Mort de Fabien Clain : cinq questions sur la frappe de la coalition qui a visé la "voix" française de l'Etat islamique
Le jihadiste français Fabien Clain a été tué mercredi après-midi en Syrie par une frappe de la coalition internationale et son frère, Jean-Michel, est gravement blessé.
Il était considéré comme la "voix" ayant revendiqué au nom du groupe État islamique les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Le jihadiste français Fabien Clain a été tué en Syrie, à Baghouz, où les derniers combattants du groupe Etat islamique sont acculés. L'un des hommes les plus recherchés par le renseignement français est mort après une frappe de la coalition internationale, mercredi après-midi, a révélé franceinfo jeudi 21 février. Son frère Jean-Michel, autre figure française du jihad, a quant à lui été grièvement blessé dans cette opération qui soulève plusieurs questions.
Pourquoi sa mort n'est-elle pas encore officielle ?
Les autorités françaises n'ont pas officiellement confirmé la mort de Fabien Clain. Car le gouvernement français attend encore une analyse ADN pour l'officialiser. "Au cours des opérations de reconquête du dernier bastion de Daech menées par la coalition, il est possible en effet que Fabien Clain ait été tué", a tweeté dans la soirée la ministre française des Armées Florence Parly. "Nous restons vigilants, cette information n'est pas confirmée", a-t-elle ajouté.
Si c’est bien le cas, les Français qui se souviennent de ses appels au meurtre et de son rôle dans le pseudo-Etat islamique, en seront sûrement soulagés. Nous restons vigilants, cette information n’est pas confirmée. 2/2
— Florence Parly (@florence_parly) 21 février 2019
La mort d'un jihadiste français est toujours accueillie avec prudence, car il est difficile de vérifier sur le terrain la réalité de ce décès. Il peut également s'agir d'une stratégie. En août 2015, Omar Diaby, considéré comme le recruteur de dizaines de jihadistes, avait fait circuler l'annonce de sa mort "afin de pouvoir sortir de Syrie pour subir une importante opération chirurgicale dans un pays voisin", sans être repéré par les services de renseignement, avait-il expliqué dans une interview au magazine de France 2 "Complément d'enquête neuf mois plus tard.
Où vivait-il avant d'être visé ?
Pendant un moment, les autorités ont cru que Fabien Clain et son frère étaient morts, en raison de la défaite progressive sur le terrain du groupe Etat islamique. "La voix de Fabien Clain a été authentifiée pour la dernière fois le 2 avril 2018. Ce jour-là, Al-Bayane, la radio en ligne de l'EI, diffuse un message intitulé 'Comment devenir un allié d'Allah'", révélait L'Express (article payant), le 6 novembre 2018.
Depuis, ni lui, ni Jean-Michel Clain n'avaient donné de nouvelles. "Ils sont peut-être cachés dans une maison anonyme, à Hajin, petite ville syrienne bordant un méandre de l'Euphrate, en plein désert. Ou bien planqués dans un de ces villages accrochés à la bande de terre fertile qui longe le fleuve, près de la frontière irakienne", ajoutait L'Express dans ce même article. La seconde option était la bonne. Baghouz est un de ces villages syriens, le dernier avant l'Irak, à une trentaine de kilomètres d'Hajin. Acculés par la coalition internationale, les frères Clain n'avaient pas d'autre choix que d'y résider avec leurs femmes et leurs enfants, comme des centaines d'autres jihadistes.
Comment a-t-il été repéré ?
Les services de renseignements ont mené quatre jours de surveillance. Ils savaient que Fabien Clain et son frère se trouvaient dans la région de Baghouz. "Les deux hommes entrent dans la même maison. Un bâtiment frappé ensuite par un drone de la coalition internationale", indique BFM TV. "Ce sont des opérations qui durent plusieurs mois en amont. Là, on a parlé de quatre jours mais ce sont dans les derniers instants, juste avant l'opération. C'est une conjonction de différents types de renseignement", indique à franceinfo un ancien cadre de la DGSE surnommé "Beryl 614", qui a travaillé dans le contre-terrorisme.
Des renseignements humain d'abord : les jihadistes qui se sont rendus et les civils qui ont fui la ville dernièrement ont pu apporter des informations, selon le spécialiste défense de franceinfo. "Ce sont des renseignements d'interrogatoires de prisonniers qui vont nous donner une description physique de la cible en disant : 'il a une chemise pakistanaise, il porte un pantalon treillis etc.', précise l'ancien cadre de la DGSE. C'est tout ce type d'information qu'on va ensuite donner à des sources humaines qui vont aller sur place, devant un immeuble, devant une voiture et qui vont nous confirmer qu'une personne est bien là et que le renseignement initial était bon."
La "bulle aérienne" autour de Baghouz est par ailleurs totalement contrôlée par la coalition internationale : les avions et drones de surveillance ont donc pu capter tout ce qui s'y passait. "Autre possibilité : des écoutes téléphoniques", relève BFM TV.
Qui est l'auteur de la frappe ?
Le Pentagone ne donne pour l'instant aucune information sur ce tir de drone, mais on sait que 90% des frappes aériennes menées en Syrie le sont par les Américains. Seuls les Etats-Unis disposent par ailleurs dans la région de ces drones équipés de missiles. Ils partent généralement de la base aérienne d'Al-Asad, dans le centre de l’Irak. "Sur des cibles comme ça, c'est de la coopération entre les services, qui sont capables d'obtenir des renseignements suffisamment précis pour que ça marche. Donc on travaille énormément avec les Américains", confirme l'ancien cadre de la DGSE. "Les Britanniques sont également très bons et puis les services locaux évidemment, avec les Kurdes notamment", poursuit-il.
Et d'ajouter : "Quand on a suffisamment d'éléments ou qu'on est à peu près sûr, on va lancer la campagne de drones de surveillance. (...) On saura son itinéraire, on va savoir qu'il y a des moments où on peut frapper sans toucher les civils et c'est à partir de ce moment-là, cette dernière phase finale d'observation par drones, qu'on peut donner ou non l'autorisation de tir."
Aurait-il pu être capturé vivant ?
Un scénario difficile à envisager, selon Loïc Kervran, député LREM du Cher, membre de la commission de la Défense. "On n'est pas du tout dans le cadre d'une opération de police judiciaire. On est dans des opérations de guerre qui rendent difficile toute appréhension des suspects vivants", a-t-il expliqué sur franceinfo. Tout dépend des conditions opérationnelles sur le terrain et ni vous ni moi n'avons les détails de ce cas précis.
Certaines familles de victimes des attentats auraient aimé que Fabien Clain soit arrêté puis traduit en justice. "La mort du vétéran du terrorisme français est certes un soulagement si elle est avérée mais pour autant, elle prive les victimes de la vérité et de la justice et par conséquence d'un procès puisqu'il n'aura jamais été jugé pour les actes terroristes qu'il a revendiqués", a ainsi regretté sur franceinfo Samia Maktouf, qui défend des victimes des attaques terroristes du 13-Novembre. "Ils disposaient sans doute d'informations, mais je ne sais pas s'ils auraient eu l'occasion de les donner au cours d'un procès", a estimé de son côté Loïc Kervran.
Maintenant la cible prioritaire est son frère cadet, Jean-Michel Clain, grièvement blessé pendant l'attaque. "Quand un service de renseignement arrive à obtenir un prisonnier de cette valeur-là, vous avez tous les services de renseignement occidentaux qui arrivent avec leur liste de questions. (...) Il va y avoir plusieurs interrogatoires successifs parce que c'est extrêmement long, parce qu'au départ, bien évidemment, le terroriste ne coopère pas. Donc il faut vérifier ce qu'il raconte", explique l'ancien cadre de la DGSE. "C'est une vraie richesse ces gens-là, ajoute-t-il. Quand ils coopèrent."
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