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Au procès des attentats du 13-Novembre, un psychiatre décrit Salah Abdeslam comme "engagé par choix dans une déshumanisation totalitaire"

La cour d'assises spéciale de Paris a entendu ce jeudi les experts psychiatres qui ont examiné cinq des accusés, dont Salah Abdeslam, le seul membre des commandos encore en vie. 

Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Ce croquis d'audience montre le coaccusé Salah Abdeslam lors du procès des attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, le 13 avril 2022. (BENOIT PEYRUCQ / AFP)

Les deux professeurs Bernard Ballivet et Daniel Zagury qui ont expertisé Salam Abdeslam indiquent d'abord à la barre de la cour d'assise spéciale de Paris, jeudi 21 avril, qu'ils ont eu du mal à l'examiner entre 2017 et 2021. Quatre refus successifs de sa part en les voyant arriver devant sa cellule. Il faut dire que Salah Abdeslam a eu, au cours de cette période un épisode délirant en 2017. Hallucinations, craintes d'empoisonnement, obsessions, son régime d'isolement strict y étant pour beaucoup. Les troubles ont disparu en quelques semaines, lorsque ses parloirs ont été rallongés et qu'il a eu accès à une activité sportive. Quatre refus d'examens, donc, puis finalement, à l'automne dernier alors que le procès des attentats du 13-Novembre a déjà débuté, il se prête à l'exercice, sans doute encouragé par ses avocats. Salah Abdeslam accepte un entretien à Fleury-Mérogis.

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Les deux médecins estiment qu'à l'exception de ces quelques semaines précises, Salah Abdeslam ne souffre d'aucune pathologie psychique. "C'est la banalité du mal", commente le professeur Daniel Zagury. "

"Participer à des projets barbares ne requiert pas d'être un psychopathe.""

Professeur Daniel Zagury

Alors que la cour d'assises spéciale de Paris entend cette semaine et jusqu'à vendredi les experts, psychiatres et psychologues qui ont examiné les quatorze accusés, le professeur Daniel Zaguy dit avoir vu en parlant de Salah Abdeslam, "un jeune homme au contact facile, courtois, qui répond aux questions. Un jeune homme qui se dit plusieurs fois au cours de l'entretien soucieux de son image, il répète beaucoup qu'il n'a pas de sang sur les mains, qu'il n'a tué personne, blessé personne. Ce point est important pour son père". Son père dans le chagrin, forcément, et qui déjà, quelques années avant les attentats, quand Salah Abdeslam s'était fait arrêter pour cambriolage, avait été "complètement dévasté", confie l'accusé. Salah Abdeslam au moment d'évoquer sa famille avec les experts, a semblé sensible, affecté même. Ce qui fait complètement écho au Salah Abdeslam, vu à l'audience de la cour d'assises spéciale de Paris, vendredi 15 avril, lors de son dernier interrogatoire. L'accusé a fondu en sanglots au moment d'évoquer, entre autres, la douleur de sa mère.

Une personnalité antérieure "pas totalement enfouie"

Les experts décrivent Salah Abdeslam comme un homme pris désormais dans un conflit interne très fort. Un homme qui, peu à peu, à partir de 2012, a fait allégeance au groupe État islamique, renonçant à sa vie d'avant entre casinos, cannabis et vie légère pour s'engager au service de Daesh. Le professeur David Zagury parle "d'un humain ordinaire, engagé par choix dans une déshumanisation totalitaire. Son engagement sans faille l'a débarrassé alors de toute pensée à la première personne. Et cet arsenal, ce carcan, l'a protégé, explique-t-il. Les victimes du 13-Novembre n'étaient alors pour lui que les cibles d'une guerre dont il a été le soldat dans une violence légitime. Les attentats à Paris répondant aux bombardements de la coalition en Irak et en Syrie".

Pour cet expert, le système peut se fissurer et il ne pourra, selon lui, pas y avoir de demi-mesure. "Son retour à son humanité peut lui faire prendre le risque d'un effondrement dépressif, dit-il. Sa personnalité antérieure n'est pas totalement enfouie et il l'a fait sentir au cours de notre rencontre, poursuit le professeur Daniel Zagury. Alors, "soit il renie le camp totalitaire du groupe État islamique, soit il se renie lui-même." Et précisément, au procès l'accusé a oscillé entre arrogance et provocation, parfois puis empathie et humanité le jour suivant. Au cours des huit mois de procès, l'attitude de Salah Abdeslam a évolué dans le box. Récitant en septembre "le bréviaire radical" de Daech, puis s'ouvrant au fil des mois, expliquant ne plus supporter l'image de monstre donnée de lui. "Salah Abdeslam n'a pas encore craqué, mais il peut craquer. Redevenir le petit gars de Molenbeek ou rester un soldat de Dieu sans nuance. Le choix est cornélien. Il est douloureux, mais c'est le sien," conclut le professeur Daniel Zagury en réponse aux questions des avocats généraux.

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