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Attentats : l'aide aux victimes proposée par l'Etat est-elle à la hauteur ?

De nombreux hommages sont prévus dans les prochaines semaines. Après avoir dénoncé des dysfonctionnements, notamment le 13 novembre, les associations de victimes saluent les progrès de l'Etat en terme d'accompagnement.

Article rédigé par Sophie Brunn
France Télévisions
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Le drapeau français en berne sur la promenade des Anglais, à Nice, le 15 juillet 2016. (ERIC GAILLARD / REUTERS)

François Hollande sera de toutes les cérémonies. Le 19 septembre, d'abord, pour l'hommage rendu aux victimes du terrorisme et organisé aux Invalides. Puis à Nice, moins d'un mois plus tard, pour la cérémonie en mémoire des victimes de l'attentat du 14-Juillet. Le 13 novembre, enfin, le chef de l'Etat participera à la commémoration des attentats de Paris et Saint-Denis. Certains, dans l'opposition, accusent le président de surfer sur ce sujet pour se "relancer". Eric Ciotti a ainsi évoqué, début septembre, lors d'un discours, une "instrumentalisation indigne". Mais ce n'est pas l'avis des associations de victimes interrogées par franceinfo.

Au contraire, ce sont elles qui ont invité le président le 19 septembre, elles qui ont poussé pour qu'il y ait un hommage à Nice. "Que le président vienne, sans doute que cela le sert, mais c'est très bien pour nous", assure Georges Salines, président de l'association 13 novembre : fraternité et vérité. "Il y a un sentiment d'abandon et d'oubli très fort chez les victimes du terrorisme, c'est presque irrationnel", explique à franceinfo Stéphane Gicquel, secrétaire général de la Fédération nationale des victimes d'attentats et d'accidents collectifs (Fenvac). "A Nice, j'ai entendu plusieurs fois : 'tout le monde nous oublie'. C'est donc bien qu'il y ait un hommage national."

Le poids des symboles

Seule réserve : que cet hommage soit "digne", qu'il soit l'occasion de "prendre de la hauteur", espère la porte-parole de l'Association française des victimes du terrorisme (AFVT), "à l'opposé des polémiques de cet été" sur le burkini ou le dispositif de sécurité à Nice. "La parole de l'Etat est très importante pour les victimes, dit Stéphane Gicquel. A condition qu'elle soit cohérente avec l'action."

Dans le même registre, une médaille destinée à toutes les victimes du terrorisme vient d'être créée. "Une décoration qui honorera une personne, non pas pour ce qu'elle a fait mais pour ce qu'elle a subi, au nom de l'Etat", précise Guillaume Denoix de Saint Marc, président de l'AFVT. Le pendant, en quelque sorte, de la Légion d'honneur, qui récompense, elle, un mérite ou une bravoure particulière. Cette médaille laisse les associations assez indifférentes. "On n'a pas bien compris à quoi cela sert", lâche-t-on à la Fenvac. "Certaines familles en ont besoin, d'autres sont hermétiques à ce genre de symbole, il n'y a pas de règle", explique la porte-parole de l'AFVT. Un symbole qui a cependant déplu à certaines associations d'anciens combattants.

La création d'un secrétariat d'Etat, un progrès

Au-delà des symboles, l'action de l'Etat s'est concrétisée par la création en février 2016 d'un secrétariat d'Etat chargé de l'Aide aux victimes. Ce qu'ont salué les associations. "Avant 2015, on laissait les associations un peu seules, regrette Stéphane Gicquel. Aujourd'hui, il y a plus d'Etat et c'est tant mieux." "L'intérêt est d'avoir un seul interlocuteur, qui ne fait que ça, estime l'AFVT. Il y a un responsable, identifié." Une organisation plus lisible, qui évite aux victimes de faire le tour des ministères impliqués. Les associations pointent quand même la difficulté pour un secrétariat d'Etat de "faire bouger des administrations aussi puissantes que la Santé, la Justice, l'Intérieur" et selon Georges Salines, "il y a beaucoup de bonne volonté, mais pas toujours la capacité d'aller aussi vite qu'on le souhaiterait"

Un point fait consensus : la volonté manifeste de Juliette Méadel, la secrétaire d'Etat chargée de l'Aide aux victimes, d'impliquer les associations, par souci de "transparence". Le Comité interministériel de suivi des victimes, instance créée par la secrétaire d'Etat et qui se réunit chaque mois, rassemble en effet toutes les parties prenantes : administrations, fonds d'indemnisation, Office national des anciens combattants, parquet... Mais aussi l'ensemble des associations. "On n'a jamais été autant au cœur du dispositif", reconnaît Stéphane Gicquel.

Le côté "monstre froid" de l'administration

Sur le plan pratique, il semble qu'en quelques mois, l'Etat a tiré des leçons des attentats. Les nombreux dysfonctionnements du dispositif de crise observés après le 13 novembre ont été pris en compte. "L'organisation des obsèques, le passage à l'Institut médico-légal, l'accueil téléphonique, le centre d'accueil sur place : tout cela s'est beaucoup mieux passé à Nice", assure Stéphane Gicquel. "On a l'impression – même si tout n'est pas encore remonté – qu'il y a eu moins de dysfonctionnements, moins de situations kafkaïennes", renchérit l'Association française des victimes du terrorisme.

Car le 13 novembre, les associations ont fait état de nombreux cas où la prise en charge a été "catastrophique". Une famille a veillé le corps d'un enfant qui n'était pas le sien. Une autre a été envoyée dans un hôpital où un homonyme de la personne recherchée était soigné... depuis plusieurs mois. Le numéro unique n'était pas immédiatement opérationnel, et au bout du fil, les interlocuteurs n'étaient visiblement pas formés pour ce genre de circonstance. "Les conversations pouvaient se finir par un 'bonne soirée !' se souvient-on à l'AFVT. Ce côté 'monstre froid' de l'administration, pour des gens ivres de douleur et parfois de colère, c'était affreux." 

Une coordination revue et corrigée

Ce problème majeur de coordination (entre les hôpitaux, la préfecture de police, l'Institut médico-légal...) semble, depuis, avoir été pris en compte. Dans l'entourage de Juliette Méadel, on assure que les simulations d'attentats effectuées dans plusieurs villes pour préparer l'Euro 2016 ont permis des avancées concrètes : formation des personnels du numéro unique, mise en place à l'Institut médico-légal d'un accueil psychologique renforcé, ouverture d'un lieu d'accueil unique des familles, versement au bout d'une semaine de provisions pour des frais d'urgence (des billets d'avion, par exemple) pour les familles les plus en difficulté financière, etc.

Autre initiative : la mise en place fin juillet d'un "guichet unique", le Guide (Guichet unique d'information et de déclaration pour les victimes), qui vise à simplifier la tâche des victimes. Il permet notamment d'effectuer en ligne les premières démarches en vue d'une indemnisation.

La question épineuse de l'indemnisation

Bien sûr, tout n'est pas parfait. Les questions d'indemnisation sont encore épineuses, en raison de la difficulté à reconnaître les victimes. "Comment prouver qu'on était sur la Croisette, en danger, à un moment donné ? Il y avait déjà eu des situations compliquées le 13 novembre, mais à Nice cela concerne des milliers de personnes. Cela peut être à la fois très compliqué et douloureux", raconte l'AFVT. Sans compter les interrogations sur le financement du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), qui indemnise le préjudice corporel ou moral, et est abondé par les contrats d'assurance.

Quatre millions quatre cent mille euros ont déjà été versés à Nice, mais le coût total pourrait grimper à 400 millions d'euros, selon la secrétaire d'Etat. "Compte tenu de la très forte augmentation des ayants droit, il peut y avoir un problème financier, et un problème de capacité à gérer les dossiers. En terme de moyens humains et matériels, le Fonds n'était pas dimensionné pour ça", s'inquiète Georges Salines.

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