajoute le spécialiste.

Mais l'image colle-t-elle toujours à la réalité historique ? A l'occasion de la diffusion du film Le Jour le plus long sur long (à 20h45 sur France 3), francetv info a regardé de plus près quelques-uns des films les plus célèbres racontant le 6 juin 1944 et leur a attribué, avec l'aide de Marc Ferro, une note sur 10 récompensant la fidélité historique de chaque film.

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"Il faut sauver le soldat Ryan"

La représentation du Débarquement au cinéma se heurte toujours à la difficulté de reproduire fidèlement l'ampleur de l'opération Overlord. Où placer la caméra ? Face à la mer pour voir l'arrivée des troupes alliées au risque de donner l'impression de prendre le point de vue allemand ? Dans son film Il faut sauver le soldat Ryan (1998), le réalisateur américain Steven Spielberg a résolu ce problème en tournant une scène sur la plage d'Omaha Beach, caméra à l'épaule.

"C'est une reconstitution formidable, estime Marc Ferro. On est confronté à l'atrocité d'Omaha Beach, on voit tomber les hommes." Pour son film, salué également par d'anciens combattants, Steven Spielberg s'est inspiré de photos de l'époque et de documents historiques. L'historien formule un seul reproche à la scène d'ouverture d'Il faut sauver le soldat Ryan : "Les soldats sont très rapprochés sur la plage. Dans la réalité, ils étaient plus espacés." Un défaut que l'ancien résistant de 89 ans attribue au besoin hollywoodien de verser dans le grandiose.

Passé la scène du Débarquement, "les nécessités de la dramaturgie l'emportent sur la réalité historique", selon Marc Ferro. Le film devient une épopée en conformité avec les discours dominants de son époque, comme le note l'historien dans son livre Cinéma, une vision de l'histoire.

Note de fidélité historique : 8/10

"Le Jour le plus long"

Pour comprendre le film du réalisateur américain Darryl F. Zanuck, tiré du livre de Cornélius Ryan, il faut se souvenir du contexte historique. Les Etats-Unis sont en pleine guerre froide en 1962, date de sortie du film. Le Jour le plus long entend montrer la puissance occidentale. "D'une manière générale, les Américains, quand ils parlent de la guerre, pensent d'abord aux Etats-Unis", commente Marc Ferro. 

Pour l'historien, Le Jour le plus long fonctionne comme de nombreux films de guerre américains : "Il s'agit de glorifier la famille ou l'unité de la nation, c'est pour cela que l'on représente une armée composée d'Irlandais, d'Italiens, de juifs, de Noirs...", explique-t-il. L'objectif est de "montrer que face aux nazis qui dissolvent la société chrétienne, l'Amérique a maintenu sa cohésion nationale malgré la multiplicité des origines qui la composent", détaille Marc Ferro.

Au-delà du prisme idéologique, le film de Darryl F. Zanuck présente également de nombreuses approximations historiques, comme le relève le site de l'association DDay-Overlord. Par exemple, le casino de Ouistreham, pris par les Français du commando Kieffer, est représenté dans une grande maison à étages. En réalité, le 6 juin 1944, le casino a déjà été détruit et il ne reste plus qu'un blockhaus. "Tous les films sur le Jour J comportent leur lot d'erreurs", nuance Marc Ferro, qui souligne à l'inverse que Le Jour le plus long décrit aussi certains faits avérés, à l'image de ce parachutiste resté coincé sur le clocher de Sainte-Mère-Eglise pendant plusieurs heures.

Note de fidélité historique : 6/10

"La Grande Vadrouille" et le comique français 

"Après 1945, plus le temps passe et plus le cinéma français a tendance à traiter le Débarquement et la guerre en général sous le registre comique", remarque Marc Ferro. Babette s'en va-t-en guerre (1959), La Grande Vadrouille (1966), Le Mur de l'Atlantique (1970), La Septième Compagnie (1973)... Les exemples sont légion. "On fait des films pour se moquer des allemands, pour oublier qu'on a eu peur, estime l'historien du cinéma. Il s'agit d'exorciser la terreur causée par les nazis."

Ce trauma est très peu évoqué dans le cinéma français sur la seconde guerre mondiale. Et Marc Ferro de citer Le Vieux Fusil (1975) comme exception. "On n'ose pas affronter notre passé et à ce titre, je trouve cela dangereux", prévient-il. "Bien sûr, je ris à gorge déployée devant La Grande Vadrouille", concède l'historien. "Mais c'est trop caricatural, trop éloigné de la réalité, les Français sont formidables et les Allemands sont ridicules."

Note de fidélité historique : 1/10

"La Bataille du rail"

Tourné en mars et en avril 1945, La Bataille du rail raconte l'histoire des cheminots résistants dans la France occupée. Ce film de René Clément a le mérite de rappeler qu'en marge de l'opération Overlord des résistants français ont risqué leur vie pour saboter les réseaux de communications des Allemands. Ils ont ainsi participé au succès du Débarquement.

"Au début, c'est un film qui devait montrer l'héroïsme des cheminots, puis c'est devenu un film à la gloire de la SNCF", rappelle Marc Ferro. En 1945, la France doit se reconstruire et cherche à se rassembler autour de l'image d'une France résistante. "Du coup, le film prend soin de ne pas évoquer la déportation à laquelle la SNCF a participé", note l'ancien résistant. En 2011, le groupe ferroviaire a officiellement reconnu avoir été un "rouage de la machine nazie d'extermination".

Note de fidélité historique : 7/10

"Band of Brothers"

L'ensemble de la bataille de Normandie comprend de nombreux épisodes. Impossible de raconter l'ensemble des événements dans un film de deux ou trois heures. Pour cette raison, Tom Hanks et Steven Spielberg ont souhaité adapter le travail de l'historien Stephen Ambrose dans une mini-série franco-britannique de dix épisodes, intitulée Band of Brothers (Frères d'armes). La série "se veut la plus réaliste possible", expliquait Tom Hanks en 2001 au Parisien. La force de ce projet repose sur l'appui des témoignages des parachutistes de la Easy Compagny, une entité de la 101e division aéroportée de l'armée américaine.

Mais même avec cette méthode, il reste des incertitudes sur la fidélité historique puisque des témoignages peuvent se contredire. Ainsi dans une scène en Normandie, le lieutenant Speirs propose des cigarettes à des prisonniers allemands avant de les abattre. Le soldat Donald Malarkey, pourtant témoin de la scène dans la série, avoue ne pas avoir assisté à cet épisode, selon le site de l'association DDay-Overlord. D'autres témoignages racontent que cette exécution se serait déroulée à Bastogne, en Belgique.

Note de fidélité historique : 9/10

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