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A Saint-Etienne-du-Rouvray, "on est comme une famille qui n'a pas encore fait son deuil"

L'église de Saint-Etienne-du-Rouvray, où a été assassiné le père Jacques Hamel en juillet rouvre ses portes dimanche. Une cérémonie source d'appréhension pour les habitants de la ville normande.

Article rédigé par Juliette Duclos
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Une personne tient le portrait du prêtre Jacques Hamel, lors de ses funérailles le 2 août 2016 dans la cathédrale de Rouen.  (JOEL SAGET / AFP)

Assise à son bureau, Linda Dupré soupire. "Ca devrait être simple, ça devient compliqué", glisse cette responsable paroissiale, les traits tirés. "On est complètement dépassés, les gens sont perdus. On leur parle de 'rite de réparation', mais ils ne comprennent pas forcément ce qui doit être réparé", explique l'auxiliaire. A quelques jours de la cérémonie de réouverture de l'église de Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Maritime) dimanche 2 octobre, où le prêtre Jacques Hamel a été assassiné alors qu'il célébrait une messe par deux individus se réclamant de l'organisation Etat islamique, le 26 juillet dernier, l’appréhension domine dans cette ville de 28 000 habitants.

Plus de deux mois après l’attentat, un "rite pénitentiel de réparation" est organisé, marquant la réouverture du lieu de culte. Cette procédure est régie par le code actuel du droit canonique. Elle est prévue quand un lieu sacré est profané par une "action gravement injurieuse", afin de le purifier. De l'eau bénite sera ainsi projetée dans l'église, puis les quatre symboles abîmés par les deux terroristes seront remis à leur place, soit la croix de procession, le cierge pascal, l’autel et une statue de la vierge dont le chapelet avait été arraché, détaille 20 minutes.

Une procession partira du presbytère pour rejoindre l’église, menée par Monseigneur Lebrun, l'archevêque de Rouen, qui célébrera la messe, accompagné du curé de la paroisse de Saint-Etienne-du-Rouvray, l'abbé Auguste Moanda-Phuati. Dimanche après-midi, seules 300 personnes, pourront entrer dans l'édifice. La foule pourra suivre la messe sur un écran géant installé sur la place adjacente. "L’organisation prend tout notre temps, explique Linda Dupré, alors même qu’il y a beaucoup de questions de la part des familles, les paroissiens se demandent comment entrer de nouveau dans l’église, après ce qu’il s’est passé, comment en parler à leurs enfants…"

Le 2 octobre, un écran sera installé sur la place lors de la messe de réouverture de l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray. (JULIETTE DUCLOS / FRANCETV INFO)

"On nous replonge sans arrêt dans cette tristesse"

Son téléphone sonne. Elle le regarde d’un air distrait, mais ne décroche pas. "C’est pénible, on est de nouveau beaucoup sollicité par les journalistes avec la réouverture, confie l'auxiliaire de la paroisse. Parfois, je mens et je dis que ce n’est pas moi au bout de la ligne, pour ne pas répondre à leurs questions." Elle sourit, "même si ce n’est pas très catholique de ma part…" Elle comprend pourtant. "On est obligés d’en passer par là, ce n’est plus notre Jacques désormais, il appartient au monde entier." Comme de nombreux habitants, elle attend la suite. "Après le 2 octobre, on espère respirer. Là, on nous replonge sans arrêt dans cette tristesse." 

Pour l’instant, c’est trop frais, on est comme une famille qui n’a pas encore fait son deuil.

Linda Dupré

à Franceinfo

"Ca va être une cérémonie difficile", explique sœur Dominique, de la congrégation de Saint Vincent de Paul. La religieuse n’était pas dans l’église quand les terroristes ont débarqué. Mais avec sœurs Huguette, Danièle et Hélène, présentes au moment de l'attentat, elle tente de se reconstruire : "On essaye de ne pas trop en parler, de continuer à vivre." Sœur Dominique parlera à la messe dimanche. Elle explique, émue, qu’"il y aura peut être des silences, et que par moment, je mettrai peut-être un peu de temps avant de reprendre la parole." Mais après la cérémonie, "il va falloir aller de l’avant". De son côté, sœur Danièle, qui avait réussi à échapper aux terroristes pour donner l’alerte, explique au micro de France Bleu, avoir "peur" de la réouverture de l’église : "Je n'y ai pas remis les pieds depuis le drame."

Sœur Danièle, le 30 juillet 2016, lors d'une prière pour Jacques Hamel, organisée devant l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray. (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

Pour moi et pour tous les chrétiens de la paroisse, c'est une appréhension. Surtout pour certaines personnes qui étaient très proches du père Jacques.

Sœur Danièle

France Bleu

Seront également présents à l'office Guy et Jeanine Coponet, le couple qui assistait à la messe lors de l'attaque terroriste et a été pris en otage par les jihadistes. "Deux mois après, je me pose la question encore. Je suis là, vivant, je dois avoir une mission à remplir", explique Guy au micro de France 2. A Famille Chrétienne, il a longuement expliqué n'avoir aucune haine. Pour autant, les victimes d'Adel Kermiche et Abdel Malik Petitjean n'en sont pas encore à l'heure du pardon : "On arrive juste à dire : Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font", dit Guy. "J’ai hâte de pouvoir leur demander au Ciel : 'Pourquoi, tout cela ?' Afin d’essayer de comprendre", renchérit sœur Danièle.

Pour Véronique, une paroissienne, il est impossible de tourner la page. "Notre ville est morte ce jour-là, déclare-t-elle, il va falloir affronter le retour dans l’église." Elle confie son angoisse "d’être assaillie par des images de Jacques Hamel", lors de la cérémonie. Une appréhension pour toute la communauté catholique, mais pas seulement.

"Cela fait partie de notre histoire désormais"

Les fleurs et les messages, posés contre l’entrée principale ont été enlevés en vue de la messe de dimanche, mais le portrait du prêtre s'affiche toujours devant l'église. Les commerces sont ouverts, mais la page est loin d'être tournée à Saint-Etienne-du-Rouvray. Après l’attentat, le café de la rue Jean-Jacques Rousseau, à proximité de l’église, était rempli de journalistes. Mais les caméras ne sont plus qu’un souvenir et seuls quelques habitués sont présents ce midi. Pourtant, dans les discussions, le traumatisme revient à l’approche de la réouverture du lieu de culte. 

Le portrait de Jacques Hamel est affiché devant l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray. (JULIETTE DUCLOS / FRANCETV INFO)

"Avant, Saint-Etienne-du-Rouvray, c’était une ville où tout se passait bien, maintenant, on nous prend pour un vivier de terroristes", raconte Benjamin, accoudé au comptoir. "On aimerait bien ne plus en parler, réussir à oublier, mais ce n’est pas possible, relate le jeune homme de 23 ans. A chaque fois que je passe devant l’église, j’y repense, ça fait partie de notre histoire désormais." 

A ses côtés, Stéphane, un éducateur de 45 ans, acquiesce et explique que "ça nous a tous changés, depuis deux mois, on encaisse". Avec la réouverture de l'église, les habitants sont de nouveau confrontés au drame. "On se dit que ça peut arriver de nouveau", explique la gérante du bar. Et puis, toujours, cette même interrogation, sans réponse, "ce gamin, Adel Kermiche, on le connaissait tous, comment a-t-il pu faire ça ?" 

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