"Je leur ai dit ce qu'ils voulaient entendre" : à son procès, l'instituteur d'Aubervilliers maintient la version de l'agression islamiste
Poursuivi pour "dénonciation de crime imaginaire", l'enseignant de Seine-Saint-Denis risque jusqu'à 6 mois de prison.
"Je maintiens que j'ai été agressé", lâche calmement l'instituteur d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Costume sombre à fines rayures, chaussures bien cirées, longs cheveux argentés noués en queue de cheval, l'homme se distingue des autres prévenus qui comparaissent devant la 16e chambre correctionnelle du tribunal de Bobigny, jeudi 28 janvier. L'enseignant de 45 ans est poursuivi pour "dénonciation mensongère à une autorité judiciaire ou administrative entraînant des recherches inutiles", et risque jusqu'à six mois de prison et 7 500 euros d'amende.
Au début de l'audience, le président du tribunal revient précisément sur les événements du 14 décembre dernier. Il interroge longuement l'instituteur sur sa version des faits. Ce dernier raconte une nouvelle fois l'agression : sa tête projetée plusieurs fois contre la table, les coups de cutter au cou, les coups de ciseaux au niveau du flanc droit... Il décrit à nouveau un homme en tenue de peintre, cagoulé et ganté, qui aurait lancé : "C'est Daech, on vous aura." Une agression qui se serait déroulée vers 7h10 au sein de sa classe de maternelle.
"Défoncé à la morphine"
Pourquoi alors l'instituteur a-t-il avoué aux enquêteurs avoir tout inventé ? Avec l'aide de ses avocates, l'homme tente de démontrer qu'il s'agissait d'aveux forcés, obtenus sous la contrainte. Lors de son audition, "il n'a pas mangé", "il est défoncé à la morphine", "après 5 heures d'interrogatoire (...) il va finir par craquer", argumente d'abord son conseil.
"J'ai eu très peur, les policiers me disaient qu'ils ne trouvaient rien", explique de son côté le maître d'école, "ils me faisaient miroiter un avenir très sombre, six mois de prison (...) j'ai perdu pied, j'ai eu peur. Je leur ai dit ce qu'ils voulaient entendre en disant que j'avais tout inventé, je voulais juste que ça se termine". Il avance même une explication proche de la théorie du complot : "On m'a fait comprendre qu'une telle information ne pouvait pas être donnée en ce moment en France."
Le président insiste sur la crédibilité de ses aveux, appuyés sur des explications précises comme le traumatisme des attentats du 13 novembre, la pression d'une inspection académique le surlendemain ou encore la volonté pour l'instituteur de dénoncer l'absence de mesures de sécurité suffisantes après les menaces proférées par l'Etat islamique contre le corps enseignant. Encore une fois, le prévenu trouve une réponse : "On m'a demandé de donner des détails, donc à chaque fois, je rajoutais quelque chose."
Problèmes d'alcool et tentative de suicide
Le tribunal s'attarde ensuite sur le profil psychologique du prévenu, instituteur depuis 22 ans dans une école classée REP (Réseau d'éducation prioritaire) à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Le juge rappelle que le prévenu a lui-même indiqué aux policiers qu'il souffrait de problèmes d'alcool et qu'il était sous pression en raison d'une inspection prévue le surlendemain du drame. Le tribunal évoque aussi son hospitalisation en 2012 après une tentative de suicide, ainsi qu'un épisode de violence "envers un autre membre de l'Education nationale" qui avait valu un rappel à la loi à l'enseignant.
Tout au long de l'audience, l'enseignant tente de faire nuancer ce portrait en répondant aux questions avec calme et sérénité. Il reconnaît avoir été touché par les attentats du 13 novembre, "mais comme tout le monde". Il avoue avoir alerté le corps enseignant des menaces proférées par l'Etat islamique, mais "pour savoir ce qui était mis en place". Il reconnaît des fragilités dans son passé, mais assure qu'il va mieux.
Un portrait que vient défendre à la barre son épouse en évoquant un mari "très prévenant", "un enseignant très investi dans son travail", un homme qui "n'aime pas la violence". "L'homme avec lequel je vis n'est pas un irresponsable, un fou furieux qui va prendre un cutter pour s'entailler", ajoute la femme de l'instituteur, également directrice d'école en Seine-Saint-Denis.
Deux à trois mois de prison requis
"Vous apprécierez le scénario qui vous est proposé, il est irrecevable." Dès le début de ses réquisitions, le procureur indique ne pas croire un mot de la version présentée au tribunal par l'instituteur. Il préfère en rester aux aveux donnés au cours de la garde à vue, en s'attardant sur les incohérences du récit. Il s'étonne de l'absence de lutte ou de réaction de l'instituteur face à son agresseur, que la sidération ne suffit pas à expliquer selon lui.
Il pointe du doigt le profil de l'agresseur présumé, utilisant un cutter comme seule arme et se contentant d'une menace un mois après les attentats sanglants du 13 novembre. "Mais une personne qui vient pour en occire une autre, en général, elle a une arme à feu, un couteau... Elle ne vient pas les mains dans les poches en espérant que la victime a dans les mains l'arme qu'elle va elle-même utiliser", ironise le magistrat. Et de moquer aussi la fuite de l'agresseur qui aurait été dérangé par le vibreur de son téléphone portable, selon la version de l'instituteur.
Avouant ne pas être en mesure d'expliquer complètement le geste d'automutilation qu'il prête à l'instituteur, le procureur insiste néanmoins sur les fragilités psychologiques de ce dernier. Il termine ses réquisitions en demandant une peine de deux à trois mois d'emprisonnement avec sursis, accompagnée de 1 000 euros d'amende. Il rappelle que la dénonciation de ce crime a provoqué la mise en place d'importants moyens de recherche, avant d'évoquer un "traumatisme inhumain" pour les Français : "cela a accentué le désarroi de nos concitoyens."
Un risque de révocation de l'Education nationale
Entamant sa plaidoirie à une heure tardive, l'avocate de l'instituteur demande sans surprise la relaxe de son client. Elle demande l'annulation de la procédure, "entachée", selon elle, de nombreuses irrégularités. "Il s'est auto-incriminé sans la présence d'un avocat", s'indigne la défense estimant que les officiers de police ont tardé à lui notifier ses droits. Puis avouant ne pas savoir si son client a bien été agressé, l'avocate rappelle que l'incertitude doit lui profiter : "Lorsqu'il y a un doute, aussi infime qu'il soit, il doit bénéficier au prévenu."
Les juges vont devoir décider si le dossier comporte assez de certitudes pour pouvoir condamner l'instituteur. L'Education nationale, qui avait suspendu l'enseignant pour une durée de quatre mois, pourrait décider de le révoquer en cas de condamnation. Le jugement sera rendu le 12 février.
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