Tensions entre la Turquie et la France : Erdogan veut "susciter une vague de nationalisme dans son pays", selon Frédéric Encel, maître de conférences à Sciences Po
Selon Frédéric Encel, en appelant au boycott des produits français, le Turquie s'expose à de lourdes sanctions économiques de la part de l'Europe
Après plusieurs jours de tensions diplomatiques entre Paris et Ankara, le président turc a officiellement appelé ses compatriotes à boycotter les produits français. Pour le maître de conférences à Sciences Po Paris, Frédéric Encel, invité de franceinfo lundi 26 octobre, il s'agit d'un nouveau pallier franchi, "s'il devait y en avoir un autre, ce serait la guerre", estime-t-il. Pour autant, cet appel au boycott ne risque pas d'être suivi par d'autres Etats musulmans, selon Frédéric Encel qui estime que la Turquie s'expose à de lourdes sanctions et "une véritable catastrophe" économique et commerciale.
Est-ce que ce boycott clairement exprimé par Recep Tayyip Erdogan est le signe qu'un nouveau pallier a été franchi ?
Frédéric Encel. Absolument, et je pense que c'est le dernier, parce que s'il devait y en avoir un autre, ce serait la guerre. Mais il n'y en aura pas d'autre, il n'y aura pas la guerre. Erdogan le sait très bien, lui qui a replié ses navires de combat lorsqu'un navire français est venu en quelque sorte secourir la Grèce et Chypre quand leurs eaux territoriales ont été bafouées par la Turquie. Je pense que Recep Tayyip Erdogan la joue à la fois sultan et calife. Sa stratégie est de chercher l'ennemi extérieur et de le vilipender de manière extraordinairement violente pour susciter une vague du nationalisme dans son pays.
Ce mouvement de boycott, qui part initialement des réseaux sociaux, ne risque pas d'être suivi par d'autres pays ?
Je pense que cela ne change pas la donne. Il y a environ 80 millions de Turcs sur 1,7 milliard de musulmans. C'est un seul Etat à majorité musulmane sur 57 dans le monde. De plus, les Etats arabes n'apprécient pas particulièrement la Turquie, ils en ont un très mauvais souvenir avec l'Empire ottoman qui a régné sur eux un peu plus de quatre siècles. D'autre part si, officiellement, un Etat quel qu'il soit boycotte des produits français, alors c'est toute l'Union Européenne qui, en vertu des accords fondateurs de l'Union européenne, prendra des sanctions contre cet Etat. Si l'Europe applique des sanctions économiques et commerciales vis-à-vis de la Turquie, ce serait une véritable catastrophe pour la Turquie. Je ne parle pas que de l'Allemagne puisque le volume d'échanges entre la Turquie et l'Union européenne est plus important que le volume d'échanges entre la Turquie et la Russie, entre la Turquie et les États-Unis.
Recep Tayyip Erdogan a également comparé le traitement des musulmans en Europe à celui des juifs dans les années 1930 et accuse certains dirigeants de nazisme et de fachisme. Comment analysez-vous ces déclarations ?
C'est très problématique de la part de quelqu'un qui dirige un Etat très officiellement négationniste du génocide arménien. Un Etat dans lequel il y a une répression de plus en plus forte. Sur 193 Etats recensés à l'ONU, la Turquie est le pire en termes de liberté de la presse. Par ces propos, Erdogan cherche à marquer les esprits, et ce n'est pas nouveau. Ce n'est pas la première fois qu'il utilise des termes terribles et outranciers. Le problème c'est que la Turquie est officiellement un allié de la France. Ces propos sont d'autant plus scandaleux que là il y a bien évidemment un outrage à l'Alliance.
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